L’activité lucrative dépendante
Le critère déterminant pour distinguer l’activité lucrative dépendante de l’activité lucrative indépendante est celui du degré de dépendance personnelle et économique du contribuable dans le cadre de l’exercice de son activité. Exerce ainsi une activité lucrative dépendante celui qui s’engage pour une durée déterminée ou indéterminée à fournir des prestations contre rémunération en se soumettant aux instructions de l’employeur (rapport de dépendance). Est également déterminant le fait que l’employé ne supporte aucun risque spécifique à l’entrepreneur, et particulièrement le risque financier.
L’activité lucrative dépendante se déploie donc dans le cadre d’un rapport de travail, qu’il soit de droit privé ou de droit public, de courte ou de longue durée, de durée limitée ou illimitée. Il peut donc s’agir d’un contrat de travail au sens des art. 319 et ss CO, mais aussi d’un contrat d’apprentissage, d’un contrat d’engagement de voyageur de commerce, d’un contrat de travail à domicile ou d’une relation de travail fondée sur le droit public fédéral, cantonal ou communal.
Qu’en est-il de l’administrateur d’une société anonyme ? L’administrateur est au bénéfice d’un contrat de mandat au sens du droit civil, et non d’un contrat de travail avec la société. Au plan fiscal, il s’agit toutefois d’une activité dépendante dans la mesure où, notamment, l’activité des administrateurs n’est pas exercée à leurs propres risques et profits (ATF 121 I 259).
Par opposition à ce qui précède, l’activité lucrative indépendante est celle déployée par une personne intervenant à ses propres risques et périls sur le marché par la mise en œuvre de travail et de capital, dans le cadre d’une organisation propre et librement choisie, de manière durable, méthodique et reconnaissable par des tiers, et ce à des fins lucratives.
La qualification d’activité lucrative indépendante résulte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. En effet, l’art. 18 al. 1 LIFD se contente d’exposer que sont imposables tous les revenus provenant de l’exploitation d’une entreprise commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou sylvicole, de l’exercice d’une profession libérale ou de toute autre activité lucrative indépendante, mais n’expose pas davantage ce qu’il faut entendre par « activité lucrative indépendante ».
La doctrine et la jurisprudence ont donc développé certains critères qui permettent de caractériser l’activité indépendante.
Un de ces critères est celui du libre choix de l’organisation de l’activité, ce qui se conçoit aisément dans la mesure où l’activité dépendante se caractérise notamment par la possibilité de et recevoir des instructions et directives. L’indépendant s’organise donc comme il veut (et comme il peut). L’indépendant doit aussi avoir une structure et une organisation reconnaissables par des tiers. Quand ceux-ci entendent contracter avec un prestataire, ils doivent pouvoir reconnaître que l’indépendant agit pour son propre compte.
Plus important, l’indépendant met à contribution ses propres apports de travail et de capital dans son activité. Dans le cadre de l’activité dépendante, c’est l’employeur qui fournit les moyens matériels et financiers. Cela souligne que l’activité indépendante est exercée aux risques de l’entrepreneur, qui en supporte les conséquences, dans un but lucratif.
La différence entre l’activité dépendante et l’activité indépendante est déterminante en droit fiscal, notamment pour déterminer le régime des déductions applicables au revenu en question. L’imposition de l’activité dépendante porte en effet sur le revenu net, soit le revenu brut déduction faite des frais d’acquisition du revenu et de certaines déductions. L’imposition de l’activité indépendante obéit quant à elle à de toutes autres règles. Le revenu imposable correspond à la différence de l’état de la fortune de l’indépendant au début et à la fin de la période considérée, augmentée des prélèvements privés et diminuée des apports de capital. Il s’agit, en d’autres termes, du solde du compte de pertes et profits pour les contribuables astreints à tenir une comptabilité (art. 18 al. 3 et 58 LIFD). Pour ce qui est des déductions, tous les frais justifiés par l’usage commercial sont admis (art. 27 al. 1 LIFD).
Le revenu de l’activité lucrative dépendante
Le « revenu de l’activité lucrative dépendante » est une notion plus large, plus englobante que le « salaire » au sens du droit du travail. Il ne distingue ainsi pas le revenu principal ou accessoire, son caractère certain ou dépendant de l’employeur, le fait qu’il soit unique ou périodique, etc.
