En droit suisse, le principe de la liberté de résilier prévaut. La résiliation peut toutefois être (notamment) qualifiée d’abusive.
La jurisprudence a créé une sorte de catégorie de salariés protégés, celle des salariés âgés au bénéfice d’une grande ancienneté (cf. R. Wyler, La protection du travailleur âgé au bénéfice d’une grande ancienneté, in Regards de marathoniens sur le droit suisse, Mélanges, Genève, Slatkine, 2015, pp. 187 et ss.)
Le travailleur âgé au bénéfice d’une grande ancienneté dispose en effet d’un droit à bénéficier d’égards particuliers avant la résiliation de son contrat, sur la base de l’art. 328 CO.
Cette protection accrue s’applique pour des travailleurs âgés de 50 ans au moins et qui bénéficient d’une ancienneté de plus de dix années d’emploi ininterrompu auprès du même employeur.
L’absence d’égards peut consister par exemple à ne pas donner de signal avant-coureur à l’intéressé que ses prestations sont insuffisantes et que des améliorations sont attendues, à ne pas délivrer d’avertissement assorti d’un délai pour améliorer la situation, à ne pas proposer de solutions « sociales » alternatives au sein de la société ou du groupe (même par la voie du congé-modification), etc.
L’employeur doit donc disposer d’un motif qui « tient la route ». L’insuffisance des prestations, le défaut d’adaptation alors qu’une seconde chance ou un soutien a été offert, constituent de tels motifs.
Dans un arrêt du tribunal fédéral 4A_31/2017 du 17 janvier 2018, le demandeur ( = l’employé) avait été licencié en raison d’un comportement et d’une performance que la défenderesse (= l’employeur) tenait pour insatisfaisants. La Chambre des prud’hommes de la Cour de justice la Cour du canton de Genève avait toutefois jugé ce congé abusif, aux termes de l’art. 336 al. 1 CO, en considération de l’ancienneté et de l’âge du demandeur, parce que la défenderesse n’avait ni recherché une solution propre à permettre le maintien des rapports de travail, ni offert au demandeur une dernière chance de répondre à ses attentes.
Devant le Tribunal fédéral, il n’est plus contesté que le licenciement du demandeur est abusif aux termes de l’art. 336 al. 1 CO.
Selon l’art. 336a al. 1 et 2 CO, la partie qui a résilié abusivement doit à l’autre une indemnité à fixer par le juge et correspondant à six mois de salaire au plus. Le montant doit être évalué selon les règles du droit et de l’équité, conformément à l’art. 4 CC. Il faut notamment prendre en considération la gravité de la faute commise par l’employeur, une éventuelle faute concomitante du travailleur, la gravité de l’atteinte à sa personnalité, son âge, la durée et l’intensité de la relation de travail, les effets du licenciement et les difficultés de réinsertion dans sa vie économique.
Le Tribunal fédéral ne contrôle qu’avec retenue une décision de dernière instance cantonale prise en équité. Il intervient lorsque le prononcé s’écarte sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, ou lorsqu’il repose sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu’il méconnaît des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; en outre, le Tribunal fédéral redresse les décisions rendues en vertu d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante.
La Cour de justice a alloué en l’espèce une indemnité correspondant à quatre mois de salaire; le demandeur invoque devant le Tribunal fédéral surtout son âge et ses difficultés à retrouver un emploi pour prétendre à une indemnité plus importante de six mois de salaire.
Dans une cause où le travailleur était âgé de cinquante-huit ans lors du congé, le Tribunal fédéral a fixé l’indemnité à deux mois de salaire (arrêt 4A_401/2016 du 13 janvier 2017, consid. 6.2, SJ 2017 I 297). Dans une autre cause, un travailleur âgé de cinquante-neuf ans a obtenu une indemnité de même ampleur devant la juridiction cantonale (arrêt 4A_384/2014 du 12 novembre 2014). Dans une autre affaire encore, un travailleur âgé de soixante-quatre ans a obtenu une indemnité de quatre mois de salaire (arrêt 4A_558/2012 du 18 février 2013).
Au regard de ces précédents et contrairement à la thèse avancée par le demandeur, le Tribunal fédéral considère qu’il n’apparaît pas qu’un travailleur âgé de soixante ans et licencié de manière abusive reçoive d’ordinaire et par principe une indemnité correspondant au maximum légal de six mois de salaire. L’argumentation présentée par le demandeur n’est pas jugée concluante et elle ne parvient en tous cas pas à mettre en évidence un vice flagrant dans l’appréciation de la Cour de justice.
Me Philippe Ehrenström, LL.M, avocat, Genève et Yverdon