Quatre arrêts (résumés) sur le licenciement immédiat

 Conditions légales générales

Selon l’art. 337 CO, l’employeur comme le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1) ; constituent notamment de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2).

Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. Elle n’est pas destinée à sanctionner un comportement isolé et à procurer à l’employeur une satisfaction. Les faits invoqués à l’appui d’un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat ; si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement. Par manquement du travailleur, on entend la violation d’une obligation découlant du contrat de travail, comme l’obligation de loyauté ou de discrétion ou celle d’offrir sa prestation de travail. A raison de son obligation de diligence et de fidélité, le travailleur est tenu de sauvegarder les intérêts légitimes de son employeur (art. 321a al. 1 CO) et, par conséquent, de s’abstenir de tout ce qui peut lui nuire.

La gravité de l’infraction ne saurait cependant entraîner à elle seule l’application de l’art. 337 al. 1 CO ; ce qui est déterminant, c’est que les faits invoqués à l’appui d’une résiliation immédiate aient entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. En général, une manifestation de malhonnêteté caractérisée, comme les mensonges ou les détournements, suffit à rompre les rapports de confiance entre les parties. Les infractions que le travailleur perpètre à l’occasion de son travail, telles qu’un vol commis au préjudice de l’employeur, d’autres collaborateurs ou de clients, constituent des motifs classiques de résiliation immédiate. Les autres manquements, comme les arrivées tardives, les courtes absences, les vacances prolongées unilatéralement, le refus d’exécuter une tâche assignée ou une exécution négligente ou insatisfaisante du travail, constituent en règle générale des manquements de gravité moyenne, voire légère, de sorte qu’ils ne justifient un licenciement immédiat qu’après un ou plusieurs avertissements. On peut encore relever dans ce contexte qu’il faut distinguer l’infraction due à un état d’énervement et de perte de maîtrise de celle commise avec une intention de nuire à l’employeur. L’existence (ou l’absence) d’un risque de récidive de l’employé doit également être prise en considération.

Le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs de licenciement immédiat (art. 337 al. 3 CO). Il applique les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC). Savoir si le comportement incriminé atteint la gravité nécessaire dépend des circonstances du cas concret. Dans son appréciation, le juge doit notamment tenir compte de la position et de la responsabilité du travailleur, du type et de la durée des rapports contractuels, de la nature et de l’importance des manquements ou encore du temps restant jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat. À cet égard, l’importance du manquement doit être d’autant plus grande que ce laps de temps est court. La position du travailleur, sa fonction et les responsabilités qui lui sont confiées peuvent entraîner un accroissement des exigences quant à sa rigueur et à sa loyauté ; le comportement des cadres doit ainsi être apprécié avec une rigueur accrue en raison du crédit particulier et de la responsabilité que leur confère leur fonction dans l’entreprise.

Méthode :

On peut réduire l’examen d’un cas à celui des 3 points suivants :

  1. Gravité du manquement :
    • Le comportement doit détruire la relation de confiance essentielle entre les parties.
    • Si le manquement est moins grave, un avertissement préalable est requis.
  2. Délai de réaction :
    • Le licenciement immédiat doit être signifié dans un délai raisonnable (deux à trois jours ouvrables en général) après la découverte du manquement.
  3. Évaluation individuelle :
    • Le juge apprécie les justes motifs selon les circonstances spécifiques, tenant compte de la position du travailleur, de la gravité du manquement et de son impact sur la relation de travail, etc.

Exemples pratiques :

  1. Non-respect des règles de compliance bancaire (TF 4A_67/2023 du 12.06.2024)
    • État de fait : Un employé d’une succursale panaméenne d’une banque tessinoise a enfreint plusieurs règles anti-blanchiment (documents signés en blanc, non-justification d’opérations suspectes, refus d’exécuter les instructions de clôture de comptes).
    • Conditions remplies :
      • Gravité du manquement : Ces violations, compromettant la conformité légale et la réputation de la banque, détruisent la relation de confiance.
      • Délai de réaction : La décision a été prise dans les quatre jours ouvrables, un délai jugé raisonnable vu la nécessité de tenir une séance à Panama.
    • Conclusion : Le licenciement avec effet immédiat est justifié.
  2. Accès non autorisé aux données d’un supérieur (TF_333/2023 du 23.02.2024)
    • État de fait : Un employé a fouillé dans l’ordinateur de sa supérieure, accédant à des données privées et menaçant de les utiliser.
    • Conditions remplies :
      • Gravité du manquement : La violation du devoir de fidélité et la menace de divulgation de données sensibles détruisent la confiance nécessaire.
      • Délai de réaction : Le licenciement a été décidé rapidement après la découverte des faits.
    • Conclusion : Le licenciement est justifié.
  3. Licenciement d’un cadre de club sportif (CAPH/20/2024 du 07.08.2024)
    • État de fait : L’employeur invoque divers motifs liés à des incidents passés (domiciliation à l’étranger, mauvaise gestion) et un refus de restituer du matériel.
    • Conditions non remplies :
      • Gravité insuffisante : Les faits reprochés ne justifient pas une rupture immédiate.
      • Délai tardif : Les griefs majeurs étaient connus bien avant le licenciement.
    • Conclusion : Le licenciement est injustifié.
  4. Comportement agressif envers des collègues (CAPH/129/2023 du 11.12.2023)
    • État de fait : Un employé a intimidé des collègues après avoir reçu un préavis de licenciement, violant un avertissement antérieur.
    • Conditions remplies :
      • Gravité du manquement : L’agressivité verbale et physique a perturbé le fonctionnement de l’entreprise et porté atteinte à la sécurité des collègues.
      • Délai de réaction : La résiliation a été effectuée immédiatement après l’incident.
    • Conclusion : Le licenciement est justifié.

(D’autres décisions sont disponibles ici : https://droitdutravailensuisse.com/category/licenciement-immediat/)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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