
Le litige porte sur un ancien fonctionnaire de l’administration genevoise, engagé en 2018 comme conseiller en personnel à l’Office cantonal de l’emploi (OCE) et nommé fonctionnaire en décembre 2020. En janvier 2024, cet employé a été condamné par ordonnance pénale à 120 jours-amende avec sursis pour fraude électorale. Il lui était reproché, dans le cadre d’une mission de juré au dépouillement centralisé des élections du Grand Conseil, d’avoir faussé volontairement les résultats de 530 bulletins en faveur de plusieurs candidats. La condamnation, qui n’a pas été contestée, a été immédiatement transmise à son employeur, comme le prévoit la loi dans les cas où des faits de nature pénale touchent à la crédibilité professionnelle d’un agent public.
Informé de la situation, l’OCE a engagé une procédure disciplinaire à l’encontre de l’employé. Lors de son audition, ce dernier a reconnu les faits et expliqué avoir agi sous l’effet d’un médicament. Il a aussi évoqué un climat de travail difficile et du mobbing, tout en déclarant accepter sa mise à pied si elle devait être décidée. L’OCE a estimé que les agissements en cause étaient incompatibles avec les devoirs inhérents à la fonction publique, notamment le devoir de loyauté envers l’État, et a prononcé son licenciement avec effet au 30 juin 2024. Cette décision n’a pas été attaquée.
Par la suite, un certificat de travail lui a été délivré, dans lequel figuraient des mentions globalement positives sur la qualité de son travail, son efficacité, son autonomie et ses bonnes relations avec les usagers et collègues. Cependant, le document mentionnait également que l’intéressé avait adopté un comportement hors service de nature à rompre la confiance requise par l’exercice d’une fonction publique, ce qui avait conduit à la fin des rapports de service. L’ancien employé a contesté cette formulation, arguant qu’elle portait atteinte à ses chances de retrouver un emploi et qu’elle faisait référence à des faits étrangers à son activité professionnelle, pour lesquels il avait déjà été sanctionné pénalement.
Il a adressé plusieurs demandes à l’OCE afin de faire supprimer ce paragraphe, affirmant que les faits incriminés s’étaient produits dans le cadre d’une activité bénévole sans rapport avec ses fonctions, qu’ils n’avaient eu aucune incidence sur son travail, et que leur mention constituait une sanction supplémentaire indélébile. Il s’est vu opposer un refus. Le Département de l’économie et de l’emploi a estimé que la mention en cause était conforme à la vérité et nécessaire, dans la mesure où le comportement reproché avait directement conduit à la rupture du lien de confiance entre l’employeur public et le fonctionnaire.
Saisie d’un recours contre cette décision, l’ancien fonctionnaire a demandé à la chambre administrative de faire retirer la mention litigieuse, de constater que la transmission de l’ordonnance pénale avait été illégale, et de reconnaître que l’OCE avait violé ses droits. Il faisait valoir que la loi sur la protection des données personnelles (LIPAD) interdisait la détention de telles informations par son employeur, qu’il ne s’agissait pas d’une infraction liée à ses fonctions, et que les conséquences de cette mention sur sa vie professionnelle étaient disproportionnées. Il expliquait également que cette formulation l’avait empêché d’être engagé par un employeur public, et avait contribué à son licenciement par un autre employeur privé, en pleine période d’essai.
La chambre administrative a d’abord rejeté toutes les demandes de mesures d’instruction supplémentaires. Elle a considéré que les faits pertinents étaient déjà suffisamment établis par les décisions précédentes, entrées en force, et qu’aucune audition de témoins ni production de pièces ne pouvait raisonnablement faire changer l’issue du litige. Sur le fond, la cour a rappelé que le certificat de travail doit à la fois répondre aux principes de vérité, de complétude et de bienveillance. Il doit refléter de manière fidèle l’ensemble de la relation de travail, y compris ses aspects problématiques si ceux-ci sont significatifs. L’employeur a la liberté de rédaction, tant que celle-ci reste exempte de toute formulation vexatoire ou ambiguë. Il est aussi reconnu que les faits ayant conduit à la rupture du contrat peuvent être mentionnés si cela est pertinent pour une évaluation complète du parcours professionnel.
En l’espèce, la chambre a confirmé que la transmission de l’ordonnance pénale par le Ministère public à l’employeur était légale. Cette transmission était expressément prévue par les directives internes du Ministère public genevois, lesquelles sont fondées sur le code de procédure pénale suisse. La cour a relevé que la fraude électorale commise par le recourant remettait gravement en question sa capacité à représenter l’État de manière crédible, même si elle avait été commise en dehors du cadre professionnel. Elle a estimé qu’un tel comportement est de nature à rompre la confiance que les citoyens doivent pouvoir placer dans les agents de l’administration, indépendamment du niveau hiérarchique ou de la fonction précise exercée.
En ce qui concerne la formulation du certificat de travail, la cour a jugé qu’elle reflétait de manière équilibrée la réalité. Elle tenait compte de la gravité du comportement reproché, sans pour autant être stigmatisante. La mention litigieuse ne faisait pas référence explicite à la fraude électorale, mais à une rupture de confiance découlant d’un comportement hors service. L’ensemble du certificat contenait d’ailleurs de nombreuses appréciations favorables, ce qui contribuait à une présentation nuancée de la situation.
La cour a donc considéré que le certificat contesté était conforme aux exigences légales. Il n’était pas possible d’en exiger une version expurgée du motif de la fin des rapports de travail, sous peine d’induire en erreur de futurs employeurs. Le recours a dès lors été rejeté dans son ensemble. Le recourant a été condamné à verser un émolument de 500 francs et n’a pas obtenu d’indemnité de procédure.
Cette décision confirme, pour les praticiens RH, que la loyauté attendue d’un agent public ne s’arrête pas à la porte du service. Des faits commis dans la sphère privée peuvent, lorsqu’ils touchent à des valeurs fondamentales comme la probité ou la légalité, justifier une rupture de contrat et figurer dans un certificat de travail, pour autant que leur mention respecte les principes de proportionnalité, de vérité et de bienveillance. La rédaction d’un certificat doit ainsi être équilibrée, ni dissimulatrice, ni inutilement punitive, mais reflétant l’ensemble de la relation de travail, en particulier lorsqu’il s’agit de postes dans l’administration publique.
(Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève ATA/499/2025 du 6 mai 2025)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM