Validité de l’autorisation de procéder d’une autorité de conciliation incompétente à raison du lieu

Tour Blackpool

Est litigieuse la question de savoir si une autorisation de procéder délivrée par une autorité de conciliation incompétente à raison du lieu est valable ou non.

La recourante soutient que seule une autorisation de procéder délivrée par une autorité manifestement incompétente est invalide. A contrario, l’autorisation de procéder est valable lorsque l’incompétence de l’autorité de conciliation saisie n’était pas manifeste. En l’occurrence, l’intéressée considère que le caractère manifeste de l’incompétence fait défaut et, partant, que l’autorisation de procéder qui lui a été remise est valable, si bien qu’elle pouvait saisir directement le tribunal sans devoir procéder à une nouvelle tentative de conciliation.

Les intimés s’inscrivent en faux contre cette argumentation. Selon eux, une autorisation de procéder délivrée par une autorité incompétente n’est pas valable, et ce même lorsque l’incompétence n’était pas manifeste.

Dans l’arrêt attaqué, la cour cantonale a considéré qu’il convenait d’opérer une distinction entre l’examen par l’autorité de conciliation de sa propre compétence et le contrôle de la validité de l’autorisation de procéder effectué a posteriori par le tribunal.

S’agissant du premier aspect, l’autorité précédente a estimé, en se référant à sa pratique, que l’autorité de conciliation est tenue de vérifier sa propre compétence à raison du lieu et peut, respectivement doit, rendre une décision d’irrecevabilité lorsqu’elle est manifestement incompétente ratione loci.

S’agissant du second aspect, la cour cantonale a considéré qu’une autorisation de procéder délivrée par une autorité de conciliation incompétente à raison du lieu n’est pas valable, même si l’incompétence n’était pas manifeste lors de la saisine de ladite autorité. (…) Se ralliant à l’opinion professée par une partie de la doctrine, qualifiée de majoritaire, la cour cantonale a ensuite estimé que la conciliation devait être répétée lorsque le tribunal constatait l’incompétence à raison du lieu de l’autorité de conciliation ayant délivré l’autorisation de procéder. Retenir le contraire reviendrait à admettre que la procédure pourrait être initiée auprès de n’importe quelle autorité de conciliation qui ne serait pas manifestement incompétente. Ceci aurait pour effet de contraindre le défendeur à participer à la procédure de conciliation conduite devant une autorité incompétente, sous peine de perdre  » son droit à la conciliation « . Ceci serait contraire aux règles sur le for censées protéger le défendeur. Il appartient dès lors au requérant de supporter le risque que le tribunal, saisi sur la base d’une autorisation de procéder délivrée par une autorité de conciliation incompétente, déclare la demande irrecevable. Dans le cas contraire, la procédure de conciliation serait vidée de son sens ce qui rendrait illusoire toute possibilité pour les parties de parvenir à un accord.

Il convient d’examiner successivement la question de l’examen par l’autorité de conciliation de sa propre compétence ratione loci et celle de la validité d’une autorisation de procéder délivrée par une autorité incompétente à raison du lieu, dans la mesure où la cour cantonale a estimé que la réponse à apporter à ces deux questions n’était pas identique.

Lorsque la compétence ratione loci de l’autorité de conciliation est contestée – dans le cas où celle-ci se limite à tenter de trouver un accord entre les parties (art. 201 al. 1 CPC) et non dans les hypothèses où elle entend délivrer une proposition de jugement (art. 210 CPC) ou statuer sur le fond (art. 212 CPC) -, les avis divergent sur le point de savoir si l’autorité peut rendre une décision d’irrecevabilité pour cause d’incompétence.

Certains auteurs sont d’avis que l’autorité de conciliation ne peut en principe pas prononcer une telle décision (…). Certaines cours cantonales suivent cette approche (arrêt du Tribunal cantonal du canton de Bâle-Campagne du 8 mai 2018, 400 17 308, consid. 2.6; arrêt du Tribunal cantonal du canton de St-Gall du 18 mai 2016, in GVP 2016 n. 41 consid. 2; arrêt du Tribunal supérieur du canton d’Argovie du 16 novembre 2011, ZVE.2011.7, consid. 3.2.1; cf. aussi l’arrêt argovien cité dans l’arrêt 4A_592/2013 du 4 mars 2014 consid. 3.1).

D’autres auteurs considèrent que l’autorité de conciliation peut refuser d’entrer en matière lorsqu’elle s’estime incompétente (…).

D’autres auteurs soutiennent enfin que l’autorité de conciliation peut déclarer la requête irrecevable seulement en cas d’incompétence manifeste (…). Plusieurs cours cantonales suivent cette approche (arrêt du Tribunal supérieur du canton de Zurich du 30 avril 2013, LU130001, consid. 3.2; arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 28 janvier 2019, in RFJ 2019 p. 314 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal cantonal du canton du Jura du 14 juin 2013, CC 39/2013, consid. 5.1 s.; arrêt du Tribunal cantonal du canton des Grisons du 3 mai 2016, in PKG 2016 p. 98consid. 2e; arrêt du Tribunal cantonal du canton de Lucerne du 24 mars 2016, in mp 2017 p. 311 consid. 6.3.2.1; arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 6 juin 2017, PT16.016938-170204216, consid. 3.2.2).

Après avoir laissé ouverte la question de savoir dans quelle mesure une autorité de conciliation est tenue d’examiner d’office les conditions de recevabilité de la requête (arrêt 5A_38/2016 du 21 avril 2016 consid. 2), le Tribunal fédéral a considéré qu’une autorité de conciliation peut refuser d’entrer en matière en cas d’incompétence matérielle manifeste (arrêt 4A_191/2019 du 5 novembre 2019 consid. 4.2 destiné à la publication). En d’autres termes, l’autorité de conciliation ne peut en principe pas rendre une décision d’irrecevabilité en cas d’incompétence, sauf si celle-ci est manifeste.

En substance, il a tenu le raisonnement suivant: à teneur des art. 59 al. 1 et 60 CPC, seul  » le tribunal  » examine d’office si les conditions de recevabilité – et notamment la compétence à raison du lieu (art. 59 al. 2 let. b CPC) – sont remplies et n’entre pas en matière sur la demande lorsque tel n’est pas le cas. Le Code de procédure civile fédéral opère aussi une distinction terminologique entre les tribunaux et les autorités de conciliation (cf. par exemple les art. 3 et 63 al. 1 CPC). Cela étant, le Tribunal fédéral a estimé que le texte de l’art. 126 al. 1 CPC, à teneur duquel  » le tribunal  » peut ordonner la suspension de la procédure, ne s’oppose pas au prononcé d’une telle décision dans le cadre de la procédure de conciliation (ATF 138 III 705 consid. 2.3). De plus, il est admis que la compétence laissée aux cantons de régler l’organisation matérielle et fonctionnelle des  » tribunaux  » (sauf disposition contraire de la loi), expressément ancrée à l’art. 4 al. 1 CPC, et les règles relatives à la compétence à raison du lieu des « tribunaux » (art. 9 ss CPC) visent également les autorités de conciliation. Même si une décision d’irrecevabilité n’est pas mentionnée dans les dispositions relatives à l’issue de la procédure de conciliation (contrairement à l’art. 236 al. 1 CPC qui réserve cette possibilité), la doctrine reconnaît à l’autorité de conciliation la faculté de prononcer ce type de décisions dans certaines circonstances, notamment lorsque le requérant n’effectue pas l’avance de frais requise. Certes, la tâche principale de l’autorité de conciliation consiste à essayer de trouver un accord entre les parties de manière informelle (art. 201 al. 1 CPC). Si la tentative de conciliation s’avère infructueuse, l’autorité de conciliation délivre une autorisation de procéder (art. 209 al. 1 CPC). La clôture de la procédure par une décision d’irrecevabilité suppose que l’incompétence puisse être établie de manière fiable. Or, la procédure de conciliation, vu sa nature informelle, s’y prête difficilement. L’on ne saurait cependant exiger d’une autorité de conciliation manifestement incompétente qu’elle délivre une autorisation de procéder, dès lors que, selon la jurisprudence, une autorisation de procéder émanant d’une autorité manifestement incompétente n’est en principe pas valable (ATF 139 III 273 consid. 2.1). Il s’agit d’une application du principe général selon lequel les actes d’une autorité manifestement incompétente sont normalement nuls et ne produisent aucun effet juridique (ATF 139 III 273 consid. 2.1). L’accomplissement d’actes nuls n’est pas souhaitable. Aussi convient-il d’admettre que l’autorité de conciliation puisse prononcer une décision d’irrecevabilité lorsqu’elle est à même d’établir de manière fiable, en fait et en droit, son incompétence, sans devoir procéder à d’importantes investigations qui seraient incompatibles avec les exigences de la procédure de conciliation (arrêt 4A_191/2019, précité, consid. 4.2 et 4.3 destinés à la publication).

Si la compétence matérielle des tribunaux (art. 4 ss CPC) est en principe soustraite à la libre disposition des parties (ATF 143 III 495 consid. 2.2.2.3; 138 III 471 consid. 3.1), il n’en va pas de même des règles de compétence à raison du lieu. Sauf disposition contraire de la loi, le tribunal saisi est en effet compétent lorsque le défendeur procède sans faire de réserve sur la compétence (art. 18 CPC). Le juge doit uniquement vérifier qu’aucun for impératif ou semi-impératif ne s’oppose à une acceptation tacite de la compétence du tribunal saisi ( Einlassung). Il découle de ce qui précède que, dans l’hypothèse où l’intimé ne soulève aucune exception d’incompétence, l’autorité de conciliation peut prononcer une décision d’irrecevabilité uniquement lorsqu’elle est manifestement incompétente à raison du lieu et qu’une acceptation tacite de compétence du tribunal est d’emblée exclue au regard de l’art. 18 CPC (fors impératifs ou semi-impératifs). Ces deux conditions sont cumulatives. Si en revanche l’intimé soulève une exception d’incompétence, l’autorité de conciliation peut rendre une décision de non-entrée, même lorsque le for n’est pas impératif, à condition que l’incompétence présente un caractère manifeste.

Il reste à déterminer si une autorisation de procéder délivrée par une autorité de conciliation incompétente ratione loci est toujours invalide ou non.

Bien que l’existence d’une autorisation de procéder valable ne soit pas mentionnée dans les conditions de recevabilité de l’action, énumérées à l’art. 59 al. 2 CPC – dont la liste n’est pas exhaustive comme l’indique clairement l’utilisation dans son libellé de l’adverbe « notamment » -, il s’agit d’une condition de recevabilité de la demande que le tribunal doit examiner d’office en vertu de l’art. 60 CPC. Une réserve s’impose toutefois lors de l’examen de la compétence à raison du lieu de l’autorité qui a délivré l’autorisation de procéder. Lorsqu’une acceptation tacite de compétence est possible au regard de l’art. 18 CPC, le tribunal doit vérifier sa propre compétence et celle de l’autorité de conciliation uniquement lorsqu’il est saisi d’un tel grief par le défendeur, faute de quoi l’art. 18 CPC deviendrait lettre morte lorsque la procédure au fond est précédée d’une tentative de conciliation.

Le passage par l’étape de la conciliation poursuit un double objectif puisqu’il vise à décharger les tribunaux, d’une part, et à faciliter l’accès à la justice pour les parties, d’autre part. Le Code de procédure civile fédéral repose sur l’idée centrale suivante:  » concilier d’abord, juger ensuite « . Le CPC valorise ainsi clairement la tentative de conciliation en la rendant en principe obligatoire.

