
La presse s’est fait l’écho de l’engagement d’une auxiliaire de vie scolaire par une petite commune fribourgeoise, auxiliaire qui aurait des sympathies politiques extrémistes comme le montreraient deux photographies reprises par la presse.
(Sources – Paywall : https://www.aargauerzeitung.ch/schweiz/extremismus-poster-girl-der-rechtsextremen-schweizer-gemeinde-laesst-neonazi-frau-kinder-betreuen-ld.2747083; https://www.msn.com/fr-ch/actualite/other/une-commune-romande-confie-ses-enfants-%C3%A0-une-influenceuse-n%C3%A9onazie/ar-AA1AWqYI?ocid=BingNewsSerp).
Je mets cela au conditionnel car les faits rapportés, et les photographies, ne sont pas datées. On ne sait pas si les faits rapportés, et les images, sont récentes ou non, et on ne connaît pas les déterminations de l’intéressée.
Il est possible que la presse ait été alimentée par un site de pilori électronique animé par certains milieux (sur cette notion : https://droitdutravailensuisse.com/2017/10/30/name-and-shame-electronique-et-gestion-du-personnel/).
Ce n’est pas exactement nouveau : on a ainsi jeté en pâture des employés d’une société de toilettes mobiles (https://www.20min.ch/fr/story/une-entreprise-vire-plusieurs-neonazis-299234337561), une dentiste (https://droitdutravailensuisse.com/2021/03/30/letrange-affaire-de-la-dentiste-tatouee/), etc.
Un intervenant a eu une réaction à ce propos qu’il convient de restituer.
A le lire, une telle situation devrait être comparée à une autre qu’il avait connue où, apparemment, une personne avait été condamnée dans son pays d’origine et révoquée de ses fonctions de professeur, alors qu’elle avait été engagée ensuite dans un établissement en Suisse. Et de suggérer que l’on fasse signer au candidat à un emploi un formulaire de consentement à une enquête de réputation sur les réseaux sociaux le concernant. Ceux qui refuseraient de signer seraient ceux qui sauraient ce qu’il en ressortirait, et donc…
Une bonne idée ?
Non, et pour plusieurs raisons.
Je passe sur le fait que l’on compare des pommes et des poires – rien ne dit, dans les articles en cause, que cette dame aurait été condamnée pour quoi que ce soit, contrairement à l’autre cas mis en avant par l’intervenant.
Prenons ensuite la question de la qualification du contrat. Très souvent, ce type de contrat irrégulier et à temps partiel, est un contrat de droit privé, quand bien même il est conclu par une collectivité publique ou une émanation de collectivités publiques (sur ces questions : https://droitdutravailensuisse.com/2024/03/20/collectivites-publiques-rapports-de-travail-de-droit-public-ou-de-droit-prive/).
La collecte de données est donc limitée par l’art. 328b CO et les principes de la loi sur la protection des données. Quoi qu’en en dise, les données sur les opinions politiques supposées d’un candidat ne sont pas en lien avec ses capacités ou avec l’exécution des prestations de travail. La collecte indiscriminée de données sur les réseaux sociaux viole également le principe de minimisation des données et celui de finalité (art. 6 al. 2 et al. 3 LPD).
Peut-on alors « guérir » ce qui précède en demandant au candidat son consentement à un traitement de données qui serait une « enquête de réputation » sur les réseaux sociaux ?
Non aussi, car le consentement ne serait pas donné librement en raison de l’inégalité des positions respectives des parties.
N’en déplaise à certains, les opinions politiques de travailleurs ne sont pas les affaires de l’employeur. Il existe certes des limites à ce principe : entreprises « à tendance », fonction publique en vertu du double devoir de fidélité – mais licencier un employé modeste à temps partiel sur la base de ses supposées opinions politiques serait clairement abusif. Le faire sur la base d’un traitement de données illicites aussi, et particulièrement ensuite d’une « enquête de réputation » intrusive et indiscriminée.
Pour mémoire on peut par ailleurs tout à fait réprimer le prosélytisme sur le lieu de travail, pour autant que l’employeur se soit réservé le droit de le faire dans son règlement du personnel.
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM