Domicile fiscal d’une personne physique exerçant une activité dépendante: le professeur d’université

pexels-photo.jpgLe principe de l’interdiction de la double imposition au sens de l’art. 127 al. 3 Cst. s’oppose à ce qu’un contribuable soit concrètement soumis, par deux ou plusieurs cantons, sur le même objet et pendant la même période à des impôts analogues (double imposition effective) ou à ce qu’un canton excède les limites de sa souveraineté fiscale et, violant des règles de conflit jurisprudentielles, prétende prélever un impôt dont la perception est de la seule compétence d’un autre canton (double imposition virtuelle).

Ces conditions sont réalisées en l’espèce, dès lors que le domicile fiscal du recourant à partir de la période fiscale 2016 a été fixé dans le canton de Fribourg, alors que l’intéressé et le Service des contributions tessinois estiment que ce canton outrepasse sa souveraineté fiscale au détriment du canton du Tessin. Il appartient donc au Tribunal fédéral de déterminer quel est le canton compétent pour l’imposition dès 2016.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la double imposition (cf. art. 127 al. 3 Cst.), le domicile fiscal (principal) d’une personne physique exerçant une activité lucrative dépendante se trouve au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir durablement (cf. aussi, pour le domicile fiscal cantonal, art. 3 al. 2 LHID), soit au lieu où la personne a le centre de ses intérêts personnels. Ce lieu se détermine en fonction de l’ensemble des circonstances objectives et non sur la base des seules déclarations du contribuable, qui ne peut pas choisir librement son domicile fiscal. Dans ce contexte, le domicile politique ne joue aucun rôle décisif: le dépôt des papiers et l’exercice des droits politiques ne constituent, au même titre que les autres relations de la personne assujettie à l’impôt, que des indices propres à déterminer le domicile fiscal.

Si une personne séjourne alternativement à deux endroits, ce qui est notamment le cas lorsque le lieu de travail ne coïncide pas avec le lieu de résidence habituelle, son domicile fiscal se trouve au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites. Pour le contribuable exerçant une activité lucrative dépendante, le domicile fiscal se trouve en principe à son lieu de travail, soit au lieu à partir duquel il exerce quotidiennement son activité lucrative, pour une longue durée ou pour un temps indéterminé, en vue de subvenir à ses besoins.

Pour le contribuable marié qui exerce une activité lucrative dépendante sans avoir de fonction dirigeante, ainsi que pour les personnes vivant en concubinage dans la même situation, les liens créés par les rapports personnels et familiaux (époux, concubin, enfants) sont tenus pour plus forts que ceux tissés au lieu de travail; pour cette raison, ces personnes sont imposables en principe au lieu de résidence de la famille, même lorsqu’elles ne rentrent dans leur famille que pour les fins de semaine et durant leur temps libre. Il en va différemment en principe lorsque le contribuable exerce une activité lucrative dépendante dans une fonction dirigeante. Dans ce cas, il faut présumer que le centre de ses intérêts se trouve au lieu de son travail. Cette présomption peut être renversée en prouvant l’existence de rapports particulièrement intenses avec le lieu de résidence de la famille.

Les principes qui précèdent s’appliquent également au contribuable célibataire, séparé ou veuf, car la jurisprudence considère que les parents et les frères et sœurs de celui-ci font partie de la famille. Toutefois, les critères qui conduisent le Tribunal fédéral à désigner non pas le lieu où le contribuable travaille, mais celui où réside sa famille doivent être appliqués de manière particulièrement stricte, dans la mesure où les liens avec les parents et la fratrie sont généralement plus distants que ceux entre époux et avec les enfants. En pareilles circonstances, la durée des rapports de travail et l’âge du contribuable ont une importance particulière. Le Tribunal fédéral considère ainsi que les relations du contribuable célibataire avec ses parents sont en général moins étroites, lorsque celui-ci a plus de trente ans et qu’il réside sur son lieu de travail de manière ininterrompue depuis plus de cinq ans (cf. ATF 125 I 54 consid. 2b/bb; arrêts 2C_311/2014 du 30 avril 2015 consid. 2.2; 2C_854/2013 du 12 février 2014 consid. 5.1 et les références citées).

Ainsi, en présence d’un contribuable de plus de trente ans qui exerce une activité lucrative dépendante, on présume qu’il a son domicile fiscal principal au lieu où il séjourne durant la semaine et à partir duquel il se rend à son travail. Cette présomption peut être renversée si le contribuable rentre régulièrement, au moins une fois par semaine, au lieu de résidence des membres de sa famille et qu’il parvient à démontrer qu’il entretient avec ceux-ci des liens particulièrement étroits et jouit dans ce même lieu d’autres relations personnelles et sociales.

En l’occurrence, le recourant, âgé de quarante-neuf ans en 2016, exerce une activité lucrative dépendante à l’Université de Y.________. Professeur ordinaire depuis 2008, il dirige la Chaire ****, fonction qui comporte de multiples responsabilités tant académiques qu’administratives. En d’autres termes, le recourant occupe une position élevée, qui implique un engagement intense envers son emploi qui se rapproche, à plusieurs égards, d’une fonction dirigeante (cf. ATF 132 I 29 consid. 4.3 sur les critères de la fonction dirigeante). Il n’est toutefois pas nécessaire d’approfondir le point de savoir si l’emploi du recourant devrait être qualifié de fonction dirigeante. En effet, dans la mesure où le recourant est célibataire, âgé de plus de trente ans et séjourne durant la semaine à Y.________, c’est de toute façon à bon droit que le Tribunal cantonal a retenu que le domicile fiscal de l’intéressé était présumé se trouver à Y.________.

