Le labyrinthe de l’opposition au congé

Exigences relatives à l'opposition que doit former l'employé confronté à un licenciement abusif (art. 336b al. 1 CO)

3.  Le recourant se plaint d’une violation de l’art. 336b CO, considérant avoir formé une opposition valide au congé. Dans ce cadre, il invoque un établissement arbitraire des faits.

3.1. En préambule, la procédure était régie par la maxime des débats dès lors que la valeur litigieuse excédait 30’000 fr. dans ce conflit de droit du travail (art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC a contrario). Les parties devaient donc alléguer les faits sur lesquels elles fondaient leurs prétentions et produire les preuves s’y rapportant (art. 55 al. 1 CPC), le juge n’ayant qu’un devoir d’interpellation fondé sur l’art. 56 CPC. Le juge ne pouvait asseoir son jugement sur d’autres faits que ceux ayant été allégués par les parties conformément aux règles de procédure (ATF 149 III 304 consid. 4.1). 

3.2.1. En vertu de l’art. 336b al. 1 CO, la partie qui entend demander une indemnité pour résiliation abusive (art. 336 et 336a CO) doit faire opposition au congé par écrit auprès de l’autre partie, au plus tard jusqu’à la fin du délai de congé. Si l’opposition est valable et que les parties ne s’entendent pas pour maintenir le rapport de travail, la partie qui a reçu le congé peut faire valoir sa prétention à une indemnité. Elle doit agir par voie d’action en justice dans les 180 jours à compter de la fin du contrat, sous peine de péremption (al. 2). 

 3.2.2. Selon la jurisprudence, il ne faut pas poser des exigences trop élevées à la formulation de cette opposition écrite. Il suffit que son auteur y manifeste à l’égard de l’employeur qu’il n’est pas d’accord avec le congé qui lui a été notifié (ATF 136 III 96 consid. 2; 123 III 246 consid. 4c; arrêt 4A_59/2023 du 28 mars 2023 consid. 4.1 et les réf. cit.). L’opposition a pour but de permettre à l’employeur de prendre conscience que son employé conteste le licenciement et le considère comme abusif; elle tend à encourager les parties à engager des pourparlers et à examiner si les rapports de travail peuvent être maintenus (cf. art. 336b al. 2 CO). Cela suppose que l’employé ait la volonté de poursuivre les rapports de travail (arrêt 4A_320/2014 du 8 septembre 2014 consid. 3.3). Le droit du travailleur de réclamer l’indemnité pour licenciement abusif s’éteint si le travailleur refuse l’offre formulée par l’employeur de retirer la résiliation (ATF 134 III 67 consid 5). 

3.2.3. Il n’y a pas d’opposition lorsque le travailleur s’en prend seulement à la motivation de la résiliation, ne contestant que les motifs invoqués dans la lettre de congé, et non la fin des rapports de travail en tant que telle (arrêt 4A_59/2023 précité ibidem). Dans l’arrêt précité, le Tribunal fédéral a relevé qu’il résultait des faits souverainement constatés par la cour cantonale que l’employé avait écrit qu’il formait opposition au congé et simultanément qu’il prenait acte que les rapports de travail prendront fin en date du […]. L’employé déclarait tout à la fois qu’il formait opposition au congé et que ce congé interviendrait bel et bien à une date donnée. Ces deux éléments étaient antagonistes puisque soit l’employé accepte la résiliation soit il s’y oppose. Dans un tel cas de figure, il convenait donc de procéder par interprétation, selon les règles communément admises. La cour cantonale, par le biais de l’interprétation subjective, avait établi en fait que l’employé n’avait pas l’intention de poursuivre la relation de travail, point non contesté devant le Tribunal fédéral, et qui excluait toute indemnisation. 

