Payement des vacances avec le salaire: la porte se ferme

[Le Tribunal fédéral a publié hier un arrêt important relatif au paiement des vacances avec le salaire. Eu égard à l’importance pratique de cette décision, vous trouverez ci-après une traduction libre du consid. 2 :]

2. 

La recourante (= l’employeuse) reproche à l’autorité inférieure d’avoir violé l’art. 329d CO en ne qualifiant pas l’emploi (à plein temps) de l’intimée d’irrégulier au sens de la jurisprudence et en allouant à l’employée une indemnité de vacances de 17’340.70 fr. bruts avec intérêts.

2.1 L’autorité précédente n’a pas retenu l’objection de la recourante selon laquelle, au vu des variations ressortant du récapitulatif des heures de travail rémunérées mensuellement qui lui a été remis (49 variations des heures de travail mensuelles entre mars 2016 et septembre 2020, dont 27 de 10 % et plus et 8 de plus de 20 %), il y avait lieu de considérer que l’intimée exerçait une activité irrégulière, justifiant une réglementation contractuelle du salaire de vacances dérogeant à l’art. 329d CO. Elle a considéré que, dans le cadre de la relation de travail à plein temps à évaluer, une compensation exceptionnelle du salaire de vacances avec les versements de salaire courants ne se justifiait pas. 

2.2. 

2.2.1 Selon l’art. 329d al. 1 CO, l’employeur doit verser au travailleur, pour les vacances, la totalité du salaire y afférent ainsi qu’une indemnité équitable pour la perte du salaire en nature. Selon la doctrine et la jurisprudence unanimes, cette disposition signifie que le travailleur ne doit pas être moins bien traité, sur le plan salarial, pendant les vacances que s’il avait travaillé pendant cette période (ATF 136 III 283 consid. 2.3.5 ; 134 III 399 consid. 3.2.4.2 ; 129 III 493 consid. 3.1, 664 consid. 7.3 ; 118 II 136 consid. 3b). Cette disposition est relativement contraignante (art. 362 al. 1 CO). Les accords qui placent le travailleur dans une situation moins favorable sont nuls (art. 362 al. 2 CO). La norme absolument impérative de l’art. 329d al. 2 CO (art. 361 CO) stipule en outre que les vacances ne peuvent pas être compensées par des prestations en argent ou d’autres avantages pendant la durée des rapports de travail (cf. ATF 136 III 94 consid. 4.1 ; 129 III 493 consid. 3.1).

Au motif que l’application de l’interdiction de compenser le salaire des vacances par le salaire courant pouvait poser des difficultés en cas d’activité irrégulière, le Tribunal fédéral a exceptionnellement admis une compensation dans de tels cas, en s’écartant du texte de la loi, mais en la liant à une condition matérielle et à deux conditions formelles : premièrement, il doit s’agir d’une activité irrégulière. Deuxièmement, la partie du salaire destinée aux vacances doit être clairement et expressément séparée, pour autant qu’il existe un contrat de travail écrit. Troisièmement, la part de salaire destinée aux vacances doit être mentionnée dans ce sens sur les différents bulletins de salaire écrits. La simple mention « salaire vacances compris » ne suffit donc pas. Il est nécessaire que le salaire des vacances apparaisse en tant que tel par l’indication d’un montant ou d’un pourcentage déterminé, et ce aussi bien dans le contrat de travail que sur les différents décomptes de salaire (sur l’ensemble : ATF 129 III 493 consid. 3.2 s., 664 consid. 7.2 ; cf. aussi les arrêts 4A_532/2021 du 27 décembre 2021 consid. 5.1 ; 4A_158/2021 du 11 novembre 2021 consid. 4.1 ; 4A_619/2019 du 15 avril 2020 consid. 3.1 ; 4A_72/2018 du 6 août 2018 consid. 4.4.1 ; dans les deux cas avec renvois).

