Transmission des certificats de salaire par l’employeur au fisc: c’est non!

img_6018Un arrêt de la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice du canton de Genève du 30 octobre 2017 traite de l’obligation faite à l’employeur de transmettre les certificats de salaire des employés aux autorités fiscales. Eu égard à son intérêt pour les autres cantons où existe cette obligation, il nous a paru utile d’en résumer certains des développements :

Le 13 janvier 2016, le Conseil d’État du Canton de Genève a déposé au Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) 11803 visant à modifier la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc – D 3 17). Ce projet prévoyait que les employeurs devaient remettre à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE), pour chaque période fiscale, une attestation sur leurs prestations aux travailleurs au moyen de copies des certificats de salaire.

Lors de sa séance du 4 novembre 2016, le Grand Conseil a adopté la loi 11803 ; sa teneur est la suivante :

« Art. 1 Modifications

La loi de procédure fiscale, du 4 octobre 2001, est modifiée comme suit :

Art. 34, al. 1, lettre e (nouvelle), al. 2 (nouvelle teneur) et al. 4 (abrogé)

1 Pour chaque période fiscale, une attestation doit être remise au département par :

  1. e) les employeurs, sur leurs prestations aux travailleurs au moyen de copies des certificats de salaire.

2 Un double de l’attestation doit être adressé au contribuable (…).»

Par acte expédié le 13 février 2017, M. A______ et B______ (ci-après : les recourants) ont recouru contre l’arrêté auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle), concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif au recours et, principalement, à son annulation ainsi qu’à celle de l’art. 34 al. 1 let. e et 2 LPFisc introduit par la loi 11803 et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

La chambre constitutionnelle considère ce qui suit :

L’art. 3 de la Constitution fédérale (Cst.) régit le système de répartition des compétences entre la Confédération et les cantons. Selon cette disposition, les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Cst. et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération. L’art. 42 al. 1 Cst. confirme ce principe en précisant que la Confédération accomplit les tâches que lui attribue la Cst. Dès lors, la Confédération ne peut intervenir que dans les domaines pour lesquels la Cst. la déclare compétente et lui attribue la compétence d’agir (principe de l’habilitation ponctuelle). À cet égard, l’art. 3 Cst. a valeur de clause subsidiaire générale au profit des cantons. Toutes les compétences qui ne sont pas attribuées à la Confédération ressortissent aux cantons (répartition intégrale des compétences).

Selon l’art. 49 al. 1 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Il en découle qu’en matière de droit public, dans les domaines dans lesquels le législateur fédéral a légiféré mais pas de façon exhaustive, les cantons ont la compétence d’édicter des dispositions dont les buts et les moyens convergent avec ceux que prévoit le droit fédéral. Le principe de la primauté du droit fédéral fait en revanche obstacle à l’adoption ou à l’application de règles cantonales qui éludent les prescriptions du droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l’esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu’elles mettent en œuvre, ou encore qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon complète. L’exhaustivité de la législation fédérale constitue donc le critère principal pour déterminer l’existence d’un conflit avec une règle cantonale.

L’art. 129 Cst. consacre le principe de l’harmonisation fiscale. Aux termes de cette disposition, la Confédération fixe les principes de l’harmonisation des impôts directs de la Confédération, des cantons et des communes (al. 1). Cette harmonisation s’étend à l’assujettissement, à l’objet et à la période de calcul de l’impôt, à la procédure et au droit pénal en matière fiscale (al. 2).

Le constituant a prévu une harmonisation tant sur le plan horizontal (entre les cantons eux-mêmes, d’une part, et, dans le canton, entre les communes elles-mêmes, d’autre part) que sur le plan vertical (entre la Confédération et les cantons, respectivement entre les cantons et les communes). Le législateur fédéral, qui a pour mandat constitutionnel de mettre en œuvre l’harmonisation fiscale, doit ainsi veiller à ce que la réglementation concernant l’impôt fédéral direct (IFD) et les lois fiscales cantonales concordent entre elles. Il doit user de sa compétence législative dans le domaine de l’IFD de telle manière que son propre régime fiscal soit en accord avec les règles contenues dans la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID ; RS 642.14). Au regard du but d’harmonisation verticale, la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD – RS 642.11) constitue ainsi un élément d’interprétation de poids. Lorsque la disposition de droit fiscal fédéral est semblable à celle du droit harmonisé, il y a lieu, en vue d’une harmonisation verticale, d’interpréter cette dernière de la même manière que celle relative à l’IFD dont elle reprend la teneur.

