L’affaire s’inscrit dans le cadre d’un litige plus large entre une entreprise et certains de ses salariés. Lors d’une réunion entre les dirigeants de l’entreprise et ceux-ci, l’un des salariés a enregistré la conversation en cours, sans que les dirigeants en soient conscients.
Quelques années plus tard, un autre employé a utilisé cet enregistrement comme preuve lors d’un procès pour violation de droit du travail.
Par conséquent, les dirigeants en cause (personnes concernées) ont déposé une plainte auprès de l’autorité italienne de protection des données (APD ; Garante per la protezione dei dati personali).
L’APD a rejeté cette plainte, arguant que le traitement en question avait pour seul but de prouver les déclarations de l’employé lors du procès.
Les personnes concernées ont fait donc appel de la décision de l’APD devant le Tribunal de Venise (Tribunale di Venezia), lequel a fait droit aux prétentions des personnes concernées, jugeant que le traitement était illicite et condamnant le responsable de traitement à une amende de 5 000 €.
Le responsable de traitement a fait appel de cette décision devant la Corte di cassazione.
Dans son arrêt Cass.Civ. – 24797/2024 du 12.07.2024, traduit et présenté sur gdprhub (https://gdprhub.eu/index.php?title=Cass.Civ._-_24797/2024&mtc=today), la Cour de cassation a souligné que l’enregistrement avait eu lieu en 2016, c’est-à-dire à une époque où le RGPD n’était pas encore en vigueur. La Cour a rappelé que l’ article 24(f) du Code italien de protection des données alors en vigueur stipulait que le consentement de la personne concernée n’était pas nécessaire lorsque le traitement était nécessaire « pour faire valoir ou défendre une prétention légale, à condition que les données soient traitées exclusivement à ces fins et pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire à la poursuite de ces fins ».
Sur ce point, la Cour a noté que, selon la jurisprudence nationale, cette règle s’applique non seulement pendant le procès lui-même, mais également à l’égard de toutes les activités préliminaires nécessaires à la collecte des preuves pour le procès.
En l’espèce, il n’était pas pertinent que l’enregistrement ait été réalisé par une personne autre que celle qui l’utilise dans le cadre du procès en matière de droit du travail. Selon la Cour, ce qui est pertinent, c’est que l’enregistrement ait été utilisé pour défendre un droit lors d’un procès.
En outre, la Cour a jugé que, lorsqu’un tel élément de preuve est présenté lors d’un procès, il appartient au juge de ce procès de décider s’il convient d’utiliser cet enregistrement et comment le divulguer, après avoir mis en balance le droit à la protection des données personnelles et le droit de la défense.
En outre, la Cour a souligné que la même conclusion pourrait être tirée dans un cas où le RGPD s’appliquerait. En effet, la Cour a noté que l’article 17(3)(e) du RGPD établit une exception au droit à l’effacement « pour la constatation, l’exercice ou la défense de droits en justice », tout comme l’article 21(1) du RGPD .
La Cour a donc tiré du texte du RGPD le principe selon lequel le droit à la protection des données peut être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux et ces derniers peuvent être considérés comme supérieurs aux premiers. Dans le cas présent, la Cour a souligné que cela est particulièrement vrai puisque l’article 36 de la Constitution italienne accorde une protection élevée aux droits des salariés.
Enfin, la Cour a souligné que la CJUE considère également que, lorsque des données personnelles sont utilisées dans un procès, il appartient au juge national d’équilibrer les droits des parties et de décider si les données personnelles doivent être utilisées dans le procès (voir C-268/21, Norra Stockholm Bygg , para. 58).
Pour ces motifs, le tribunal a annulé le jugement du Tribunal de Venise.
En droit suisse : https://droitdutravailensuisse.com/2018/03/21/peut-on-enregistrer-son-superieur-hierarchique/ (droit pénal), et https://droitdutravailensuisse.com/2018/03/21/peut-on-enregistrer-son-superieur-hierarchique-ii/
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM
