Assujettissement à la Convention collective nationale de travail pour les hôtels, restaurants et cafés

Photo de Valeria Boltneva sur Pexels.com

L’organisation professionnelle B.________ et les syndicats C.________ et D.________, d’une part, ainsi que les associations patronales E.________, F.________ et G.________, d’autre part, sont les six parties contractantes à la Convention collective nationale de travail pour les hôtels, restaurants et cafés (ci-après: la CCNT). L’Office de contrôle de la CCNT est chargé de veiller à l’observation de cette convention. Cette dernière a fait l’objet d’arrêtés d’extension successifs du Conseil fédéral. 

A.________ AG (ci-après: la société), dont le siège se situe à U.________, est une société ayant notamment pour but la location de logements de vacances en Suisse. Sur son site internet, en particulier, elle décrit qu’outre son équipe de gestion résidant à U.________, elle fait appel à une équipe de professionnels composée de chefs de cuisine, de managers, d’hôtes et d’hôtesses. Le concept est de mettre à disposition de ses clients d’élégantes propriétés dotées de personnel et d’un service traiteur. Ce service  » fully staffed and catered «  comprend notamment la demi-pension, le ménage quotidien et un service de commissions. Pour les clients qui choisiraient de ne pas avoir recours à ce service, la société précise qu’elle met tout de même à disposition son équipe de conciergerie, dont l’assistance comprend l’accueil à l’arrivée et l’organisation de divers services, tels que le transfert de l’aéroport, la garde d’enfants ou la réservation d’activités. 

Le 30 juin 2011, l’Office de contrôle a informé la société qu’au vu de son activité qui allait au-delà de la simple location de logements, elle était soumise à la CCNT. L’intéressée a contesté cette appréciation. Le 16 mars 2015, les parties à la CCNT, agissant par l’Office de contrôle, ont déposé une demande auprès du Tribunal du travail du canton du Valais, tendant à faire constater l’assujettissement de la société à la CCNT.  Par jugement du 5 mars 2019, le tribunal a dit que la société devait appliquer la CCNT. Par jugement du 16 août 2022, la Cour civile II du Tribunal cantonal du canton du Valais a rejeté l’appel déposé par la société à l’encontre du jugement entrepris.

La société (ci-après: la recourante) exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral. En substance, elle a conclu à la réforme du jugement attaqué en ce sens qu’elle n’est pas assujettie à la CCNT.  Extrait des considérants du Tribunal fédéral (arrêt 4A_402/2022 du 3 janvier 2023):  

La recourante conteste (notamment) son assujettissement à la CCNT. Après avoir fait mention des art. 1 CCNT et 1 LECCT (loi fédérale du 28 septembre 1956 permettant d’étendre le champ d’application de la convention collective de travail [RS 221.215.311]), elle fait valoir que le raisonnement des juges cantonaux serait  » entaché d’arbitraire dans son résultat « .

 Les juges cantonaux ont expliqué que la société était divisée en deux secteurs bien délimités: le premier s’occupait de la vente et des réservations, tandis que le second, qui comprenait la très grande majorité des employés engagés, s’occupait des activités en lien avec le service hôtelier proposé (service traiteur, personnel de maison, équipe de conciergerie). Les juges cantonaux ont relevé que ce second secteur constituait une unité autonome et clairement distincte de celle en charge de la location, et que cette subdivision apparaissait également à l’externe. Selon les juges cantonaux, cette partie autonome devait sans conteste être rattachée à la branche de l’hôtellerie et de la restauration; elle entrait en concurrence directe avec les entreprises soumises contractuellement à la CCNT, puisqu’elle proposait des prestations à tout le moins semblables à un service hôtelier. Dès lors, les juges cantonaux ont considéré qu’il convenait d’assujettir cette unité autonome à la CCNT, même si cette activité ne constituait qu’une petite part du chiffre d’affaires de la société. 