L’harmonisation fiscale vise à un ajustement réciproque des impôts directs de la Confédération et des cantons, une plus grande transparence du système fiscal suisse et une simplification de la taxation, en particulier dans l’intérêt des contribuables, tout en ménageant le plus possible l’autonomie – en particulier financière – des cantons. Elle ne doit pas conduire à une uniformisation des systèmes fiscaux mais à leur coordination sur la base du principe de subsidiarité (art. 46 al. 2 Cst.). Toutefois, dans les domaines où il n’existe pas ou plus de besoin de régime cantonal différent, il se justifie d’admettre une harmonisation plus poussée sur la base du droit fédéral, même si cela ne ressort pas clairement de la lettre de la loi. En effet, le champ d’autonomie cantonale doit avoir une fonction claire et déterminée et n’est pas un but en soi. Au demeurant, la cohérence du système juridique suisse exige, en matière d’impôts, également celle des normes fiscales, fédérales et cantonales, ainsi que celle de leur interprétation, l’harmonisation fiscale ayant pour but de mettre sur pied un système fiscal cohérent de manière à permettre une vue d’ensemble de la législation fiscale, ce qui requiert des cantons qu’ils se conforment aux règles et à l’esprit de l’harmonisation. Le principe de cohérence vise également à interpréter le droit de l’IFD et le droit cantonal qui règle la même matière de manière à réaliser une « harmonisation de la jurisprudence », ce que le législateur fédéral a réalisé en prévoyant que les décisions cantonales de dernière instance peuvent faire l’objet d’un recours au Tribunal fédéral lorsqu’elles portent sur une matière qui fait l’objet de l’harmonisation.

La LHID est une loi-cadre et il appartient au législateur cantonal de légiférer pour fixer des normes fiscales qui, elles, seront directement applicables. Elle comporte néanmoins une densité normative variable selon les domaines, allant de simples principes accordant aux cantons une certaine liberté d’action jusqu’à des règles détaillées et exhaustives ne leur laissant aucune marge d’appréciation. L’étendue de l’autonomie dont le législateur cantonal dispose dans le cadre de la LHID, singulièrement pour réglementer un domaine fiscal particulier, se détermine sur la base des méthodes et critères d’interprétation généralement applicables.

La LHID désigne les impôts directs que les cantons doivent prélever et fixe les principes selon lesquels la législation cantonale les établit (art. 1 al. 1 LHID). Lorsqu’aucune réglementation particulière n’est prévue, les impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) sont établis en vertu du droit cantonal. Restent en particulier de la compétence des cantons la fixation des barèmes, celle des taux et celle des montants exonérés d’impôt (art. 1 al. 3 LHID).

Le premier chapitre du titre 5 de la LHID, consacré à la procédure, traite des principes généraux et de la procédure de taxation. L’art. 42 LHID, qui règlemente les obligations du contribuable, prévoit en particulier que le contribuable doit faire tout ce qui est nécessaire pour assurer une taxation complète et exacte (al. 1). Sur demande de l’autorité de taxation, il doit notamment fournir des renseignements oraux ou écrits, présenter ses livres comptables, les pièces justificatives et autres attestations ainsi que les pièces concernant ses relations d’affaires (al. 2). L’art. 42 al. 3 LHID énumère, quant à lui, les documents que les indépendants et les personnes morales doivent joindre à leur déclaration d’impôt.

Une disposition du droit cantonal qui limite le devoir de produire et de renseigner aux documents et pièces qui sont nécessaires à la taxation est en contradiction avec l’art. 42 al. 2 LHID, de même qu’avec l’art. 126 al. 2 LIFD dont la teneur est identique, et qui autorise les autorités fiscales à exiger du contribuable tous les renseignements et les documents présentant de l’importance pour sa taxation.

Les art. 43 à 45 LHID traitent respectivement des attestations, des renseignements et des informations de tiers.

Selon l’art. 43 LHID, les tiers qui ont ou ont eu des relations contractuelles avec le contribuable doivent lui remettre les attestations portant sur l’ensemble de leurs relations contractuelles et sur leurs prétentions et prestations réciproques (al. 1). Lorsque, malgré sommation, le contribuable ne produit pas les attestations requises, l’autorité fiscale peut l’exiger directement du tiers, le secret professionnel protégé étant légalement réservé (al. 2).

Aux termes de l’art. 44 LHID, les associés, les copropriétaires et les propriétaires communs doivent donner à la demande des autorités fiscales des renseignements sur leurs rapports de droit avec le contribuable.

L’art. 45 LHID, quant à lui, prévoit que, pour chaque période fiscale, une attestation doit être remise aux autorités fiscales par les personnes morales sur les prestations versées aux membres de l’administration et d’autres organes ; les fondations, en outre, sur les prestations fournies à leurs bénéficiaires (let. a) ; les institutions de la prévoyance professionnelle et de la prévoyance individuelle liée, sur les prestations fournies à leurs preneurs de prévoyance ou bénéficiaires (let. b) ; les sociétés simples et les sociétés de personnes, sur tous les éléments qui revêtent de l’importance pour la taxation de leurs associés, notamment sur les parts de ces derniers au revenu et à la fortune de la société (let. c) ; les placements collectifs qui possèdent des immeubles en propriété directe, sur les éléments déterminants pour l’imposition de ces immeubles (let. d) ; les employeurs, sur les avantages appréciables en argent dérivant de participations de collaborateur proprement dites ainsi que sur l’attribution et l’exercice d’options de collaborateur (let. e).

L’obligation des tiers de fournir des renseignements est une obligation de première importance, de même que celle échéant au contribuable lui-même. L’obligation du contribuable de collaborer à la taxation est matérialisée par les obligations de renseigner l’autorité et de lui remettre les pièces nécessaires, ce qui découle du principe voulant que le contribuable apporte la preuve de l’exactitude des indications portées dans sa déclaration. L’obligation faite aux tiers de fournir des attestations signifie que ces documents ne doivent être transmis à l’autorité fiscale que subsidiairement, dans la mesure où les tiers ne sont tenus, en premier lieu, de ne les délivrer qu’au contribuable. Ce n’est qu’après avoir vainement sommé ce dernier que l’autorité fiscale peut exiger le document en question directement du tiers.

Si les cantons ne sont pas habilités à prévoir des devoirs de collaboration des tiers allant au-delà de ceux énumérés aux art. 43 à 45 LHID, ils peuvent néanmoins concrétiser les obligations prévues par ces dispositions ainsi que leur manière de collaborer.

Au titre de l’IFD, la Confédération perçoit un impôt sur le revenu des personnes physiques, un impôt sur le bénéfice des personnes morales et un impôt à la source sur le revenu de certaines personnes physiques et morales (art. 1 LIFD).

Le titre 3 de la cinquième partie de la LIFD traite de la procédure de taxation ordinaire, les art. 124 à 126 LIFD étant consacrés à la collaboration du contribuable. Selon l’art. 125 LIFD, les personnes physiques doivent notamment joindre à leur déclaration les certificats de salaire concernant tous les revenus provenant d’une activité lucrative dépendante (al. 1 let. a). Le contribuable doit faire tout ce qui est nécessaire pour assurer une taxation complète et exacte et, sur demande de l’autorité, fournir des renseignements oraux ou écrits, présenter ses livres comptables, les pièces justificatives et autres attestations ainsi que les pièces concernant ses relations d’affaires (art. 126 al. 1 et 2 LIFD).

Les art. 127, 128 et 129 LIFD ont, quant à eux, respectivement trait aux attestations, renseignements et informations de tiers.

L’art. 127 LIFD prévoit en particulier que l’employeur doit donner au contribuable des attestations écrites sur ses prestations au travailleur (al. 1 let. a). Lorsque, malgré sommation, le contribuable ne produit pas les attestations requises, l’autorité fiscale peut les exiger directement du tiers, le secret professionnel protégé légalement étant réservé (art. 127 al. 2 LIFD).

Selon l’art. 128 LIFD, les associés, les copropriétaires et les propriétaires communs doivent donner à la demande des autorités fiscales des renseignements sur leurs rapports de droit avec le contribuable, notamment sur sa part, ses droits et ses revenus.

L’art. 129 LIFD prévoit que pour chaque période fiscale, doivent produire une attestation à l’autorité de taxation (al. 1) : les personnes morales, sur les prestations versées aux membres de l’administration ou d’autres organes ; les fondations, en outre, sur les prestations fournies à leurs bénéficiaires (let. a) ; les institutions de la prévoyance professionnelle et de la prévoyance individuelle liée, sur les prestations fournies à leurs preneurs de prévoyance ou bénéficiaires (let. b) ; les sociétés simples et les sociétés de personnes, sur tous les éléments qui revêtent de l’importance pour la taxation de leurs associés, notamment sur les parts de ces derniers au revenu et à la fortune de la société (let. c) ; les employeurs qui accordent des participations de collaborateur à leurs employés, sur toutes les données nécessaires à la taxation (let. d). Un double de l’attestation doit être adressé au contribuable (al. 2).

Le système mis en place par l’art. 127 LIFD, qui est l’équivalant de l’art. 43 LHID dont les principes sont énoncés de manière générale, implique que les tiers n’ont aucune obligation générale de collaborer avec les autorités. Ce n’est que si le contribuable ne réagit pas, malgré une sommation, que l’autorité de taxation peut ensuite s’adresser au tiers. La sommation est ainsi une condition à l’existence du devoir du tiers et, si elle n’a pas été émise, le devoir de fournir une attestation du tiers n’existe pas.

Les art. 128 et 129 LIFD se distinguent de l’art. 127 LIFD en tant qu’ils impartissent à des tiers une obligation de fournir des renseignements et des informations directement à l’autorité fiscale). L’obligation du tiers de fournir des informations découle uniquement des dispositions de la loi, qui contient une énumération exhaustive de ceux astreints à informer l’autorité, tout comme du type et du contenu des documents qu’ils doivent produire.

À Genève, les personnes physiques doivent joindre à leur déclaration notamment les certificats de salaire concernant tous les revenus provenant d’une activité lucrative dépendante (art. 29 al. 1 let. a de la loi cantonale du 4 octobre 2001 de procédure fiscale  – LPFisc ; RS/GE D 3 17)).

Les art. 32, 33 et 34 LPFisc traitent respectivement des attestations, des renseignements et des informations de tiers. Doit ainsi fournir au contribuable des attestations écrites notamment l’employeur sur ses prestations au travailleur (art. 32 al. 1 let. a LPFisc). Lorsque, malgré sommation, le contribuable ne produit pas les attestations requises, le département peut les exiger directement du tiers, le secret professionnel légalement protégé étant réservé (art. 32 al. 2 LPFisc). Selon l’art. 33 LPFisc, les associés, les copropriétaires et les propriétaires communs doivent donner gratuitement à la demande du département des renseignements sur leurs rapports de droit avec le contribuable, notamment sur sa part, ses droits et ses revenus. L’art. 34 al. 1 let. e LPFisc, objet du présent recours, prévoit, quant à lui, qu’une attestation doit être remise au département par les employeurs, sur leurs prestations aux travailleurs au moyen de copies des certificats de salaire pour chaque période fiscale.

D’autres cantons connaissent le même type de réglementation, en particulier ceux de Bâle-Ville, Berne, Fribourg, Jura, Lucerne, Neuchâtel, Soleure, Valais et Vaud. Ceux-ci prévoient d’une part que l’employeur doit remettre au contribuable des attestations écrites sur ses prestations au travailleur et que, en cas d’inexécution, après sommation, l’autorité fiscale peut les exiger directement du tiers ; d’autre part, au titre de l’information de tiers, pour chaque période fiscale, les employeurs doivent produire à l’autorité fiscale notamment une copie des certificats de salaire.