Sont donc imposables selon les art. 17 al. 1 LIFD et 7 al. 1 LHID tous les revenus provenant d’une activité exercée dans le cadre d’un rapport de travail, qu’elle soit régie par le droit privé ou par le droit public. Font donc notamment partie du revenu de l’activité lucrative dépendante : la rémunération prévue par le contrat, les conventions collectives ou les contrats-types ; les prestations à bien plaire de l’employeur (bonus, primes, gratifications, etc.) ; les avantages en nature ; les prestations appréciables en argent (octroi de prêt à un taux préférentiel, mise à disposition d’un appartement ou d’une voiture, etc.) ; les commissions sur le bénéfice ou le chiffre d’affaire ; les pourboires ; les remboursements de frais s’ils dépassent les frais effectifs encourus ; les contributions de l’employeur aux assurances sociales pour le compte du salarié ; les frais de formation, de perfectionnement et de reconversion pris en charge par l’employeur ; l’octroi d’actions ou d’options à des tarifs préférentiels ; etc. La dénomination ou la forme du revenu importe peu.
La notion d’ « activité lucrative dépendante » est autonome, et ne se résout pas à d’autres qui ressortiraient du droit des assurances sociales ou du droit des obligations, lesquelles peuvent toutefois constituer des indices. Ainsi, il est courant que les caisses de compensation estiment qu’en dessous d’un certain nombre de « clients » un « indépendant » est en fait engagé dans une activité lucrative dépendante, alors que les autorités fiscales pourront retenir une solution inverse.
La détermination et l’évaluation de certaines prestations en nature de l’employeur, qui constituent un revenu de l’activité lucrative dépendante au sens de ce qui précède, peuvent parfois poser des problèmes pratiques importants.
Les administrations fiscales émettent donc périodiquement des directives ou notices sur tel ou tel de ces éléments de revenu, permettant par exemple de donner une « valeur » à la mise à disposition d’un logement ou d’un véhicule, à la fourniture de repas, etc.
Les déductions organiques
L’impôt sur le revenu frappe les personnes physiques sur leur revenu net.
Le principe de l’imposition selon la capacité contributive entraîne en effet que l’on doit déduire du revenu les frais de son acquisition (déductions dites « organiques » : art. 26 LIFD et 9 al. 1 LHID)).
A teneur de l’art. 26 al. 1 LIFD , les frais d’acquisition du revenu (frais professionnels) qui peuvent être déduits sont :
(a) les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail ;
(b) les frais supplémentaires résultant des repas pris hors du domicile et du travail par équipes ;
(c) les autres frais indispensables à l’exercice de la profession ; et
(d) les frais de perfectionnement et de reconversion professionnels en rapport avec l’activité exercée.
Le principe de la déduction des frais professionnels est le suivant :
Le contribuable peut déduire les dépenses nécessaires à l’acquisition du revenu et ayant un lien de causalité direct avec lui. Il doit s’agir de dépenses faites immédiatement et en rapport direct avec l’obtention du revenu. Il suffit que la dépense soit économiquement nécessaire aux fins d’obtenir le revenu et que l’on ne saurait exiger du contribuable qu’il s’en abstienne. C’est le critère de la « finalité ». A cela s’ajoute, dans la doctrine et la jurisprudence récentes, le critère de la causalité. On doit aussi considérer comme déductibles les frais causés par l’exercice de l’activité lucrative dépendante. Les frais doivent être la conséquence de l’activité en cause, et être occasionnés par celle-ci.
Sont par contre exclus des frais professionnels déductibles les dépenses préparatoires à l’acquisition du revenu, les frais d’entretien du contribuable et de sa famille ou les frais de formation professionnelle.
Concernant plus particulièrement les frais de déplacement, le contribuable exerçant une activité lucrative dépendante peut déduire les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail. Les frais d’entretien du contribuable et de sa famille, y compris les dépenses privées résultant de sa situation professionnelle, ne peuvent toutefois pas être déduits (art. 34 let. a LIFD).
la loi fédérale sur le financement et l’aménagement de l’infrastructure ferroviaire (entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2016) devrait limiter les déductions admissibles pour ces frais à un plafond de CHF 3’000.- annuellement. Les cantons devraient suivre cette voie et limiter également la déductibilité des frais de transport.
Venons-en maintenant aux frais supplémentaires de repas pris hors du domicile et de travail par équipes.
Le contribuable peut faire valoir des déductions forfaitaires quand son domicile et son lieu de travail sont très éloignés l’un de l’autre ou parce que la pause repas est trop courte ou encore en cas de travail par équipes ou de nuit à horaire continu. Dans ces hypothèses, il est effectivement contraint de manger à l’extérieur.