 La recourante soutient que son offre est radicalement opposée à celle de l’hôtellerie de luxe, tout comme les besoins de leurs clients respectifs, et qu’elle ne fait donc pas de concurrence directe à l’hôtellerie. La recourante fait valoir que ses prestations supplémentaires sont uniquement proposées sur option, de manière subsidiaire, contrairement à ce qui prévaut pour l’hôtellerie. Son but, tel qu’inscrit au Registre du commerce, est exclusivement la location d’appartement de vacances. Ses prestations sont majoritairement axées sur la location de l’un de ses neuf chalets ou appartements, sans service supplémentaire. En sus, et uniquement sur demande des clients, elle propose différents services; cela ne représente que 14,67 % des réservations. 

 Toutefois, le but social tel qu’énoncé au Registre du commerce n’est pas déterminant (ATF 142 III 758 consid. 2.2). En outre, la critique de la recourante est largement appellatoire. L’intéressée se limite à opposer sa propre appréciation à celle de la cour cantonale, notamment lorsqu’elle fait valoir que son offre serait opposée à celle de l’hôtellerie de luxe. D’ailleurs, la recourante ne s’en prend pas valablement aux développements détaillés et pertinents des juges cantonaux en lien avec les deux différentes unités précitées, les ayant amenés à considérer que la seconde devait être assujettie à la CCNT, même si l’activité qui y était déployée ne constituait qu’une petite part du chiffre d’affaires de la société (s’agissant des unités autonomes d’une entreprise, cf. ATF 141 V 657 consid. 4.5.2.1; 134 III 11 consid. 2.1; arrêt 4A_408/2017 du 31 janvier 2017 consid. 2.1). Il appartenait pourtant à la recourante, représentée par un avocat, de discuter précisément cette appréciation afin de satisfaire aux exigences de motivation prévalant devant le Tribunal fédéral. 

Pour ces motifs déjà, le grief de la recourante ne peut qu’être rejeté, dans la mesure où il est recevable.

Enfin, la recourante se prévaut d’une violation des principes de l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), de la liberté d’association (art. 23 Cst.) et de la liberté économique (art. 27 Cst.). Elle soutient que son champ d’activité est diamétralement opposé à celui de l’hôtellerie. En particulier, ses prestations supplémentaires sont, à la différence d’un hôtel cinq étoiles, mises à disposition uniquement sur demande et à un tarif supplémentaire. Elle affirme que si elle devait être soumise à la CCNT, il en résulterait  » une inégalité de traitement  » et  » par ricochet  » une violation de la liberté économique et de la liberté d’association.

La cour cantonale a relevé que le principe de l’égalité devait céder le pas à celui de la légalité de l’activité étatique (art. 5 al. 1 Cst.), principe en vertu duquel le justiciable ne pouvait généralement pas se prétendre victime d’une inégalité de traitement lorsque, comme en l’espèce, la loi était correctement appliquée à son cas, alors qu’elle aurait été faussement appliquée dans d’autres cas semblables. En tout état de cause, cette critique se heurtait aux déclarations du directeur et de l’inspecteur de l’Office de contrôle de la CCNT, sans que rien au dossier ne vienne les contredire, selon lesquelles d’autres entreprises, notamment à U.________, dont le modèle d’activité était similaire à celui de la société, avaient été assujetties à la CCNT sans opposition de leur part, et que les contrôles effectués avaient démontré qu’elles l’appliquaient. 

 Une fois encore, la recourante ne discute pas réellement l’appréciation des juges cantonaux, en lien avec le principe de l’égalité de traitement. D’ailleurs, au vu de ce qui a été relevé ci-dessus (cf. consid. 5), on ne discerne aucune violation de ce principe. 

La cour cantonale n’est pas entrée en matière sur la violation alléguée de la liberté économique et de la liberté d’association, ceci sans violer le droit d’être entendue de la recourante. Du reste, la recourante ne présente pas une argumentation suffisamment motivée quant à une prétendue violation des principes de la liberté économique et de la liberté d’association; en particulier, il ne suffit pas de faire valoir que ces principes seraient violés  » par ricochet  » de la violation du principe de l’égalité de traitement. Une telle violation n’a d’ailleurs pas été démontrée. 

En définitive, le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_402/2022 du 3 janvier 2023)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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