Quelques auteurs se sont prononcés sur l’admissibilité de telles pratiques, sans toutefois procéder à un examen approfondi de leur conformité à la LHID. Ils considèrent ainsi que cette loi n’exclut pas que les cantons adoptent des dispositions plus étendues que l’art. 45 LHID, comme l’obligation des employeurs d’adresser à l’administration fiscale directement et spontanément un double du certificat de salaire remis à leurs employés, tant que le principe de proportionnalité est respecté et que les droits des contribuables ou des tiers ne sont pas entravés. Pour ce faire, une modification de la législation cantonale est suffisante. Une telle mesure déploiera également ses effets pour la taxation de l’IFD et permet de lutter efficacement contre l’évasion fiscale.

En l’espèce, il convient de déterminer si le législateur cantonal était en droit, au regard du droit fédéral harmonisé, d’étendre le devoir d’information des tiers en obligeant les employeurs à remettre spontanément, pour chaque période fiscale, une attestation sur leurs prestations aux travailleurs au moyen de copies des certificats de salaire.

La loi entreprise modifie une disposition de la LPFisc, à savoir l’art. 34 al. 1 let. e LPFisc, ainsi que l’art. 34 al. 2 LPFisc s’agissant du double de l’attestation devant être transmis au contribuable.

Elle laisse toutefois inchangés les autres articles de la loi, qui prévoit toujours qu’il appartient au contribuable de joindre à sa déclaration notamment les certificats de salaire concernant tous les revenus provenant d’une activité lucrative dépendante (art. 29 al. 1 let. a LPFisc), documents que l’employeur doit établir (art. 32 al. 1 let. a LPFisc). Ce n’est que lorsque le contribuable ne s’exécute pas que, après sommation, l’autorité fiscale peut s’adresser directement à l’employeur pour requérir la production de ce document (art. 32 al. 2 LPFisc). Ces dispositions ont la même teneur que celles applicables en matière d’IFD (art. 125 al. 1 let. a et 127 al. 1 let. a et 2 LIFD).

Une telle réglementation correspond à celle prévue par la LHID, laquelle est toutefois moins détaillée. En effet, contrairement aux indépendants et aux personnes morales, l’art. 42 al. 1 et 2 LHID ne précise pas quels documents les personnes physiques exerçant une activité dépendante doivent joindre à leur déclaration mais se limite à indiquer qu’elles doivent faire tout ce qui est nécessaire pour assurer une taxation complète et exacte et que, sur demande de l’autorité, elles fournissent des renseignements oraux ou écrits, présentent leurs livres comptables, les pièces justificatives et autres attestations ainsi que les pièces concernant leurs relations d’affaires. Pour ces contribuables, le droit harmonisé n’oblige ainsi pas les cantons, ni d’ailleurs la Confédération, à prévoir une liste des documents à transmettre d’emblée à l’autorité fiscale, étant précisé que les cantons ne sauraient prévoir des dispositions plus restrictives en limitant les documents à ceux nécessaires pour établir la taxation.

Le système mis en place par la LHID veut qu’il appartient en premier lieu au contribuable de fournir à l’administration ces documents et que ce n’est que lorsque celui-ci ne les produit pas, après sommation, que l’autorité peut les exiger directement des tiers avec qui l’intéressé a ou a eu des relations contractuelles (art. 43 al. 1 et 2 LHID). Ce système a été repris par différents cantons, dont celui de Genève comme précédemment mentionné, ainsi que par la Confédération s’agissant de l’IFD (art. 127 LIFD), dont les réglementations précisent toutefois la nature des attestations à fournir par le tiers au contribuable, en particulier l’employeur qui doit lui remettre un certificat de salaire (art. 32 al. 1 let. a LPFisc ; art. 127 al. 1 let. a LIFD). En matière de remise des attestations de tiers, le devoir de collaborer de ceux-ci n’est que subsidiaire et indirect et ne peut intervenir qu’après sommation du contribuable, si celui-ci ne s’est pas exécuté.