Une demi-déduction est autorisée lorsque l’employeur contribue à l’abaissement du prix des repas par un moyen autre qu’en espèces (remise de bons) ou lorsque les repas peuvent être pris dans une cantine, dans un restaurant pour le personnel ou un restaurant de l’employeur.
Selon l’art. 9 de l’Ordonnance sur les frais professionnels, le contribuable qui, pendant les jours de travail, séjourne là où il travaille et qui doit par conséquent y passer la nuit, mais qui, les jours fériés, regagne régulièrement son domicile fiscal, peut déduire le surplus de dépenses résultant de son séjour hors du lieu de domicile.
Le contribuable peut ainsi faire valoir, outre la déduction pour repas pris hors du domicile, la déduction du montant du loyer d’une chambre conformément aux loyers usuels au lieu de séjour, les frais résultant du retour régulier au domicile fiscal et ceux nécessités au lieu de séjour par le déplacement entre le logement et le lieu de travail.
De telles déductions peuvent toutefois être refusées si le retour quotidien au lieu du domicile est réputé convenable en fonction notamment de la distance et des transports publics à disposition. On estime en générale « convenables » des temps de trajets inférieurs à 2 heures et demie par jour.
Sont réputés enfin autres frais professionnels pouvant faire l’objet d’une déduction forfaitaire les dépenses indispensables à l’exercice de la profession, soit l’outillage professionnel (y compris le matériel informatique et les logiciels), les ouvrages professionnels, l’utilisation d’une chambre de travail privée, les vêtements professionnels, l’usure exceptionnelle des chaussures et des vêtements, l’exécution de travaux pénibles, etc. Sont réservées la justification de frais plus élevés et la déduction des frais de perfectionnement et de reconversion professionnels.
Ainsi, les frais relatifs à l’achat d’un ordinateur personnel peuvent être déductibles lorsque, d’après une appréciation économique, ils peuvent apparaître comme favorables à l’obtention d’un revenu et qu’on ne peut raisonnablement exiger du contribuable qu’il y renonce.
Les vêtements spécialement utilisés pour l’exercice de la profession sont déductibles, mais non les habits ordinaires utilisés dans le cadre du travail. Une secrétaire ne pourra pas déduire les frais d’acquisition de son tailleur, mais un laborant pourra déduire le montant de l’achat de ses blouses de travail si cela ne lui est pas remboursé par l’employeur.
L’utilisation d’une chambre privée au domicile du contribuable pour l’exercice de l’activité dépendante a donné lieu à une abondante jurisprudence. Celle-ci retient que le contribuable qui, pour des raisons de convenance personnelle, préfère s’acquitter de tâches professionnelles à la maison alors qu’il pourrait utiliser un local à sa place de travail, n’a aucun droit à la déduction pour une chambre de travail privée (cf. par exemple arrêt 2C_326/2008 du 23 septembre 2008 consid. 4.4, in RDAF 2008 II 519). Le caractère nécessaire va dépendre des circonstances, mais la pratique est stricte, en ce sens où, pour admettre une telle déduction, l’exercice des tâches sur le lieu du travail ne doit pas être possible ou à tout le moins ne pas être raisonnablement exigible.
La situation des frais de perfectionnement et de reconversion est particulièrement complexe.
Avant le 1er janvier 2016, sont déductibles les frais de perfectionnement et de reconversion professionnels qui sont en rapport direct avec l’activité actuelle du contribuable. Ne sont par contre pas déductibles les frais de formation proprement dits.
La distinction entre frais de perfectionnement déductibles (Weiterbildungskosten), d’une part, et frais de formation (Ausbildungskosten) non déductibles, d’autre part, est extrêmement délicate.
On retient en général que les frais de formation sont ceux qui sont indispensables pour acquérir les capacités et connaissances nécessaires à l’exercice d’une profession – par exemple l’apprentissage, l’école de commerce, la maturité, les études, etc.
Font en revanche partie des frais de perfectionnement ceux qui permettent au contribuable de garder un certain niveau de connaissances dans la profession choisie ou de satisfaire aux exigences croissantes ou nouvelles de sa profession. En font aussi partie les frais pour rafraîchir ou revoir des notions déjà apprises (par exemple les cours de répétition ou de perfectionnement propres à la branche, les séminaires, congrès, etc.). Sont également déductibles les dépenses permettant de s’adapter à l’évolution de la profession apprise et exercée.