Cet arrêt a suscité diverses réactions doctrinales négatives, d’aucuns considérant qu’il ne suffisait plus pour la personne employée de former opposition au congé (…). L’arrêt n’a pourtant pas l’étendue que la doctrine veut lui prêter. L’arrêt cite différents arrêts rendus antérieurement dont il n’entend pas s’écarter. Surtout, la solution de l’arrêt repose sur la détermination par l’instance cantonale de la véritable intention de l’employé par l’interprétation subjective. Il ne s’agit nullement d’une interprétation selon le principe de la confiance. L’intention de l’employé était d’accepter la fin des rapports de travail. Or l’interprétation subjective relève de l’établissement des faits, que le Tribunal fédéral ne revoit que sous l’angle de l’arbitraire. Cet aspect n’avait pas été valablement contesté. La cause s’est donc jouée sur l’intention établie et non contestée de l’employé de ne pas poursuivre la relation de travail, ce qui excluait toute indemnisation. Le Tribunal fédéral étant lié par l’interprétation subjective, il n’a pas eu à porter son examen sur l’interprétation objective.

3.3.1. Avec l’opposition au congé signifié, l’employé manifeste sa volonté de poursuivre les rapports de travail, cette manifestation de volonté pouvant être sujette à interprétation sur la base de l’art. 18 CO, dès lors que dans certaines hypothèses l’opposition formelle du travailleur peut présenter un caractère contradictoire avec sa volonté d’une poursuite des rapports de travail (WYLER/HEINZER/WITZIG, Droit du travail, 5e éd. 2024, p. 912). L’opposition écrite au congé selon l’art. 336b CO est une manifestation de volonté unilatérale par laquelle l’employé déclare vouloir poursuivre les rapports de travail. Il convient tout d’abord de rechercher quelle était la volonté réelle du déclarant (interprétation subjective). Si une telle volonté ne peut être établie, le juge déterminera alors quel sens il convenait de donner à la déclaration selon le principe de la confiance (interprétation objective). L’interprétation subjective peut être déterminée empiriquement sur la base d’indices, en particulier le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle, qu’il s’agisse de déclarations antérieures ou de faits postérieurs (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2). L’appréciation de ces indices concrets par le juge et l’interprétation subjective relèvent de l’établissement des faits. Le Tribunal fédéral est lié (art 105 al. 1 LTF) à moins qu’elles ne soient manifestement inexactes (art. 97 al. 1 et art. 105 al. 2 LTF), c’est-à-dire arbitraires au sens de l’art. 9 Cst. ( supra consid. 2.2; ATF 144 III 93 consid. 5.2.2). 

3.3.2. Un auteur observe la difficulté de procéder à une interprétation subjective s’agissant de l’interprétation d’une manifestation de volonté – acte formateur unilatéral tel qu’une opposition à un congé, ajoutant qu’une interprétation objective selon le principe de la confiance serait plus appropriée (…). Certes, conformément à la jurisprudence, l’opposition suffit en général à concrétiser la volonté de l’employé de maintenir les rapports de travail ( …). Il n’en reste pas moins que les règles communes d’interprétation s’appliquent et que dans certains cas, une interprétation subjective peut aboutir. Ce n’est que si une telle interprétation n’aboutit pas que le juge doit alors procéder à une interprétation objective. 

3.4. En l’espèce, par courrier du 26 août 2019, l’intimée a résilié les rapports de travail pour le 28 février 2020. Le 29 août 2019, le recourant a adressé une note interne à son supérieur C.________ où il écrivait, après avoir fait des remarques acerbes à ce dernier, dans une police plus grande que le reste du texte « Vivement le 28 février 2020 », soit la date de l’échéance des rapports de travail selon la lettre de résiliation de l’intimée. Le 24 octobre 2019, le recourant, par l’entremise de son avocat, a indiqué qu’il « forme opposition à son congé et ceci au sens de l’art. 336b CO ». Le recourant s’est vu reconnaître un état d’incapacité de travail du 3 septembre 2019 au 29 novembre 2019. Le dernier jour de son incapacité de travail était cependant postérieur de dix jours à la date où il a conclu un contrat de travail avec un tiers, le 18 novembre 2019, avec une entrée en fonction le dimanche 1er décembre 2019. Selon la cour cantonale, ce faisant, il a clairement manifesté à un tiers vouloir travailler pour celui-ci d’une part et qu’il ne voulait plus travailler pour l’intimée d’autre part. En arrêt de travail au moment de l’opposition, il ne pouvait être retenu une volonté interne de sa part de vouloir continuer les rapports de travail avec l’intimée dès lors qu’il avait signé un mois après son opposition au congé un contrat de travail avec un tiers. La cour cantonale a retenu en conséquence que le recourant n’avait pas la volonté de continuer à travailler pour l’intimée. Cela était de surcroît déjà clairement établi par la note interne que le recourant avait adressée le 29 août 2019. La cour cantonale a en outre exposé que financièrement, vu les avances effectuées, l’intimée n’était pas en demeure s’agissant de la rémunération du recourant au moment de l’opposition. Il n’avait déjà pas l’intention de continuer à travailler pour l’intimée à ce moment et a par ailleurs signé un contrat dès le 18 novembre 2019 avec un tiers, alors que le salaire de novembre 2019 n’était pas encore dû. 

