Peut-on enregistrer son supérieur hiérarchique ? (II)

film-movie-motion-picture-390089.jpegL’employée et son supérieur hiérarchique direct ont entretenu une liaison. Par la suite, le supérieur informe l’employée que la qualité de son travail n’est pas satisfaisante et qu’un licenciement est envisagé. Lors de l’entretien de licenciement, il propose toutefois à la fin de celui-ci la continuation des rapports de travail – et ce si l’employée entretien des rapports sexuels avec lui trois ou quatre fois par année contre rémunération. L’employée a enregistré la conversation avec une petite caméra vidéo. Elle montre ensuite l’enregistrement à l’employeur, qui licencie alors le supérieur hiérarchique de l’employée. Celui-ci dépose alors une plainte pénale, notamment sur la base de l’art. 179quater CP (violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d’un appareil de prise de vues).

La plainte pénale du supérieur a fait l’objet d’une décision de classement du Ministère public, confirmée tant par la première que la seconde instance cantonale. Elles avaient toutes deux retenu que l’employée pouvait craindre une atteinte à un bien juridique individuel lors de l’entretien de licenciement en raison de sa liaison passée avec son supérieur, de sorte qu’elle se trouvait dans un état de nécessité licite qui rendait son comportement impunissable. Le Tribunal fédéral a, en revanche, considéré que l’employée ne pouvait que s’attendre à un licenciement et pas à une atteinte à un bien juridique individuel, de sorte que son comportement restait punissable en l’absence de fait justificatif.

En premier lieu, le Tribunal fédéral considère que, en dépit leur liaison passée, l’employée ne pouvait pas s’attendre à la proposition du supérieur, de sorte qu’elle ne pouvait pas craindre une atteinte à un bien juridique individuel. Il relève également que l’enregistrement illicite n’était pas propre à empêcher la résiliation du contrat de travail dans la mesure où le supérieur envisageait depuis un certain temps de licencier cette employée en raison de la mauvaise qualité de son travail. Ce motif de licenciement était légal et, partant, la menace d’un renvoi ne l’autorisait pas à porter atteinte aux biens juridiques du plaignant. Par conséquent, l’employée n’était pas autorisée à commettre une infraction pénale pour prévenir un licenciement justifié et conforme aux dispositions légales. Le Tribunal fédéral souligne, au surplus, que la même règle s’applique dans le cas d’un licenciement abusif qui pourrait être contesté sur le plan civil.

Selon le commentaire de N. Capus ez A. Beretta (« Balance ton porc » : une dénonciation payée au prix fort ; Commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 6B_ 1356/2016, Newsletter DroitDuTravail.ch février 2018), cet cet arrêt met en exergue l’importance d’examiner, en premier lieu, les circonstances dans lesquelles l’enregistrement illicite a eu lieu, avant de se pencher sur le contenu de celui-ci.

Le Tribunal fédéral a nié à l’employée le droit d’invoquer la légitime défense ou l’état de nécessité licite parce qu’il a considéré qu’elle ne pouvait pas s’attendre à ce que la partie plaignante lui propose d’avoir des relations sexuelles et, corollairement, qu’un bien juridique individuel soit menacé. Tout au plus, selon notre Haute Cour, elle ne pouvait envisager qu’un licenciement. Dans la mesure où celui-ci ne contrevenait pas aux dispositions légales, il ne s’agissait pas d’une attaque contraire au droit, si bien que les Juges de Mon-Repos ont considéré qu’elle ne pouvait se prévaloir d’un état de nécessité licite ou de légitime défense.

Même si elle avait pu prévoir la proposition indécente de son supérieur, l’employée ne pouvait de toute façon pas, via l’enregistrement de l’entretien de licenciement, conserver valablement son emploi puisque la résiliation de son contrat était justifiée par des résultats insatisfaisants. Partant, ledit enregistrement n’était pas propre à contrer l’agression puisqu’un refus de la proposition suffisait. En tous les cas, ce moyen ne respectait pas le principe de proportionnalité par rapport au but visé, si bien que l’employée ne pouvait pas se prévaloir d’un fait justificatif, même sous l’angle de l’abus de détresse.

(Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1356/2016 du 05 janvier 2018, destiné à la publication)

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Yverdon

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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