L’appelant (= le travailleur) dénonce une violation de l’art. 328 CO et soutient que le caractère abusif du licenciement résulterait de la manière dont il a été donné. Pour l’appelant, il y aurait lieu de tenir compte de l’âge, de l’ancienneté, du moment auquel le congé a été donné en rapport à la retraite et des modalités de résiliation du contrat de travail. Il fait valoir que l’intimée (= l’employeur) n’aurait ni cherché une solution propre à permettre le maintien des rapports de travail, ni offert au travailleur une dernière chance de répondre à ses attentes, alors que ce dernier était âgé d’environ 60 ans et avait presque 18 années de service à son actif. Il invoque les différents témoignages pour soutenir qu’il était un bon travailleur et que la situation s’était dégradée dans l’entreprise à l’arrivée de X.________. Il reproche à l’intimée de s’être séparée d’un travailleur âgé sans lui avoir donné l’occasion d’être entendu, sans avoir véritablement cherché à régler le conflit qui l’opposait à un des cadres de l’entreprise, à savoir le directeur de la planification, et sans avoir tenté de trouver une issue concernant la prise en charge des frais de stationnement du véhicule d’entreprise. Elle aurait ainsi enfreint son devoir accru d’assistance à l’égard d’un travailleur âgé et d’une grande ancienneté.
Selon l’art. 328 al. 1 CO, l’employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur. Il doit s’abstenir de porter une atteinte injustifiée aux droits de la personnalité du travailleur et, dans les rapports de travail, il doit protéger son employé contre les atteintes émanant de supérieurs, de collègues ou même de tiers. S’il surgit un conflit entre travailleurs, l’employeur doit s’efforcer de l’apaiser. Il dispose cependant d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix des mesures à prendre. On ne peut pas reprocher à un employeur de ne pas avoir pris les mesures adéquates pour apaiser un conflit lorsque l’attitude du travailleur est la cause de la tension et que la mesure appropriée était – comme cela avait été fait – de l’inviter à faire un effort et à changer d’attitude (ATF 136 III 513 consid. 2.6).
L’art. 336 al. 1 et 2 CO énumère une liste de cas dans lesquels la résiliation est abusive. Est en particulier abusif le congé donné par une partie pour une raison inhérente à la personnalité de l’autre, à moins que cette raison n’ait un lien avec le rapport de travail ou ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail dans l’entreprise (art. 336 al. 1 let. a CO). Ainsi, s’il est établi qu’une situation conflictuelle sur le lieu du travail, due au caractère difficile d’un employé, nuit notablement au travail en commun dans l’entreprise, le congé donné à ce travailleur n’est pas abusif, à condition toutefois que l’employeur ait pris toutes les mesures que l’on pouvait attendre de lui pour désamorcer le conflit. Cette exigence repose sur le devoir de l’employeur de protéger et de respecter, dans les rapports de travail, la personnalité de ses travailleurs (cf. art. 328 al. 1 CO). L’abus réside alors dans le fait que l’employeur exploite la propre violation de ses devoirs contractuels. En effet, après avoir laissé une situation conflictuelle s’envenimer parmi ses salariés sans prendre les mesures adéquates pour l’atténuer, l’employeur se prévaut du fait que l’ambiance est devenue préjudiciable au travail dans l’entreprise pour licencier le salarié apparaissant, en raison de son caractère difficile, comme un fauteur de troubles. La question de savoir si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour désamorcer le conflit avant d’en arriver à la résiliation relève du droit, car elle revient à examiner si l’employeur s’est conformé aux devoirs que lui impose l’art. 328 CO (TF 4A_390/2021 du 1er février 2022 consid. 3.1.1 et les réf. citées).
En application de ces principes, le Tribunal fédéral a admis le caractère abusif du licenciement d’un monteur en chauffage âgé de 63 ans prononcé sans prévenir à quelques mois de l’âge de la retraite, après 44 ans de loyaux services, au motif que cet employé, comme d’autres, avait des difficultés relationnelles avec un cadre qui n’était pas son supérieur direct et qu’il avait, comme d’autres, une position critique envers des mesures de rationalisation introduites dans l’entreprise. Le Tribunal fédéral a reproché à l’employeur de n’avoir pas fait la moindre tentative pour désamorcer les difficultés relationnelles, ce qui devait être possible puisque le cadre en question n’était pas le supérieur hiérarchique de l’employé, et a considéré que le fonctionnement de l’entreprise ne commandait pas une telle mesure et qu’une solution socialement plus supportable pour l’intéressé n’avait pas été recherchée; il a observé en outre que le caractère licite des mesures de rationalisation litigieuses était discutable ; enfin et surtout, le Tribunal fédéral a relevé le devoir d’assistance particulier de l’employeur envers un employé qui se trouve à quelques mois de la retraite et a travaillé 44 ans au service de la même entreprise en donnant satisfaction (ATF 132 III 115).
Le Tribunal fédéral a par la suite eu l’occasion de relever que le cas précité était exceptionnel, voire extrême, et qu’il fallait tenir compte de toutes les circonstances du cas particulier et non s’en tenir au seul âge du collaborateur pour décider du caractère abusif ou non d’une résiliation. Ainsi, les principes découlant de l’ATF 132 III 115 ne sauraient faire systématiquement obstacle au licenciement d’un collaborateur d’un certain âge ayant œuvré durant de longues années au service du même employeur, lorsque le rendement du travailleur diminue à tel point qu’il n’est plus en mesure d’exécuter à satisfaction les tâches qui lui sont confiées, ni d’assumer une autre occupation compatible avec ses ressources (TF 4A_60/2009 du 3 avril 2009 consid. 3.2 ; TF 4A_419/2007 du 29 janvier 2008 consid. 2.5 et 2.6).