Si ces conditions ne sont pas remplies, l’employeur doit payer le salaire afférent aux vacances. Le fait que l’employé ait effectivement pris les vacances auxquelles il avait droit n’y change rien (ATF 129 III 493 consid. 5.2, 664 consid. 7.2 ; arrêts 4A_532/2021, précité, consid. 5.1 ; 4A_158/2021, précité, consid. 4.1 ; 4A_72/2018, précité, consid. 4.4.1 ; 4A_561/2017 du 19 mars 2018 consid. 3.1). Le travailleur qui, à la fin de ses rapports de travail, réclame son salaire de vacances en se fondant sur la disposition impérative de l’art. 329d al. 1 CO n’agit pas de manière abusive (ATF 129 III 493 consid. 5.2 ; arrêts 4A_158/2021, précité, consid. 4.1 ; 4A_561/2017, précité, consid. 4.1 ; 4A_435/2015 du 14 janvier 2016 consid. 3.4.2). Il peut en aller autrement dans des circonstances particulières, lorsque l’employé a effectivement reçu une forme de rémunération pendant ses vacances (arrêts 4A_158/2021, précité, consid. 4.1 ; 4A_561/2017, précité, consid. 4.1 ; chacun avec références).

Reprenant les critiques formulées par la doctrine à l’encontre de cette jurisprudence, le Tribunal fédéral s’est demandé dans l’ATF 129 III 493 s’il fallait maintenir l’exception à l’interdiction de l’indemnisation, compte tenu du libellé clair de la loi et des « difficultés, en fait, qui ne sont guère insurmontables » lors du calcul du salaire afférent aux vacances. Il a toutefois laissé la question ouverte en indiquant que les conditions formelles d’une telle indemnisation faisaient déjà défaut dans le cas concret (consid. 3.2/3.3 ; cf. aussi ATF 129 III 664 consid. 7.2 ; arrêts 4A_31/2021 du 30 mars 2022 consid. 3.3.1 ; 4A_532/2021, précité, consid. 5.1 ; 4A_158/2021, précité, consid. 4.1 ; 4A_561/2017, précité, consid. 3.1 ; chaque fois avec références).

2.2.2 Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a à chaque fois défini de manière très stricte la condition matérielle d’un emploi irrégulier pour qu’une telle indemnité soit exceptionnellement admise : ainsi, dans l’ATF 118 II 136 consid. 3b, une exception a été envisagée « notamment en cas de temps de travail très irrégulier de travailleurs à temps partiel » et dans l’ATF 129 III 493 consid. 3.2 « en cas d’occupation irrégulière, notamment de postes à temps partiel », tandis que l’ATF 129 III 664 consid. 7.2 parle « en particulier lors d’occupation très irrégulière de travailleurs à temps partiel » (ATF 129 III 664 consid. 7.2). 

Dans l’arrêt 4C.90/2003 du 7 juillet 2003, rendu en formation tripartite peu après l’ATF 129 III 493 précité, mais sans s’y référer, le Tribunal fédéral a considéré comme irrégulière l’activité d’une travailleuse engagée à 100 % comme veilleuse de nuit, mais qui n’assurait pas toujours les quatre gardes de nuit prévues par semaine, correspondant à un temps plein, mais en assurait parfois cinq ou plus. Bien que le Tribunal fédéral ait expressément indiqué que la jurisprudence avait admis l’exception à l’interdiction de compenser le salaire des vacances avec le salaire courant pour les cas de travail à temps partiel irrégulier et non pour les activités à plein temps, il a considéré qu’une exception dans un cas tout de même très particulier se justifiait en se référant aux difficultés pratiques liées au calcul du salaire des vacances (arrêt 4C.90/2003 du 7 juillet 2003 consid. 2.4.3).

Dans un autre cas, où une ouvrière de l’emballage travaillait à plein temps avec des horaires réguliers et était payée par unité traitée, le Tribunal fédéral a en revanche nié la condition matérielle d’une exception (arrêt 4A_478/2009 du 16 décembre 2009 consid. 4).