Il s’agit donc d’examiner, sur la base des faits constatés dans l’arrêt entrepris (cf. art. 105 al. 1 LTF; supra consid. 2.1), si c’est également à juste titre que le Tribunal cantonal a estimé que la présomption en faveur du domicile fiscal au lieu de travail n’était pas renversée dans le cas d’espèce.

Il résulte de l’arrêt entrepris que le recourant se rend tous les week-ends et ses vacances au Tessin, où il est propriétaire d’une maison dans laquelle vit sa mère âgée. Le recourant, fils unique, est proche d’elle et lui apporte son soutien. Par ailleurs, le recourant donne des cours une fois par semaine dans des établissements tessinois, est membre de nombreuses associations tessinoises, effectue plusieurs activités sportives au Tessin et intervient régulièrement dans les médias locaux.

On ne peut nier au vu de ces différents éléments que le recourant entretient des liens forts avec son canton d’origine. Il n’en demeure pas moins qu’il travaille depuis plus de dix ans dans le canton de Fribourg, où il loue, également depuis plusieurs années, un appartement de quatre pièces. La surface de cette habitation pour une personne seule et son loyer (1’900 fr. par mois) excluent d’emblée le simple pied à terre destiné aux seuls besoin de la profession. Par ailleurs, le poste exigeant qu’occupe le recourant comprend nécessairement des contacts fréquents, sinon avec les collègues – avec lesquels le recourant dit entretenir peu d’affinités sur le plan scientifique – du moins avec les étudiants, les assistants et le personnel de l’Université de Y.________. Dans ces conditions, le recourant n’est pas crédible lorsqu’il affirme n’avoir aucun lien dans le canton de Fribourg. Les attaches du recourant avec ce canton remontent en outre à bien avant 2008, puisqu’il y a effectué une partie de ses études et travaillait déjà pour l’Université de Y.________ avant son engagement en tant que professeur ordinaire.

Le recourant et le Service des contributions tessinois soulignent que l’emploi de professeur laisse une grande autonomie et n’implique pas une présence continue sur le campus de l’Université de Y.________. Ils y voient un argument décisif en faveur du domicile fiscal au Tessin. Il n’est pas contesté que le recourant exerce une partie de ses tâches professionnelles à l’extérieur des murs de l’Université, notamment pour donner des conférences ou participer à des manifestations académiques, ou encore, puisque l’intéressé le souligne, intervenir auprès des médias, romands et tessinois. La liberté dont jouit le recourant dans l’organisation de son travail et les nombreux déplacements en Suisse et à l’étranger dont il fait état démontrent toutefois seulement que le recourant n’est pas obligé d’être en permanence à Y.________. On ne voit en revanche pas en quoi toutes ces activités professionnelles, y compris celles qui se déroulent dans le canton du Tessin, devraient conduire à retenir un domicile fiscal au Tessin.

Compte tenu des impératifs professionnels du recourant, de son âge et du nombre d’années qu’il a passées dans le canton de Fribourg, il faudrait des circonstances exceptionnelles pour retenir que son domicile fiscal ne se situe pas au lieu où se trouve l’Université qui l’emploie. Ces circonstances ne sont pas réalisées en l’espèce. S’agissant des relations familiales du recourant au Tessin, le Tribunal cantonal pouvait en effet les relativiser, dès lors que la relation entre le recourant et sa mère demeure limitée et ponctuelle, celle-ci vivant seule et sans l’aide de son fils la majorité du temps. Pour ce qui a trait aux activités sportives et associatives du recourant dans le canton du Tessin, il n’est pas établi qu’elles l’occuperaient au-delà des jours qu’il passe de toute façon sur place. Par ailleurs, il ne suffit pas d’ajouter aux éléments qui précèdent les interventions du recourant et sa notoriété dans les médias tessinois pour conclure à une prépondérance des attaches dans le canton du Tessin. Ces activités sont en effet directement liées au poste académique occupé par le recourant et doivent être rattachées à l’Université de Y.________. Enfin, en tant que le Service des contributions tessinois tient à rappeler que le recourant est propriétaire d’une maison au Tessin, vote dans ce canton et y a son véhicule immatriculé, on rappellera que ces facteurs ne sont pas décisifs.

Il résulte de l’ensemble de ces circonstances qu’on ne peut reprocher au Tribunal cantonal d’avoir retenu que le recourant n’était pas parvenu à renverser la présomption en faveur du domicile fiscal au lieu de travail. Partant, c’est sans violer le droit fédéral que le Tribunal cantonal a confirmé que le domicile fiscal du recourant à compter de la période fiscale 2016 se trouvait dans le canton de Fribourg.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_580/2017 du 16 mars 2018)

Nota bene: au vu des circonstances, le résultat apparaissait assez largement prévisible…

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Yverdon

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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