
La recourante, avocate indépendante jusqu’en 2018, enseigne dès 2016 comme suppléante puis vacataire dans une école de culture générale. Victime en mars 2018 d’une rupture d’anévrisme avec graves séquelles, elle obtient le 22 avril 2020 une rente AI entière dès le 1er février 2019, avec incapacité de travail de 100 % dans toute activité. Malgré l’obligation de signaler toute modification, elle ne transmet pas cette décision à sa hiérarchie, tout en poursuivant son activité d’enseignante, puis en étant engagée dès le 1er août 2024 comme maîtresse d’enseignement professionnelle. En juin 2025, dans le cadre de la détection précoce, le Département découvre l’existence de la rente entière AI et, sans avoir auparavant averti l’intéressée ni recueilli ses explications, met fin à aux rapports de service. L’enseignante recourt en invoquant notamment la violation de son droit d’être entendue.
La Cour rappelle d’abord que le droit d’être entendu, garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit de prendre position avant qu’une décision ne soit rendue, d’offrir des moyens de preuve pertinents et d’obtenir qu’il y soit donné suite lorsque cela peut influer sur l’issue du litige. Ce droit a aussi une dimension personnelle : il permet à l’administré de participer à une décision qui affecte sa situation juridique.
En matière de rapports de travail de droit public, la jurisprudence admet que ce droit peut être satisfait par un échange informel, à condition que l’employé ait compris qu’une résiliation était envisagée à son encontre et qu’il connaisse les faits qui lui sont reprochés. Le statut du corps enseignant prévoit en outre expressément que la décision de résiliation est notifiée après audition de l’intéressé.
En l’espèce, le Département a résilié les rapports de service de l’enseignante peu après avoir appris l’octroi à son profit d’une rente AI entière, et ce sans l’avertir de son intention de la licencier, sans l’entendre, même de manière informelle, et sans lui permettre de proposer des preuves. Aucune situation d’urgence ne justifiait de passer outre cette étape. Le droit d’être entendu a donc été violé. La Cour examine ensuite si ce vice peut être « guéri » en instance de recours, compte tenu de son plein pouvoir d’examen en fait et en droit (effet dévolutif complet du recours). La réparation n’est admise que pour des atteintes non graves, ou lorsque le renvoi ne serait qu’une formalité inutile, ce qui suppose que le justiciable ait pu faire valoir ses arguments aussi efficacement devant l’instance de recours que devant l’autorité de première instance.
En l’espèce, le Département n’a procédé à aucune instruction sur des éléments déterminants: il n’a ni sollicité l’avis du médecin-conseil de l’État, ni interrogé l’AI, ni entendu la directrice de l’Ecole sur les informations reçues. Il a ainsi méconnu la maxime inquisitoire et son obligation d’établir les faits pertinents avant de licencier. Ce n’est par ailleurs qu’en réponse au recours que le Département invoque une rupture du lien de confiance due à la dissimulation de la rente AI, grief absent de la décision de licenciement. L’enseignante ne découvre donc ce reproche que devant la Cour, où elle apporte des éléments) qu’elle n’a jamais pu soumettre préalablement au Département.
Dans ces conditions, la Cour ne peut pas, sans se substituer au pouvoir d’appréciation de l’employeur et sans pouvoir examiner l’opportunité de la décision, trancher elle-même la question de la rupture du lien de confiance ni celle de l’aptitude au travail. Un renvoi n’est pas une formalité vide de sens : une instruction complémentaire (notamment audition de la directrice, avis médicaux pertinents, clarification des connaissances respectives de l’AI et du Département) est de nature à modifier substantiellement l’appréciation du comportement de l’enseignante et, partant, la mesure à prendre. La conséquence juridique de la violation grave du droit d’être entendu est donc l’annulation de la décision de résiliation et le renvoi du dossier au Département pour compléter l’instruction et rendre une nouvelle décision, après avoir régulièrement entendu l’intéressée.
(Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève ATA/1222/2025 du 4 novembre 2025)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS en Droit et Intelligence Artificielle