
Le principe de l’interdiction de la double imposition intercantonale de l’art. 127 al. 3, 1ère phrase, Cst. s’oppose à ce qu’un contribuable soit concrètement soumis, par deux ou plusieurs cantons, sur le même objet, pendant la même période, à des impôts analogues (double imposition effective) ou à ce qu’un canton excède les limites de sa souveraineté fiscale et, violant les règles de conflit jurisprudentielles, prétende prélever un impôt dont la perception est de la seule compétence d’un autre canton.
Selon l’art. 127 al. 3, 2e phrase, Cst. la Confédération doit prendre les mesures nécessaires pour mettre en œuvre ce principe… ce qu’elle n’a jamais fait ! C’est donc le Tribunal fédéral, dans une jurisprudence foisonnante, qui a posé les principes applicables.
Selon les art. 3 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct (LIFD ; RS 642.11 ) et 3 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID; RS 642.14), les personnes physiques sont assujetties à l’impôt à raison du rattachement personnel notamment lorsque, au regard du droit fiscal, elles sont domiciliées en Suisse respectivement dans le canton (al. 1); une personne a son domicile en Suisse respectivement dans le canton au regard du droit fiscal lorsqu’elle y réside avec l’intention de s’y établir durablement ou lorsqu’elle y a un domicile légal spécial en vertu du droit fédéral (al. 2). Les personnes physiques domiciliées dans le canton, au regard du droit fiscal, doivent l’impôt au lieu de leur domicile (art. 3 al. 2 LHID).
L’imposition du revenu et de la fortune mobilière d’une personne revient au canton où cette personne a son domicile fiscal. On entend par là en principe le domicile civil, c’est-à-dire le lieu où la personne réside avec l’intention de s’y établir durablement (art. 23 al. 1 CC), ou le lieu où se situe le centre de ses intérêts. Le domicile politique ne joue, dans ce contexte, aucun rôle décisif: le dépôt des papiers et l’exercice des droits politiques ne constituent, au même titre que les autres relations de la personne assujettie à l’impôt, que des indices propres à déterminer le domicile fiscal. Le lieu où la personne assujettie a le centre de ses intérêts personnels se détermine en fonction de l’ensemble des circonstances objectives, et non en fonction des déclarations de la personne; dans cette mesure, il n’est pas possible de choisir librement un domicile fiscal.
Si une personne séjourne alternativement à deux endroits, ce qui est notamment le cas lorsque le lieu de travail ne coïncide pas avec le lieu de résidence habituelle, son domicile fiscal se trouve au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites. Pour le contribuable exerçant une activité lucrative dépendante, le domicile fiscal se trouve en principe à son lieu de travail, soit au lieu à partir duquel il exerce quotidiennement son activité lucrative, pour une longue durée ou pour un temps indéterminé, en vue de subvenir à ses besoins. Pour le contribuable marié qui exerce une activité lucrative dépendante sans avoir de fonction dirigeante, ainsi que pour les personnes vivant en concubinage dans la même situation, les liens créés par les rapports personnels et familiaux (époux, concubin, enfants) sont tenus pour plus forts que ceux tissés au lieu de travail; pour cette raison, ces personnes sont imposables en principe au lieu de résidence de la famille, même lorsqu’elles ne rentrent dans leur famille que pour les fins de semaine et durant leur temps libre,
Le lieu du séjour en fin de semaine ou durant les vacances n’est en général pas suffisant pour constituer objectivement un domicile fiscal principal. Il a ainsi été jugé que les relations personnelles et matérielles entretenues durant la semaine avec le lieu du travail ou celui à partir duquel le travail est exercé (Wochenaufenthaltsort) l’emportaient sur celles que ces mêmes contribuables peuvent nouer ailleurs pendant le week-end. En particulier, le Tribunal fédéral a relevé sur ce point que l’appartenance à des sociétés locales traditionnelles n’était guère significative au point que l’on doive conclure à une implication prépondérante en un lieu déterminé (cf. arrêts TF 2C_794/2013 du 2 mai 2014 consid. 3.6, 2C_178/2011 du 2 novembre 2011 consid. 3.4; voir aussi arrêt FI.2003.0055 du 26 janvier 2004; cf. également arrêt FI.2017.0016 du 28 août 2017 consid. 4c).
De même le retour régulier en fin de semaine du contribuable célibataire au lieu de la famille doit être apprécié avec une certaine rigueur. Le principe selon lequel le domicile fiscal d’un contribuable de condition dépendante se trouve à son lieu de travail prend une importance certaine : même en cas de retour hebdomadaire auprès des parents et des frères et sœurs, les liens au lieu de travail peuvent l’emporter. Cela sera notamment le cas lorsque ces personnes disposent d’un logement au lieu de leur travail, qu’ils y vivent en concubinage ou qu’ils y ont un cercle d’amis et de connaissances. Dans ce contexte, la durée des rapports de travail ainsi que l’âge du contribuable ont une importance particulière.
La détermination du domicile fiscal prend en compte l’ensemble des circonstances du cas d’espèce.
Il faut rappeler ici que contrairement à ce qui prévaut dans les situations internationales (ATF 138 II 300 consid. 3.3), le domicile fictif de l’art. 24 al. 1 CC – selon lequel toute personne conserve son domicile aussi longtemps qu’elle ne s’en est pas créé un nouveau – ne s’applique pas en cas de changement de domicile à l’intérieur de la Suisse. Si le contribuable a rompu les liens avec son ancien domicile, il n’y est plus assujetti. L’ancien domicile doit néanmoins être considéré comme toujours déterminant lorsque la preuve que celui-ci a été déplacé ne peut être apportée. Pour constituer un nouveau domicile, la volonté de le déplacer n’est pas suffisante. Cette volonté doit se traduire par des actes concrets, c’est à dire que le contribuable doit avoir déplacé le centre de ses intérêts vitaux à cet endroit.
Par ailleurs, en matière fiscale, il appartient à l’autorité d’établir les faits qui justifient l’assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette ou la suppriment. En ce qui concerne le domicile, cela implique qu’il appartient à l’autorité qui veut imposer le contribuable sur son territoire d’apporter les éléments de fait nécessaires pour établir le domicile fiscal déterminant pour l’assujettissement.
Pour finir, et à titre d’exemples, concrets, trois décisions (parmi d’autres):
Arrêt de la Cour de droit administratif et public (VD) FI.2021.0117 du 12.07.2022 : https://droitdutravailensuisse.com/2022/08/17/la-determination-du-domicile-fiscal/
Arrêt de la CDP (NE) du 30.09.2022 [CDP.2022.124], https://droitdutravailensuisse.com/2022/11/03/determination-du-domicile-fiscal-dune-salariee-vivant-en-concubinage-ne-vs/
Arrêt du Tribunal fédéral 2C_580/2017 du 16 mars 2018, https://droitdutravailensuisse.com/2018/04/03/domicile-fiscal-dune-personne-physique-exercant-une-activite-dependante-le-professeur-duniversite/
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM (Tax), CAS, Genève et Onnens (VD)