Falsification de l’enregistrement du temps de travail

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TSA (ci-après : l’intimée) est une société anonyme de droit suisse inscrite au Registre du commerce du Canton de Vaud depuis le […] 2008, dont le siège social est situé à […]. Son but statutaire est l’exploitation de garage, de carrosserie et de station-service, le commerce de voitures neuves et d’occasion et la location de véhicules. TSA a engagé Q (ci-après l’appelant) comme aide-comptable au 1er mars 2011.

Depuis 2013, l’intimée dispose d’un système de timbrage par badge. Les collaborateurs de l’intimée doivent ainsi timbrer leur arrivée et leur départ du lieu de travail au moyen d’un badge. Ils ont aussi la possibilité de modifier ou d’ajouter manuellement des pointages par l’intermédiaire de l’ordinateur. Le pointage manuel est basé sur la confiance, de sorte que le chef de service n’a pas à valider les modifications ou ajouts réalisés.

Lors de la remise du badge électronique aux collaborateurs, ceux-ci ont dû signer une convention par laquelle ils se sont notamment engagés à ne pointer que les heures travaillées. A ce sujet, la convention précisait que toutes les pauses devaient être pointées et que les pointages originaux d’arrivée ou de départ devaient correspondre au début et à la fin du travail effectif. L’appelant a signé cette convention le 2 juillet 2013.

La mise en place du système de timbrage a nécessité une intervention de l’intimée afin de clarifier les règles applicables en particulier au sujet des pauses. Il ressort en effet de l’audition des différents témoins entendus lors de l’audience du 4 septembre 2019 que les règles n’étaient pas claires pour certains collaborateurs. C’est ainsi que l’intimée a dû rappeler à ses employés leur obligation de timbrer leurs pauses, en particulier les « pauses café ou cigarettes », ce que les employés ne faisaient pas systématiquement avant ce rappel à l’ordre. Néanmoins, certains ont conservé leur habitude de ne pas timbrer leurs pauses.

En cas de soupçon ou de preuve de tricherie dans le timbrage des heures travaillées, l’intimée procédait à des vérifications et intervenait en cas d’abus avéré (licenciements).

 A la fin du mois d’août 2016, l’intimée a effectué un contrôle des heures de présence. Elle a alors constaté des irrégularités dans les timbrages des heures de présence de l’appelant au bureau, a procédé à des vérifications et a constaté que l’appelant avait, à réitérées reprises, modifié manuellement ses heures de timbrage dans le système, avec des écarts importants. Aux dates contrôlées, les heures d’arrivée inscrites manuellement par l’appelant ne correspondent pas aux heures d’arrivées effectives, ce à une vingtaine de reprises pour la période concernée. Pour les mois de juillet à août 2016 notamment, la différence totale entre les heures de travail inscrites manuellement par l’appelant et celles d’arrivée effective au portail du parking de la société correspond à 11 heures et 16 minutes, alors que sur cette période, l’appelant était en vacances durant 8 jours et demi.

En raison de la falsification importante des timbrages, l’appelant a été convoqué à un entretien préalable. Lors de cet entretien, il a été reproché à l’appelant d’avoir triché dans ses heures de présence, ce qu’il a admis devant ses interlocuteurs. Les rapports de travail ont été résiliés de manière ordinaire.

L’appelant a contesté la résiliation de son contrat de travail. A l’appui de son opposition, il a expliqué qu’il corrigeait ses heures manuellement depuis l’introduction des badges électroniques, soit depuis plus de deux ans, et qu’il n’avait jamais été averti à ce sujet. Il a estimé que son employeur n’avait pas établi le caractère grave de la faute qui lui était reprochée dès lors que le bon fonctionnement de l’entreprise n’avait pas été perturbé. Il a expliqué par ailleurs que durant ses années de service, aucun reproche ne lui avait été fait sur la qualité de son travail. L’appelant a également indiqué avoir été victime de mobbing, voire de racisme.

 L’art. 336 al. 1 et 2 CO énumère une liste – non exhaustive – des cas dans lesquels la résiliation est abusive. Le congé peut ainsi être abusif parce qu’il a été donné en violation des droits de la personnalité du travailleur. Pour juger si le congé est abusif, il faut se fonder sur le motif réel. Le juge peut présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n’a pas pour résultat d’en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de « preuve par indices ».

En l’espèce, l’appelant a échoué à prouver qu’il aurait subi un harcèlement psychologique au sein de l’intimée, comme il le prétendait.