Contrairement aux autres dispositions susmentionnées, l’art. 45 LHID circonscrit les informations que les tiers doivent spontanément transmettre à l’autorité fiscale en énumérant tant leurs auteurs que leur contenu. S’agissant de l’employeur, il ne doit ainsi transmettre à l’administration fiscale que les attestations sur les avantages appréciables en argent dérivant de participations de collaborateur proprement dite ainsi que sur l’attribution et l’exercice d’options de collaborateur, l’art. 45 LHID ne contenant aucune mention d’un certificat de salaire ou d’un autre document du même type contenant des informations similaires. Quant à l’art. 129 LIFD, dont la liste est exhaustive, il est calqué sur cette disposition, dès lors qu’il contient la même énumération des tiers et des documents qu’ils doivent transmettre spontanément à l’autorité, sans mentionner le certificat de salaire, qui est au demeurant déjà prévu aux art. 125 al. 1 let. a et 127 al. 1 let. a LIFD pour l’IFD.

Conformément au principe de l’harmonisation verticale, qui implique une cohérence des normes fiscales susmentionnées, la disposition litigieuse ne s’inscrit pas dans le cadre de celles-ci, lesquelles ne prévoient, tant s’agissant de la LHID que de la LIFD, aucune obligation à la charge de l’employeur de transmettre directement à l’autorité fiscale le certificat de salaire du contribuable au titre d’informations de tiers. Dans ce contexte, la LIFD, en particulier son art. 129 dont l’énumération est exhaustive, constitue un élément d’interprétation de poids, étant donné l’obligation du législateur fédéral d’user de sa compétence législative dans le domaine de l’IFD de manière à ce que son régime fiscal concorde avec les règles contenues dans la LHID.

À cela s’ajoute que, contrairement à d’autres dispositions, comme les art. 42 et 44 LHID, l’art. 45 LHID contient une réglementation détaillée des informations de tiers, de sorte qu’il est difficilement envisageable pour les cantons d’élargir cette liste, sous peine d’opérer un renversement du système institué par l’art. 43 LHID, ainsi que son pendant à l’art. 127 LIFD, selon lequel l’obligation de collaborer appartient principalement au contribuable, les tiers n’intervenant que de manière subsidiaire.

Même si la loi entreprise n’entraîne aucune modification des obligations du contribuable, qui devra continuer à joindre à sa déclaration son certificat de salaire, celles-ci seront néanmoins supplantées par les informations de tiers, comme le révèle l’exposé des motifs relatif au PL 11803. Outre le manque de cohérence de la novelle avec l’art. 32 al. 2 LPFisc, qui réglemente déjà l’obligation subsidiaire du tiers de transmettre le certificat de salaire du contribuable à l’autorité après sommation, cette situation n’est pas non plus sans poser problème au regard de l’IFD. Dès lors que les cantons sont chargés de leur perception pour le compte de la Confédération (art. 2 LIFD), le système mis en place par les art. 127 ss LIFD risque ainsi d’être laissé lettre morte. Pour ces motifs également, la disposition litigieuse ne s’inscrit pas dans le système d’harmonisation voulu par le législateur fédéral.

Il ne saurait ainsi y avoir encore une place pour une réglementation supplémentaire des cantons outrepassant celle de l’art. 45 LHID. Dans ce contexte, le fait qu’une dizaine de cantons, principalement romands, connaissaient une réglementation similaire ne saurait présager de leur conformité au droit supérieur, étant précisé qu’une proportion plus importante de cantons, soit seize d’entre eux, n’a pas opté pour ce système. Il en va de même de la doctrine, qui se montre favorable à ces réglementations moins pour leur conformité au droit fédéral que pour des raisons de commodité administrative, ou pour les probables augmentations des recettes fiscales qu’elles sont susceptibles d’engendrer, argument qui ressort d’ailleurs de l’exposé des motifs relatif au PL 11803.

Dès lors que la loi litigieuse ne permet aucune interprétation conforme au droit supérieur, elle sera annulée, les autres griefs soulevés par les recourants devenant sans objet.

(ACST/20/2017)

Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève et Yverdon

(Addendum du 08.12.2017: le Conseil d’Etat genevois a formé recours auprès du Tribunal fédéral contre cet arrêt – cf. Tribunal de Genève du 06.12.2017)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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