Le droit des obligations ne prévoit pas d’obligation d’entendre l’autre partie avant de prononcer un licenciement ou de la mettre en garde au préalable. En droit privé, il n’existe pas non plus d’obligation générale de soumettre le licenciement envisagé à un contrôle de proportionnalité, dans le sens où des mesures moins incisives devraient toujours être prises avant un licenciement (TF 4A_390/2021 précité consid. 3.1.4 ; TF 4A_44/2021 du 2 juin 2021 consid. 4.3.2).
En tout état de cause, les conséquences économiques du licenciement – qui peuvent aggraver les conséquences de l’atteinte portée aux droits de la personnalité du travailleur – font partie des circonstances à examiner dans le cadre de la fixation de l’indemnité pour licenciement abusif, mais n’apparaissent pas en tant que telles comme un critère susceptible de fonder le caractère abusif du licenciement. Dans ce contexte, il faut toutefois examiner si l’on peut considérer qu’il existe une disproportion des intérêts en présence, pouvant faire apparaître le congé comme abusif. À cet égard, s’il est vrai qu’un licenciement entraîne inéluctablement une péjoration de la situation économique du travailleur, cette circonstance ne saurait à elle seule – sous le couvert de la protection sociale de l’employé – être déterminante, mais est susceptible de prévaloir lorsque le congé n’a pas de portée propre pour l’employeur (TF 4A_390/2021 précité consid. 3.1.5 et les réf. citées).
En l’espèce, malgré l’âge de l’appelant, son ancienneté auprès de l’intimée et le fait qu’il lui a donné satisfaction jusqu’au comportement qui lui a été reproché, le licenciement prononcé par l’intimée ne saurait être qualifié d’abusif.
Indépendamment de ses qualités professionnelles, lesquelles ne sont nullement contestées, il ressort clairement des témoignages figurant au dossier que l’appelant a refusé de conduire un fourgon dans le cadre de son travail, alors que cela entrait dans son cahier des charges et que cela lui était expressément demandé, ce qui a provoqué des problèmes de planning et d’organisation. L’appelant a d’ailleurs reconnu lui-même lors de son audition qu’il a refusé de prendre le fourgon car l’entreprise avait refusé de lui payer le macaron de parcage. Un avertissement lui a été adressé, dans lequel on lui a expliqué que son comportement consistant à refuser de conduire le fourgon n’était pas admissible car cela compromettait la mise en marche et l’organisation des chantiers. Il lui a en outre été expressément précisé que s’il ne modifiait pas son comportement, l’intimée serait dans l’obligation de résilier son contrat.
Compte tenu de ce qui précède, il est constant que l’appelant a été licencié en raison de son comportement sur son lieu de travail, soit son refus répété de conduire une camionnette durant ses heures de travail, contrairement à ce que prévoyait son cahier des charges. L’appelant fait valoir qu’une solution aurait dû être recherchée pour la prise en charge des frais de stationnement du véhicule d’entreprise lorsqu’il rentrait à son domicile. Toutefois, il n’a été ni demandé ni reproché à l’appelant de ne pas prendre le fourgon à son domicile, de sorte que la problématique liée au macaron ou aux frais de stationnement est sans pertinence.
En outre, comme exposé ci-dessus, malgré l’ancienneté de l’appelant et le fait qu’il ait toujours donné satisfaction, il n’y a pas de contrôle de proportionnalité en matière de licenciement et l’employeur pouvait, compte tenu des circonstances, licencier l’appelant sans avoir à prendre préalablement des mesures moins incisives. Le refus d’obtempérer réitéré de l’employé provoquait des problèmes de planning et d’organisation du travail dans l’entreprise. L’employeur a pris soin d’avertir l’appelant avant de le licencier, en lui expliquant pour quelle raison son refus ne pouvait être admis, mais l’avertissement n’a pas permis de normaliser la situation. A noter d’ailleurs que l’employeur n’avait aucune obligation d’entendre l’employé avant de le licencier. S’il l’estimait nécessaire, l’appelant aurait pu demander un entretien après avoir reçu l’avertissement ou se déterminer par écrit, ce qu’il n’a toutefois pas fait. L’employeur n’avait pas non plus à accorder encore une dernière chance à l’appelant.
On ne saurait donc dire que le licenciement était abusif par la manière dont il a été donné. Quant à une éventuelle violation de l’art. 328 CO, il n’est pas établi qu’un conflit personnel existait entre l’appelant et un des cadres de l’entreprise et que l’intimée n’aurait rien entrepris pour le désamorcer. On ne voit donc pas comment l’intimée aurait pu/dû prendre des mesures afin de protéger son employé puisqu’il ne lui a jamais été rapporté que celui-ci se trouvait en conflit personnel avec un supérieur hiérarchique.
Finalement, la péjoration de la situation financière de l’appelant et de sa prévoyance professionnelle ne constitue pas un motif pour retenir que le licenciement serait abusif. L’intimée n’est pas tenue de maintenir l’emploi de l’appelant dans le seul but de lui éviter des conséquences fâcheuses en termes de prévoyance professionnelle alors que celui-ci ne respecte pas les instructions qui lui sont données et qui entrent dans son cahier des charges.
Il résulte de ce qui précède que le grief est mal fondé.
(Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois HC / 2023 / 91 du 09.02.2023, consid.4)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS Genève et Onnens (VD)