Licenciement immédiat du travailleur en raison d’un accès indu à des données non ou mal protégées

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Selon l’art. 337 CO, l’employeur comme le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1) ; constituent notamment de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2). Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive (licenciement immédiat). Les faits invoqués à l’appui d’un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du rapport du travail. Il ne suffit pas que la relation de confiance entre les parties soit détruite sur le plan subjectif. Encore faut-il que, objectivement, la continuation des rapports de travail jusqu’à l’échéance du contrat ne puisse pas être attendue de la partie qui donne le congé.

D’après la jurisprudence, seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat. Si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement. Le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). Il applique les règles de la bonne foi et de l’équité (art. 4 CC). Lorsqu’il statue sur l’existence de justes motifs, le juge se prononce à la lumière de toutes les circonstances du cas d’espèce. Les juridictions cantonales disposent à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation.

En particulier, un manquement au devoir de fidélité du travailleur (cf. art. 321a CO) peut constituer un juste motif de congé. Selon la jurisprudence, les rapports de confiance sont à la base du rapport du contrat de travail, à telle enseigne que si ceux-ci sont ébranlés ou détruits, notamment en raison du devoir de fidélité du travailleur, cela peut légitimer la cessation immédiate des rapports de travail (ATF 127 III 86 consid. 2c ; TF 4A_246/2020 du 23 juin 2020

En l’espèce, les premiers juges ont nié l’existence de justes motifs dès lors que l’intimé [= l’employé]  avait accès au bureau et à l’ordinateur de la directrice, qu’il n’était pas établi qu’il avait utilisé un mot de passe frauduleusement et qu’il existait une faille de sécurité en lien avec le stockage des données personnelles accessibles sur le réseau de l’appelante [= l’employeuse], faille sur laquelle l’intimé avait attiré l’attention, à tout le moins au mois de mai 2017, voire en 2015 déjà.

Ce raisonnement ne saurait être suivi. Il n’est certes pas contesté que le bureau et l’ordinateur de G.________ [directrice de l’employeuse] pouvaient être utilisés par d’autres employés de l’appelante et que certaines données pouvaient être accessibles du fait de la faille de sécurité. Mais cela ne justifiait aucunement que l’intimé procède à des investigations poussées dans les dossiers personnels des élèves et des employés – dont celui de G.________ – et dans des documents personnels de cette dernière. C’est une chose d’avoir la possibilité d’accéder à des documents ; c’en est une autre que d’y accéder effectivement, de fureter dans des documents concernant des tiers, contenant des informations personnelles, de s’en vanter et de menacer de s’en servir. Contrairement à ce qu’a retenu l’autorité inférieure, l’argument de la faille sécuritaire ne légitimait pas l’intimé à éplucher des documents privés concernant G.________ notamment, pas plus que le fait qu’un tiroir ne soit pas fermé à clef peut légitimer de prendre connaissance des documents confidentiels qu’il contiendrait. Il ne fait aucun doute que l’employé a longuement parcouru des données dont il ne pouvait ignorer qu’elles ne le concernaient pas et qu’elles comportaient des informations sensibles. C’est ainsi qu’il a pris connaissance notamment des échanges de la directrice de l’école avec les impôts au sujet de sa situation familiale et d’échanges privés de celle-ci avec sa mère. Il s’est ensuite vanté auprès d’une collaboratrice de l’appelante d’avoir découvert des documents « compromettants » selon lui, tout en qualifiant la directrice de « psychopathe ». Il est ainsi indubitable que le comportement de l’intimé est allé bien au-delà de la « curiosité malsaine » qu’ont retenu les premiers juges. Il s’agit là d’un comportement totalement inadmissible, qui ne peut en aucun cas laisser subsister le lien de confiance nécessaire entre l’employeur et le travailleur.

Dans ces conditions, force est d’admettre que les faits reprochés à l’employé ont entraîné une rupture irrémédiable du lien de confiance. Compte tenu de la gravité de ces faits, la poursuite des rapports de travail ne pouvait plus, selon les règles de la bonne foi, être exigée de l’appelante. Ces faits doivent être considérés comme extrêmement graves et constituent dès lors un juste motif de licenciement immédiat sans qu’un avertissement préalable soit nécessaire.

(Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal [VD] HC/2023/117 du 22.05.2023 consid. 3)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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