Un « bad buzz » est un phénomène de bouche à oreille négatif qui commence généralement sur Internet avant de se prolonger dans d’autres médias. Il peut être subi, ou provoqué par une action initiale plus ou moins heureuse de la marque ou d’un de ses représentants ou collaborateur. (Cf. https://www.definitions-marketing.com/definition/bad-buzz/, consulté le 8 janvier 2020)
C’est précisément ce qui semble être arrivé à une marque de sous-vêtements française, dont la cocarde tricolore orne fièrement les produits. Certains de leurs salariés auraient ainsi participé, dans un cadre tout à fait privé et sans lien avec l’entreprise, à une soirée déguisée dont le thème était l’Afrique. Le visage noirci, voire carrément déguisés en primates, tout ce petit monde s’était filmé et le tout avait fuité sur les réseaux sociaux. Débusqués par des « social justice warriors », objet d’un « bad buzz » intense sur le net, les salariés ont finalement été sanctionnés par leur employeur (sans que l’on connaisse la nature des sanctions), et une association antiraciste invitée à « intervenir ». (Voir https://www.village-justice.com/articles/polemique-slip-francais-principe-droit-respect-leur-privee-des-salaries-par,33381.html, consulté le 17 janvier 2020).
Comment aurait-on traité cette pitoyable histoire en droit suisse ? Que ce serait-il passé si l’entreprise avait procédé à un licenciement sur cette base ?
La première question, me semble-t-il, est de savoir comment l’employeur est entré en possession de cette information. C’est le lieu de rappeler que l’art. 328b CO prévoit que l’employeur ne peut traiter des données concernant le travailleur que dans la mesure où ces données portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail, les dispositions de la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD ; RS 235.1) étant applicables par ailleurs. Or le fait de googler, visionner, conserver les images d’un évènement privé organisé et suivi par des employés est un traitement de données, et il ne correspond manifestement pas aux critères de l’art. 328b CO et à ceux de la LPD (information et finalité du traitement par exemple). Les images de la petite sauterie des employés pourraient dès lors aisément être qualifiées de moyen de preuve illicite au sens de l’art. 152 al. 2 CPC, et pourraient donc être écartées de la procédure.
La deuxième question est celle du motif du licenciement, plus particulièrement de son caractère abusif. Car au fond, que reprocherait-on aux employés concernés ? Une violation de leurs obligations de diligence et de fidélité (art. 321a CO) ? C’est oublier que la soirée en cause a eu lieu dans un cadre privé, et que les obligations de l’art. 321a CO ne vont pas jusque-là, sauf rares exceptions (cadres supérieurs, Tendenzbetrieb, sportifs, etc.) Une violation d’une éventuelle directive (art. 321d CO) ? Le droit de donner des directives est lié à l’exécution du travail, et ne saurait donc couvrir les activités privées des employés. Quant aux chartes et autres engagements ronflants que prennent souvent les employeurs sur des questions de société, leur opposabilité dans le cadre d’un litige est très limitée, ne serait-ce que parce qu’ils ne sont pas valablement incorporés dans le contrat ou parce qu’ils violent les droits de la personnalité et les libertés des employés.
En définitive, un licenciement prononcé sur cette base serait donc une sorte de licenciement « fusible», où le salarié serait sacrifié pour restaurer l’image de la société. Et ça, depuis l’ATF 131 III 535, nous savons que c’est un licenciement abusif.
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)