A propos de:
Emily Meller/Jessica Salom, Le salaire excessif en droit fiscal suisse, in : RDAF 2011 II pp. 106-126
Il est généralement admis en droit du travail que la liberté contractuelle est limitée par diverses normes de droit public ou par les clauses contenues dans une convention collective de travail (CCT) ou dans un contrat-type. C’est particulièrement le cas pour ce qui est de la liberté de fixer le salaire : une rémunération réelle inférieure aux minima d’une CCT doit ainsi céder le pas au salaire conventionnel par exemple.
Ces entraves à la libre formation de la volonté des parties au contrat sont bien connues et ne suscitent guère de débats. Elles sont en effet protectrices, et découlent de l’inégalité des parties.
Les praticiens du droit du travail connaissent bien ces correctifs visant à corriger l’asymétrie contractuelle en faveur de la partie la plus faible. Ils doivent toutefois faire attention à un phénomène nouveau et multiforme, celui d’entraves croissantes portées à la liberté contractuelle de parties dont la faiblesse n’apparaît pas toujours évidente, et qui reposent non sur des considérations de justice sociale ou d’égalité des droits, mais sur des motifs très variés et pas toujours cohérents.
On prendra ici pour exemple la question du « salaire excessif » en droit fiscal, laquelle a un impact considérable sur les rémunérations versées par l’employeur et peut entraîner des conséquences catastrophiques pour celui-ci (et donc pour son mandataire). C’est tout le mérite de l’article d’Emily Meller et Jessica Salom de résumer de manière concise et compréhensible les différents aspects d’une problématique compliquée, et avec laquelle les praticiens du droit du travail ne sont pas familiers.
Rappelons tout d’abord que l’actionnaire-employé, de par l’art. 680 CO, n’est soumis à aucun autre devoir que de libérer le montant des actions souscrites. Il n’a en particulier aucune obligation accessoire ou de fidélité envers la société, et n’est pas tenu spécifiquement de défendre ou de promouvoir ses intérêts, sauf obligations spécifiques attachées aux fonctions d’administrateur ou d’employé.
Cela étant dit, l’actionnaire peut être soumis à certaines tentations découlant de la double imposition économique des sociétés. Celles-ci sont en effet taxées deux fois ; une première sur le bénéfice au niveau de la société, puis une seconde lorsque ce même bénéfice est distribué sous forme de dividendes aux actionnaires (et ce sans compter encore l’impôt anticipé). Il s’agit d’une double imposition économique, en ce que la charge fiscale pèse sur un même objet mais auprès de deux contribuables différents.
Pour éviter la double imposition, l’actionnaire peut se faire octroyer par la société qui l’emploie divers avantages qui n’auraient pas été consentis à des tiers : prestations en nature, rémunérations exagérées (c’est notre « salaire excessif») ou de complaisances, prêts factices, etc. toutes formes de ce qui constitue en réalité une distribution cachée de dividende à l’actionnaire. Une telle distribution peut être redressée au niveau des charges de la société puis au niveau du revenu de l’actionnaire, l’impôt anticipé devant aussi être prélevé avec des conséquences dévastatrices en cas de non déclaration de celui-ci.
Alors certes le « salaire excessif » doit s’apprécier en gardant en mémoire la très grande liberté dont dispose l’employeur pour fixer la rémunération de l’employé, mais cette liberté doit toutefois aboutir à un résultat qui aurait été celui atteint en situation de pleine concurrence. La rémunération doit correspondre à celle qui aurait été octroyée à une personne tierce dans des circonstances identiques. L’élément déterminant est donc bien qu’il doit s’agir d’une rémunération conforme au marché. La pratique administrative a dès lors développé des méthodes permettant de déterminer de manière schématique une rémunération de l’actionnaire-employé « non excessive » et donc supposée conforme au principe de pleine concurrence et donc au marché.
En Suisse romande, c’est la méthode dite « valaisanne » qui est la plus fréquemment utilisée. Selon cette dernière, il faut en premier lieu déterminer un salaire de base moyen, établi généralement sur la base de statistiques qui tiennent compte de la fonction, de l’expérience et de la formation. Le salaire de base ainsi obtenu est ensuite augmenté d’une participation au chiffre d’affaires et d’une part du bénéfice.
Ce n’est qu’après avoir obtenu le « salaire admissible » selon la méthode valaisanne qu’il faut y comparer le salaire réellement versé à l’actionnaire employé. S’il y a disproportion entre les deux, il faut ensuite déterminer s’il y a une distribution cachée de dividende et donc prestation appréciable en argent à l’actionnaire au sens des critères jurisprudentiels usuels, soit une disproportion reconnaissable par les organes entre la prestation et la contre-prestation qui profite à l’actionnaire ou à un proche et dont la cause est dans le rapport de sociétariat.
Meller et Salom relèvent très justement que la problématique du « salaire excessif » risque de s’inverser avec le temps. En effet, la double imposition économique a été partiellement allégée depuis le 1er janvier 2009 et l’introduction de l’art. 20 al. 1 bis LIFD qui prévoit une imposition partielle des dividendes à hauteur de 60% lorsque le contribuable détient au moins 10% des parts de la société distributrice. Le « bénéfice économique » d’une surévaluation du salaire au détriment des dividendes diminue donc sensiblement.
Cela étant dit, on pourrait alors se poser la question miroir du « salaire insuffisant », i.e. d’un gonflement des dividendes par rapport au salaire. Dans le droit des assurances sociales, on admet dans certaines circonstances qu’une part des dividendes puisse s’ajouter au salaire et être soumise à cotisation.
Pour en savoir plus:
Philippe Ehrenström, Salaire et autres rémunérations: questions fiscales, Zurich, Weka, 2013.