Pour déterminer si les frais supportés sont des frais de perfectionnement déductibles, il faut examiner s’ils sont en rapport direct et objectif avec la profession exercée. On peut, dans ce cadre, faire la distinction entre les frais destinés à une promotion professionnelle, déductibles pour autant qu’ils permettent au contribuable de mieux exercer sa profession actuelle ou de mieux répondre aux exigences de celle-ci, et les frais « d’ascension professionnelle », non déductibles car, consentis en définitive en vue d’une nouvelle formation et engagés afin de progresser dans une position professionnelle plus élevée qui se différencie de la profession actuelle.
La distinction faite entre frais de perfectionnement et de formation est, en pratique, assez difficile à établir. La jurisprudence se livre à des considérations parfois acrobatiques, voire incompréhensibles (voir par exemple les décisions résumées dans RDAF 2009 II 587).
Cette situation, profondément insatisfaisante, change dès le 1er janvier 2016 avec l’entrée en vigueur de la loi fédérale du 27 septembre 2013 sur l’imposition des frais de formation et de perfectionnement à des fins professionnelles.
Celle-ci prévoit notamment que sont déduits du revenu les frais de formation et de perfectionnement à des fins professionnelles, frais de reconversion compris, jusqu’à concurrence de CHF 12’000.- pour autant que le contribuable remplisse les conditions suivantes : il est titulaire d’un diplôme du degré secondaire II, il a atteint l’âge de 20 ans et suit une formation visant à l’obtention d’un diplôme autre qu’un premier diplôme du degré secondaire II.
La loi prévoit aussi que les frais de formation et de perfectionnement à des fins professionnelles assumés par l’employeur, frais de reconversion compris, ne constituent pas des avantages appréciables en argent qui rentrent dans la détermination du revenu de l’activité dépendante de l’employé. Ils constituent par contre des charges justifiées par l’usage commercial déductibles pour l’employeur.
Les cantons seront libres de fixer une limite supérieure à CHF 12’000.- pour les impôts cantonaux.
La nouvelle déduction ne s’appliquera donc pas seulement comme jusqu’à présent aux frais de perfectionnement, mais sera valable pour tous les frais de formation et de reconversion professionnelle.
La problématique des frais de représentation est à distinguer des déductions organiques susmentionnées. En effet, il ne s’agit pas de frais engagés en vue de l’obtention d’un revenu mais de frais engagés dans le cadre de l’activité professionnelle et qui sont « remboursés » par l’employeur, même selon un certain schématisme.
Les frais de représentation ne constituent donc pas un revenu de l’activité dépendante, pour autant qu’ils respectent certaines limites, variables selon les cantons et le statut des collaborateurs. Si les frais de représentation dépassent ces montants limites, alors ils devront être considérés comme un revenu imposable.
Les cantons connaissent presque tous des règlements types ou des systèmes d’approbation des règlements d’entreprise. Il convient de s’y référer.
Concernant les prestations de l’assurance-chômage, le Tribunal fédéral a eu occasion de relever qu’eu égard au rapport étroit entre les prestations de l’assurance-chômage et les revenus provenant d’un rapport de travail, il paraît adéquat d’étendre les forfaits déterminants pour cette dernière catégorie aux prestations de l’assurance-chômage. Comme les prestations de l’assurance-chômage constituent un revenu de remplacement pour une activité lucrative dépendante selon l’article 23 let. 1 LIFD, il serait envisageable de les assimiler aux revenus d’une activité lucrative dépendante et de leur appliquer ainsi directement la réglementation de la déduction des frais d’acquisition du revenu pour les travailleurs dépendant de l’art. 26 LIFD (RDAF 2009 II 422). Des déductions « organiques » devraient donc pouvoir être permises en rapport avec le revenu de substitution que constituent les prestations de l’assurance-chômage. Le Tribunal fédéral a ainsi admis les dépenses revendiquées pour l’équipement informatique en hard- et software et pour l’accès à internet, mais en déduisant une part privée pour utilisation extraprofessionnelle de 50%. Les dépenses pour des dossiers de candidature, téléphones, frais de voyage et cotisations à des organisations professionnelles devraient aussi être admises dans la limite des forfaits pour frais professionnels.
Pour en savoir plus:
Se former:
Salaire, bonus, gratification, intéressement – Comprendre et maîtriser les aspects légaux de la rémunération, Lausanne, 11 octobre 2016
Lire:
Philippe Ehrenström, Le salaire. Droit du travail, fiscalité, prévoyance – regards croisés, Zurich, Weka, 2015, chap. 6