3.5. Le recourant se plaint d’une appréciation arbitraire des preuves relativement à la négation par la cour cantonale de sa réelle intention de poursuivre les rapports de travail. Il conteste la portée accordée à sa note du 29 août 2019. Ce faisant il se limite à une critique appellatoire, mettant en avant les tensions existant avec son supérieur C.________. Il n’établit nullement qu’il était arbitraire de prendre en compte cet indice, à savoir qu’avant même d’avoir formulé son opposition, il n’entendait pas poursuivre la relation de travail pour se réjouir de l’échéance du contrat le 28 février 2020. Le recourant met aussi en exergue que son courrier d’opposition soulignait le caractère abusif du licenciement, aspect non repris dans l’arrêt attaqué. De la sorte, il n’invoque rien de déterminant quant à son intention de poursuivre les rapports de travail. Le recourant remet encore en cause la prise en compte du nouveau contrat de travail qu’il a signé comme obstacle à sa volonté réelle de poursuivre le travail avec l’intimée. Il observe en substance qu’il a signé un nouveau contrat dès lors que l’intimée ne lui versait plus son salaire, ce qui a justifié de son côté la résiliation avec effet immédiat des rapports de travail le liant à l’intimée le 29 novembre 2019. Il mentionne encore un courrier de l’intimée du 1er novembre 2019 qui attesterait selon lui qu’elle n’avait aucune intention de poursuivre les relations de travail. La cour cantonale a exposé que financièrement, vu les avances effectuées, l’intimée n’était pas en demeure s’agissant de la rémunération du recourant au moment de l’opposition et qu’au moment de signer le nouveau contrat, le salaire de novembre 2019 n’était pas encore dû par l’intimée. Celui-ci n’avait déjà pas l’intention de continuer à travailler pour l’intimée au moment de l’opposition et a par ailleurs signé un contrat dès le 18 novembre 2019 avec un tiers, alors que le salaire de novembre 2019 n’était pas encore dû ( supra, consid. 3.4). Globalement, l’ensemble des éléments invoqués par le recourant revient à rediscuter librement l’appréciation de la cour cantonale. Cette démarche appellatoire n’est pas admissible devant le Tribunal fédéral. La prise en compte de la note interne du recourant du 29 août 2019, formulée avant son opposition, et de la signature par celui-ci d’un nouveau contrat de travail avec un tiers pour conclure à l’absence de volonté réelle du recourant de poursuivre la relation de travail avec l’intimée n’a rien d’arbitraire. 

3.6. Il résulte de ce qui précède qu’à l’issue de son interprétation subjective la cour cantonale pouvait nier l’intention du recourant de poursuivre les rapports de travail. Cela conduit à nier la validité de l’opposition et, par conséquent, à exclure toute indemnisation pour licenciement abusif. La solution cantonale ne viole pas le droit fédéral. Vu ce qui précède, les critiques du recourant relatives à l’interprétation selon le principe de la confiance sont sans portée. 

(TF 4A_618/2024 du 7 juillet 2025 ; on lira, sur les exigences – byzantines – relatives à l’opposition selon la jurisprudence du TF W. GLOOR, L’opposition au congé: des conditions supplémentaires à sa validité, commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_59/2023, Newsletter DroitDuTravail.ch juin 2023 ; par ailleurs, et en passant, on relèvera que le travailleur licencié abusivement ne pourrait prétendre à rien s’il devait recouvrer du travail rapidement faute de vouloir maintenir des rapports des rapports de travail que l’employeur aura tout fait pour rompre…)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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