Dans un arrêt ultérieur concernant un menuisier payé à l’heure, le Tribunal fédéral a également considéré que la condition matérielle pour une indemnisation exceptionnelle du salaire des vacances avec le salaire courant n’était pas remplie. Il a considéré que l’activité du travailleur, fixée à 42,5 heures par semaine, devait être qualifiée de régulière et ne justifiait pas de déroger à la règle selon laquelle le salaire doit être versé au moment où les vacances sont prises (arrêt 4A_561/2017 du 19 mars 2018 consid. 3.4).

Dans l’arrêt 4A_619/2019 du 15 avril 2020, le Tribunal fédéral a estimé, en se référant à l’arrêt 4C.90/2003 du 7 juillet 2003, qu’une occupation irrégulière était possible même en cas d’emploi à plein temps (consid. 3.4). Après renvoi, il a accepté une activité irrégulière après qu’une différence de 10 % ou plus (jusqu’à 25 %) par rapport au mois précédent ait été constatée sur 35 des 56 fiches de salaire analysées de l’employé travaillant comme chauffeur de véhicules d’élimination des déchets (arrêt 4A_31/2021 du 30 mars 2022 consid. 3.3.2). Contrairement à la recourante, on ne peut pas déduire de cet arrêt que le Tribunal fédéral part du principe qu’un emploi irrégulier au sens de l’ATF 129 III 493 peut être pris en considération de manière générale même en cas d’emploi à plein temps. C’est ce que montrent également les autres cas dans lesquels il y avait un emploi à plein temps :

Dans le cas d’une assistante en ostéopathie employée à plein temps et rémunérée au moyen d’un pourcentage des heures effectivement facturées aux clients, le Tribunal fédéral a nié l’existence d’une activité irrégulière au sens de la jurisprudence susmentionnée (arrêt 4A_158/2021 du 11 novembre 2021 consid. 4.2).

Dans un autre arrêt, le Tribunal fédéral a considéré que l’activité de l’employée travaillant comme enseignante dans une école privée, qui donnait au moins 35 heures de cours par semaine et était rémunérée par leçon, ne pouvait pas être qualifiée d’irrégulière (arrêt 4A_532/2021 du 27 décembre 2021 consid. 5.3).

2.2.3 La disposition impérative de l’art. 329d CO vise à garantir que le travailleur dispose, au moment où il prend effectivement ses vacances, de l’argent nécessaire pour les passer sans souci (ATF 134 III 399 consid. 3.2.4.1). Il doit pouvoir se reposer sans en être empêché par la perte de salaire (ATF 136 III 283 consid. 2.3.5). Le salaire des vacances doit donc en principe être versé lorsque les vacances sont effectivement prises (ATF 129 III 664 consid. 7.2). En raison de la formulation claire de la disposition légale impérative, un cas exceptionnel dans lequel le salaire des vacances peut être versé en même temps que le salaire ne peut être accepté qu’avec une extrême réserve, eu égard à l’idée de protection de la disposition. Il doit exister des difficultés insurmontables qui rendent le paiement pendant les vacances pratiquement irréalisable (cf. déjà ATF 129 III 493 consid. 3.3). On pense par exemple à certains cas de travail à temps partiel chez différents employeurs (voir par exemple REHBINDER/STÖCKLI, in : Berner Kommentar, 2010, N. 15 ad art. 329d CO ; ERIC CEROTTINI, in : Dunand/ Mahon [éd.], Commentaire du contrat de travail, 2e éd. 2022, N. 19 ad art. 329d CO ; DERSELBE, Le droit aux vacances, Diss. Lausanne 2001, p. 213 ; WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4e éd. 2019, p. 511). 

