
Dans le jugement attaqué, le Tribunal a constaté que la lettre de licenciement du 24 août 2020 n’avait été reçue par l’intimé que le 7 septembre 2020. Examinant ensuite si le courriel adressé le 31 août 2020 dans la soirée par D______ à l’intimé devait être considéré comme une déclaration de licenciement, il a considéré que tel n’était pas le cas, relevant notamment que ledit courriel ne comportait aucune signature, qu’il émanait de l’adresse électronique privée d’une personne ne disposant pas des pouvoirs pour représenter l’appelante, qu’il avait été envoyé en réponse à un courriel de l’intimé annonçant son intention de reprendre son travail le lendemain et que, du fait que son contenu pouvait légitimement paraître incompréhensible pour son destinataire, il ne comportait pas de déclaration de volonté claire et précise de résilier le contrat de travail. Le délai de résiliation de deux mois pour la fin d’un mois devait donc être calculé à compter du 7 septembre 2020, avec pour conséquence que le contrat avait pris fin le 30 novembre 2020.
La résiliation du contrat de travail constitue un droit formateur qui s’exerce par une déclaration de volonté soumise à réception. Une telle déclaration est en principe inconditionnelle et irrévocable, la doctrine et la jurisprudence admettant toutefois qu’elle puisse être assortie de conditions, pour autant que sa réalisation dépende uniquement de la volonté du destinataire, de manière à ce que ce dernier ne se trouve pas dans l’incertitude quant à la continuation des rapports de travail. Pour cette même raison, la déclaration de résiliation doit être claire et précise, de manière à ce que son destinataire ne puisse éprouver de doute sur la volonté de son auteur de mettre, par cette déclaration, un terme au contrat de travail.
Savoir si l’on est en présence d’une déclaration de résiliation est une question d’interprétation. Il s’agira donc, dans un premier temps, de rechercher, en prenant en considération l’ensemble des circonstances, quelle était la volonté réelle de l’auteur de la déclaration. Si cette volonté ne peut être établie, ou s’il ne peut être établi que le destinataire de la déclaration l’a comprise – soit s’il existe une divergence entre le sens voulu par le déclarant et celui compris par le destinataire – il conviendra d’interpréter cette déclaration selon le principe de la confiance, autrement dit de rechercher quel sens pouvait et devait raisonnablement lui donner, au vu de l’ensemble des circonstances existant lors de sa réception, le destinataire, selon les règles de la bonne foi.
Pour être valable, la résiliation doit émaner de la partie ou d’un représentant de celle-ci; le congé donné au nom d’une personne morale doit donc être signifié par un organe habilité à la représenter ou par une personne autorisée à cet effet. Une ratification a posteriori, par un organe ou une personne disposant des pouvoirs nécessaires, d’une résiliation initialement signifiée par une personne sans pouvoirs est possible mais, à moins qu’elle n’intervienne avant que le destinataire ait eu des doutes sur l’existence des pouvoirs nécessaires, ne pourra tout au plus déployer ses effets qu’à compter du moment où elle est émise.
En l’espèce, il n’est pas contesté en l’espèce que la résiliation est intervenue au plus tard le 7 septembre 2020, date à laquelle l’intimé [ = le travailleur] a reçu le pli recommandé contenant la lettre de licenciement du 24 août 2020. Le litige porte donc sur la question de savoir si l’intimé a reçu de l’appelante [ = l’employeuse] une autre déclaration de volonté par laquelle elle lui aurait signifié la résiliation du contrat de travail, et ce avant le 1er septembre 2020.
L’appelante insinue à cet égard dans ses écritures d’appel (ch. 15 et 34) que, « selon toute vraisemblance », l’intimé aurait reçu l’exemplaire de la lettre de licenciement du 24 août 2020 expédié par pli simple avant le 1er septembre 2020. Ce fait n’a toutefois jamais été allégué et encore moins prouvé, de telle sorte qu’il ne saurait être tenu pour établi.