L’appelant soutient par ailleurs qu’il aurait été injustement puni, par son licenciement, pour avoir triché dans le timbrage de ses heures d’arrivée, dès lors que cela aurait constitué une pratique largement acceptée au sein de son employeur.

 L’appréciation de l’autorité précédente que l’intimée ne tolérait pas que ses employés trichent dans le timbrage des heures d’arrivée et de départ est dûment fondée sur les témoignages convergents récoltés. Elle ne procède pas d’une appréciation inexacte des preuves et est partagée par la Cour au vu des preuves au dossier. En effet, lors de l’introduction du système de timbrage en 2013, une convention a été établie qui précisait que les pauses devaient être timbrées et que les pointages originaux d’arrivée et de départ devaient correspondre au début et à la fin du travail effectif. L’appelant ne pouvait l’ignorer dès lors qu’il a signé cette convention le 2 juillet 2013. L’intimée a dû clarifier les règles applicables, notamment concernant le timbrage des pauses. S’il est établi que certains employés ont continué à ne pas timbrer les pauses, les employés, de manière générale, respectaient les timbrages de début et de fin de travail. L’intimée ne tolérait d’ailleurs pas les fraudes dans le timbrage des heures travaillée, plusieurs abus ayant conduit au licenciement des employés indélicats. Au surplus, si l’appelant fait valoir que d’autres employés auraient fraudé les règles de timbrage au début ou à la fin de la journée de travail au su de l’intimée, force est de constater qu’il n’en donne aucun détail, notamment quant à l’identité des employés en question, ce alors qu’il travaillait à l’époque avec eux. Cet élément conforte encore l’appréciation de l’autorité précédente qu’une telle tolérance n’existait pas.

Dans ces circonstances, un licenciement donné à un aide-comptable car il a triché régulièrement sur ses heures d’arrivée et de départ, modifiant lui-même manuellement les données, n’a rien d’abusif.

(Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal HC/2021/581 du 24 août 2021)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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5 Responses to Falsification de l’enregistrement du temps de travail

  1. Avatar de margotmenoud margotmenoud dit :

    Maître, Je salue votre article, vos articles qui apportent une réelle compréhension du droit de travail suisse. Merci pour cette vulgarisation du savoir aussi technique que passionnant. Avec mes meilleures salutations et mes sincères voeux de belle fêtes de Fin d’année. Margot Menoud Margot Menoud/rue des Parcs 137/2000 Neuchâtel/SUISSE/ +41 78 220 67 87

  2. Avatar de Schulls Schulls dit :

    Bonjour Maître,

    Merci pour cet article. Je m’interrogeais sur la légitimité d’une modification des horaires de pointage par l’employeur. Peut-il modifier les heures pointées à la badgeuse par l’employé dans le cas où celui-ci aurait écourté sa pause en deçà du seuil légal ? Par exemple si pour un travail règlementaire minimal de 8h30 par jour avec une pause obligatoire de 30min, le pointage à la badgeuse est 8h00-12h30, 12h55-17h00 alors s’il le modifie en 8h00-12h30, 13h00-17h00, 5 min de travail effectif sont retirées à l’employé. Pire, si le départ le soir était à 18h00 (tout autre badgeage égal par ailleurs) c’est 35 min (1h moins les 25 min de pause effective dans l’exemple) qui serait retirées à la pause de midi pour correspondre à la pause légale.

    • Je ne suis pas sûr de vous avoir compris, mais un système d’enregistrement du temps de travail doit enregistrer le temps de travail réel, et non une conception a priori, ou a posteriori, de ce qu’il devrait être. On a admis quelques adaptation à ce principe lors du COVID en cas de télétravail pour des raisons pratiques, mais c’est tout. Cela pose aussi la question du log / du journal des modifications du temps de travail, qui doivent aussi être accessibles aux employés.

      • Avatar de Schulls Schulls dit :

        Excusez -moi pour ce manque de clarté. Effectivement il s’agit d’un traitement a posteriori de l’enregistrement de la badgeuse. En effet, l’employeur modifie le pointage de retour de la pause de midi afin d’accroître la durée réelle de la pause à celle de sa durée légale. Or cette durée varie de 30 min à 1h selon que la durée journalière, qu’on ne connaît qu’en fin de journée, ait duré moins de 8h30 ou plus de 9h. Pour être très concret, si je pointe aux horaires suivants : 7h30-12h30-13h00-18h00, mon travail effectif est de 10h, donc ma pause aurait due être d’1h. L’employeur va modifier le journal de la badgeuse en 7h30-12h30-13h30-18h00. Il apparaîtra alors une pause de 1h mais mon travail comptabilisé ne sera que de 9h30.

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