Discrimination salariale à raison du sexe

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L’appelante ( = l’employée) reproche au Tribunal d’avoir nié l’existence d’une discrimination salariale entre elle-même et F______ à raison du sexe et de ne pas avoir comparé sa situation à celle de L______.

Il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant de femmes, leur grossesse. L’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la formation et au perfectionnement professionnels et à la promotion (art. 3 al 1 et 2 LEg).

L’interdiction de la discrimination fondée sur le sexe s’applique aussi bien aux discriminations non intentionnelles qu’aux discriminations intentionnelles. Peu importe donc que l’employeur ait eu ou non l’intention d’adopter une politique salariale sexiste.

Une discrimination est dite directe lorsqu’elle se fonde explicitement sur le critère du sexe ou sur un critère ne pouvant s’appliquer qu’à l’un des deux sexes et qu’elle n’est pas justifiée objectivement.

L’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable (art. 6 LEg).

L’art. 6 LEg est une règle spéciale par rapport au principe général de l’art. 8 CC, lequel prescrit à celui qui allègue un fait pour en déduire un avantage d’en apporter la preuve. L’art. 6 LEg instaure un assouplissement du fardeau de la preuve d’une discrimination à raison du sexe, en ce sens qu’il suffit à la partie demanderesse de rendre vraisemblable l’existence d’une telle discrimination par l’apport d’indices objectifs pour engendrer un renversement du fardeau de la preuve. Autrement dit, si la vraisemblance de la discrimination est démontrée, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve stricte qu’elle n’existe pas. Comme il est difficile d’apporter la preuve de faits négatifs, la preuve de la non-discrimination peut être apportée positivement si l’employeur démontre l’existence de motifs objectifs ne produisant pas une discrimination à raison du sexe .

L’interdiction de toute discrimination à raison du sexe s’applique notamment à la rémunération (art. 3 al. 2 LEg).

L’égalité salariale s’impose pour tout travail de valeur égale. Autrement dit, auprès d’un même employeur, la travailleuse a droit à un salaire égal à celui que touche le travailleur s’ils accomplissent tous deux, dans des conditions égales, des tâches semblables ou des travaux, certes de nature différente, mais ayant une valeur identique.

Lorsque des travailleurs de sexe opposé ont une position semblable dans l’entreprise avec des cahiers des charges comparables, il est présumé, s’il y a une différence de rémunération entre eux, que celle-ci est de nature sexiste, l’employeur devant apporter la preuve de la non-discrimination. Le juge n’a ainsi pas à être convaincu du bien-fondé des arguments de la partie qui se prévaut de la discrimination; il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’il puisse en aller différemment. Par exemple, la vraisemblance d’une discrimination salariale a été admise dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était de 15% à 25% inférieur à celui d’un collègue masculin qui accomplissait le même travail (ATF 130 III 145 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_115/2011 du 28 avril 2011 consid. 5.1). La comparaison avec la rémunération d’un seul collègue de l’autre sexe exerçant la même activité suffit à établir la vraisemblance d’une discrimination à l’encontre d’une travailleuse (arrêts du Tribunal 4A_261/2011 du 24 août 2011 consid. 3.2; 4A_115/2011 du 28 avril 2011 consid. 5.1; 4A_449/2008 du 25 février 2009, consid. 3).

Une discrimination à raison du sexe peut intervenir dans la classification générale de diverses fonctions au sein d’une échelle de traitement, ou bien dans la fixation de la rémunération d’une personne déterminée lorsqu’on la compare avec celle d’autres personnes du sexe opposé. Dans les deux cas, elle peut résulter de l’évaluation des prestations de travail selon des critères directement ou indirectement discriminatoires ou du fait que des critères d’évaluation neutres, objectivement admissibles en eux-mêmes, sont appliqués de façon inconséquente au détriment d’un sexe, soit que le critère invoqué à l’appui d’une différence de traitement ne soit pas du tout réalisé concrètement, soit qu’il ne joue aucune rôle pour l’exercice de l’activité en cause soit encore qu’il n’exerce une influence sur l’évaluation des prestations de travail que dans des cas isolés.

Lorsque l’existence d’une discrimination liée au sexe a été rendue vraisemblable, il incombe à l’employeur d’apporter la preuve complète du fait que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs. Parmi les raisons pouvant justifier une différence de salaire, on trouve notamment la valeur effective du travail, la formation, les années de service, la qualification, les risques encourus, le cahier des charges, l’expérience, les prestations et les responsabilités. En règle générale, des motifs objectifs ne peuvent légitimer une différence de rémunération que s’ils jouent un rôle véritablement important en regard de la prestation de travail et s’ils influent par conséquent sur les salaires versés par le même employeur. D’autres motifs n’étant pas directement liés à l’activité elle-même peuvent être objectivement justifiés, et notamment des motifs de politique sociale ou des motifs économiques, comme les charges familiales ou l’âge.

En l’espèce, l’appelante se prévaut d’une discrimination directe fondée sur le sexe, au motif que sa rémunération était inférieure à celle des deux autres cadres supérieurs masculins de l’intimée.