Seul reste donc à examiner si le courriel expédié le 31 août 2020 à l’intimé par D______ – dont il n’est pas contesté qu’il en a pris connaissance le jour même – doit être interprété comme une déclaration de résiliation du contrat de travail.
Sous l’angle de son interprétation subjective, on peut douter en premier lieu que, par ce courriel, l’appelante ait véritablement voulu mettre un terme aux relations de travail entre les parties. Il résulte au contraire des termes mêmes de ce courrier que, pour l’appelante, le contrat avait déjà été résilié par l’expédition, le 24 août 2020, d’une lettre de résiliation : une seconde résiliation paraissait donc superflue. D’autre part, et comme l’a relevé le Tribunal, le courriel du 31 août 2020 n’a pas été adressé à l’intimé de manière spontanée, mais en réaction à la déclaration d’intention de ce dernier de reprendre son poste de travail dès le lendemain; c’est cette question de la reprise ou non de son activité par l’intimé qui constitue l’objet principal du courriel, la résiliation prétendument déjà intervenue n’en constituant que le motif. Une volonté de l’appelante de mettre un terme au contrat par le courriel du 31 août 2020 n’est ainsi pas établie.
Toujours sous l’angle d’une interprétation subjective dudit courriel, il ne ressort nullement du dossier, contrairement à ce que soutient l’appelante, que l’intimé l’aurait clairement identifié comme une déclaration de volonté emportant résiliation des rapports de travail. C’est même le contraire qui résulte de sa réponse du même jour, dans laquelle il distingue entre le souhait – identifié et reconnu – de l’appelante de le licencier et la mise en œuvre de cette intention sous forme de la signification du congé, en l’état et selon lui non encore intervenue. L’intimé motive son point de vue en mentionnant les formes qui devraient selon lui être respectées pour une telle signification, se méprenant certes sur la nécessité de la forme écrite mais relevant à juste titre que la résiliation devait provenir de « l’entreprise », soit de la personne morale, mettant ainsi implicitement en doute la capacité de l’expéditrice du courriel à représenter cette dernière.
Ni une volonté réelle de l’appelante de résilier le contrat par le courriel du 31 août 2020 ni une compréhension claire de cette volonté par l’intimé n’étant établies en fait, il se justifiait, comme l’a fait le Tribunal, de procéder à l’interprétation objective dudit courriel, autrement dit de dégager le sens que pouvait et devait lui donner de bonne foi une personne raisonnable au vu des circonstances existant au moment de sa réception.
En l’absence de critique de la part de l’appelant sur ce volet de la motivation, on peut se référer sur ce point aux considérations topiques du Tribunal, lequel a relevé que le courriel du 31 août 2020, expédié de l’adresse électronique privée d’une secrétaire comptable ne disposant pas du pouvoir de représenter la société mais mentionnant néanmoins la « direction », se référant à une lettre de résiliation non encore reçue et se prononçant principalement sur la question de la reprise de son activité par l’employé, pouvait légitimement paraître incompréhensible pour ce dernier. Il faut y ajouter qu’aucun élément du dossier ne permet de retenir que l’auteur de ce courriel, D______, aurait bénéficié d’une procuration l’autorisant à accomplir des actes juridiques au nom et pour le compte de l’appelante, de telle sorte que, même claire, précise et non équivoque, une résiliation donnée par elle aurait dû être ratifiée par C______.
C’est donc à juste titre que le Tribunal a retenu que la résiliation du contrat de travail était intervenue en septembre 2020, avec pour conséquence que, compte tenu des délai et terme de résiliation, les rapports de travail ont pris fin le 30 novembre 2020. L’appel principal doit ainsi être rejeté.
(Arrêt de la Chambre des Prud’hommes de la Cour de Justice [GE] CAPH/56/2023 du 23.05.2023, consid. 4)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)