Si le travailleur travaille à 100 % pour le même employeur, on ne voit pas quelles difficultés insurmontables pourraient exister, en raison de variations mensuelles du temps de travail, pour un paiement du salaire pendant les vacances. Dans des cas qui concernaient des emplois à plein temps, le Tribunal fédéral a déjà souligné jusqu’à présent que le caractère variable du salaire au travail ne justifiait pas à lui seul une convention dérogeant à l’art. 329d CO, car cela se produit régulièrement en cas de salaire horaire ou à la tâche (arrêts 4A_158/2021 du 11 novembre 2021 consid. 4.2 ; 4A_478/2009 du 16 décembre 2009 consid. 4). Avec l’instance précédente, au vu des offres de logiciels et des systèmes de saisie du temps de travail disponibles aujourd’hui, un calcul du salaire afférent aux vacances conforme à la loi n’apparaît plus comme inacceptable, même en cas de fluctuations mensuelles du salaire (dans ce sens également PORTMANN/RUDOLPH, in : Basler Kommentar, 7e éd. 2019, n. 5 ad art. 329d CO ; WOLFGANG PORTMANN, Salaire afférent aux vacances et indemnité pour les vacances non prises/Ferienlohn und Entschädigung für nicht bezogene Ferien, in : ARV/DTA 2003 p. 221 s. ; STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, Arbeitsvertrag, 7. 2012, n. 9 [p. 693] sur l’art. 329d CO ; PRINZ/GEEL, in : Etter et autres [éd.], Arbeitsvertrag, 2021, n. 10 sur l’art. 329d CO ; sur le calcul en cas de salaire variable : WYLER/HEINZER, op. cit, p. 509 ; VISCHER / MÜLLER, Der Arbeitsvertrag, in : Schweizerisches Privatrecht, SPR, vol. VII/4, 4e éd. 2014, § 17 Rz. 33 FN 50 p. 229 s. ; ADRIAN STAEHELIN, in : Zürcher Kommentar, 4e éd. 2006, N. 2 zu Art. 329d CO ; CEROTTINI, Le droit aux vacances, a.a.O., p. 187 ss ; cf. aussi ATF 129 III 664 consid. 7.3).

Indépendamment de cela, un paiement du salaire de vacances conforme à la loi pourrait également être garanti de manière à ce que la part de salaire de vacances soit certes calculée et indiquée périodiquement avec le salaire de base, mais qu’elle ne soit versée que lors de la prise effective des vacances (CEROTTINI, Le droit aux vacances, op. cit, p. 211 ; PORTMANN/RUDOLPH, op. cit., n. 5 concernant l’art. 329d CO ; STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, op. cit., n. 9 [p. 693] concernant l’art. 329d CO).

Il faut donc retenir pour les emplois à 100 % chez le même employeur : Les difficultés pratiques liées à l’irrégularité des horaires de travail invoquées par la jurisprudence ne constituent pas une justification. Autoriser une exception au principe de l’art. 329d, al. 1, CO en raison de variations mensuelles du salaire dû, même pour des emplois à temps plein, viderait de sa substance le but protecteur de cette disposition contraignante. Dans de tels cas, une exception au texte clair de la loi est donc inadmissible.

2.3 Dans le cas présent de la salariée engagée à 100 %, cela signifie que la recourante ne peut pas être suivie. En critiquant la méthode d’analyse de l’instance précédente concernant les variations temporelles des horaires de travail, elle ne démontre aucune violation du droit fédéral. Il s’avère qu’un accord exceptionnel – dérogeant à l’art. 329d CO impératif – sur le versement du salaire de vacances avec le salaire courant n’est pas admissible dans le cas de l’intimée, employée à 100 % par le même employeur. Au vu de ce qui précède, les doutes pratiques exprimés par la recourante ne sont pas pertinents. Les variations des heures de travail mensuelles soulignées dans le recours ne peuvent pas justifier une exception, ce qui rend également vaines les objections de fait soulevées dans le même contexte. 

(…)  Le recours doit donc être rejeté (…).

(Arrêt du Tribunal fédéral A_357/2022 du 30.01.2023, consid. 2 – destiné à la publication)

 Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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