Il ne peut y avoir de discrimination que si les postes occupés sont comparables. Or, contrairement à ce que plaide l’appelante, il ne suffit pas qu’elle soit considérée comme cadre, au même titre que ses collègues, pour percevoir une rémunération similaire. Il existe en effet différents postes de cadres qui impliquent des responsabilités différentes et, donc, justifie des rémunérations différentes.

L’appelante avait la responsabilité de faire son travail avec vigilance afin d’éviter à la société qui l’employait de faire des pertes financières. Elle ne gérait pas des équipes et ses objectifs ne comprenaient pas l’augmentation des revenus. A l’inverse, F______ devait superviser plusieurs dizaines de personnes et aussi contribuer à augmenter les revenus de la société. Ses responsabilités étaient ainsi bien différentes de celles de l’appelante et, à certains égards, plus lourdes en termes de pression.

Bien que tous deux cadres, l’appelante et F______ n’avaient pas des postes comparables.

Il en va de même du poste occupé par L______, lequel devait notamment veiller à ce que les règles légales soient respectées. Or, tout manquement dans la surveillance des activités du bureau, particulièrement en matière de blanchiment d’argent, était susceptible d’avoir des répercussions graves pour la société, qui pouvait perdre la place qu’elle avait acquise au sein de l’aéroport de Genève. Sans minimiser le rôle de l’appelante, qui était de veiller à ce que les détaxes soient correctement calculées, le poste de L______ était plus exposé que celui de l’appelante et, en tout état de cause, bien différent.

Par conséquent, l’existence d’une discrimination n’a pas été rendue vraisemblable sous l’angle de l’art. 6 LEg, ce qui conduit à la confirmation du jugement attaqué.

Par surabondance, il sera relevé que même si ces trois postes avaient été jugés comparables, des différences objectives justifiaient des rémunérations différentes.

En effet, F______ et L______ possédaient des formations supérieures à celle de l’appelante. F______ est titulaire d’un MBA, soit un master en management et gestion d’entreprise reconnu au niveau international, une licence en administration d’entreprise et un diplôme en business, tandis que L______ détient un Bachelor en études européennes. L’appelante a pour sa part déclaré qu’elle était titulaire d’un baccalauréat, équivalent de la maturité suisse, et qu’elle possédait également une formation universitaire, sans préciser le degré d’achèvement de cette formation ni le domaine d’études, si bien que l’on ignore si cette formation aurait présenté une quelconque utilité pour son poste.

L’appelante ne saurait ainsi être suivie lorsqu’elle affirme que sa formation lui aurait permis d’occuper les postes de ses deux collègues masculins. Elle ne prouve notamment pas qu’elle aurait eu les compétences nécessaires pour effectuer des tâches de ressources humaines ou les connaissances juridiques nécessaires.

Par ailleurs, F______ et L______ possédaient une expérience utile à leur poste plus importante que l’appelante qui, hormis pour la détaxe, ne possédait pas de pratique en matière d’administration et de finance, raison pour laquelle elle a été formée. Si F______ ne travaillait pour C______ que depuis 2014, il a toutefois occupé un nombre de postes divers qui lui ont permis acquérir des compétences utiles à son nouveau poste à Genève. Pour sa part L______ travaillait à son poste depuis 2001.

Enfin, les différences salariales d’avec l’appelante proviennent également de considérations étrangères à la fixation des salaires habituelles. La rémunération de base de F______ a été fixée à 60’000 fr. brut par année, soit un montant inférieur à celui de l’appelante. C’est uniquement parce que l’intimée lui a demandé de quitter son poste de I______, centre de son lieu de vie d’origine, pour Genève qu’elle lui a accordé des aides financières supplémentaires, soit une aide au logement, à l’assurance-maladie et une participation à ses frais de déplacement en Espagne. Certes, ces éléments font partie de son salaire mais ils ne sont toutefois pas liés directement au travail effectué. Le fait que des salariés acceptant de travailler dans une succursale étrangère soient aidés financièrement par l’employeur du fait de leur expatriation, par exemple afin qu’ils puissent conserver leur logement dans leur pays d’origine ou effectuer des voyages pour visiter leur famille, ne peut être considéré comme discriminatoire, étant relevé qu’une telle aide a été fournie par l’intimée tant à des hommes qu’à des femmes, comme la trésorière. Enfin, L______ bénéficie d’un salaire qui ne correspond pas à son cahier des charges actuel. Cela est dû au fait que l’intimée a été contrainte de reprendre tous les collaborateurs aux mêmes conditions salariales que celles en vigueur auprès de C______. L______ a ainsi conservé son ancienne rémunération quand bien même son cahier des charges avait été modifié. Ce poste aurait-il été occupé par une femme, il en aurait été de même. L’appelante ne peut rient tirer de la comparaison avec un employé dont le salaire a été repris tel quel à la suite d’une reprise du personnel et d’une réorganisation de la société.

Mal fondé, l’appel sera ainsi rejeté.

(Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes du Canton de Genève CAPH/35/2021 du 12 février 2021, consid. 6)

Me Philippe Ehrenström, LL.M, avocat, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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