Dans un arrêt publié, le Tribunal fédéral a retenu qu’une « autorisation de procéder délivrée par une autorité de conciliation manifestement incompétente n’est en principe pas valable  » (ATF 139 III 273 consid. 2.1). Dans cette affaire vaudoise, un justiciable avait saisi le Tribunal d’arrondissement de La Côte d’une requête de conciliation en faisant valoir une prétention supérieure à 100’000 francs; l’autorisation de procéder chiffrait à 190’141 fr. le montant des prétentions avancées par le requérant. Ce dernier avait alors porté l’action devant la Chambre patrimoniale du canton de Vaud, en concluant notamment au paiement de 127’652 fr. 50. En droit vaudois, l’autorité de conciliation est le juge matériellement compétent pour connaître de la demande au fond. Lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 30’000 fr. et inférieure ou égale à 100’000 fr., le Tribunal d’arrondissement est compétent; quand celle-ci excède 100’000 fr., la Chambre patrimoniale cantonale est compétente. Dans sa réponse, la défenderesse avait contesté la validité de l’autorisation de procéder. Le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’avait pas à revoir l’analyse du Tribunal cantonal concluant à l’incompétence manifeste de l’autorité de conciliation; il s’agissait en effet d’une question de droit cantonal. Dès lors que l’autorisation de procéder avait été délivrée par une autorité manifestement incompétente, il manquait une condition de recevabilité à l’action intentée par le justiciable. Partant, la demande était irrecevable (ATF 139 III 273 consid. 2.2).

Comme l’a souligné à juste titre la cour cantonale, l’on ne saurait tirer de l’arrêt précité des principes généraux touchant la validité de l’autorisation de procéder. En particulier, il n’est pas possible de déduire de cet arrêt qu’une autorisation de procéder délivrée par une autorité incompétente – mais non pas manifestement incompétente – serait valable, car dans l’affaire précitée l’autorité de conciliation saisie était manifestement incompétente à raison de la matière. Aussi le Tribunal fédéral n’a-t-il pas eu à se prononcer sur la validité d’une autorisation de procéder émanant d’une autorité dont l’incompétence ne présenterait pas un caractère manifeste.

Dans une autre affaire vaudoise jugée par le Tribunal fédéral, un travailleur, après avoir déposé une requête de conciliation devant le Tribunal d’arrondissement de Lausanne, avait saisi cette autorité d’une demande concluant au paiement de 90’530 fr. 50 et à la remise d’un certificat de travail dont la valeur litigieuse avait été fixée à 22’000 fr., conformément aux conclusions reproduites dans l’autorisation de procéder. Il avait ensuite limité sa demande au paiement de 90’530 fr. 50. Au vu de la réduction des conclusions opérée devant le juge du fond, le tribunal d’arrondissement était compétent pour statuer sur la demande modifiée tendant au paiement de 90’530 fr. 50; il l’était dès lors aussi pour mener la procédure de conciliation préalable. L’autorisation de procéder avait ainsi été délivrée par l’autorité qui, rétrospectivement, se trouvait être la bonne. Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral a considéré qu’il ne saurait être question d’incompétence propre à entacher la validité de l’autorisation de procéder (arrêt 4A_509/2015 du 11 février 2016 consid. 4).

Il résulte de ce qui précède que le Tribunal fédéral ne s’est jamais prononcé sur la validité d’une autorisation de procéder délivrée par une autorité qui s’avère en définitive incompétente, sans que l’incompétence de ladite autorité ne soit manifeste.

La doctrine est divisée sur le problème controversé. Les solutions retenues par les cours cantonales sont également contrastées.

Certains auteurs soutiennent que l’autorisation de procéder délivrée par une autorité incompétente à raison du lieu n’est pas valable. Partant, la procédure de conciliation doit être renouvelée (…). Admettre le contraire reviendrait à laisser au requérant le choix de l’endroit où il désire initier la procédure, indépendamment des règles sur le for censées protéger le défendeur (…). Par ailleurs, l’art. 193 al. 1 let. e de l’avant-projet du Code de procédure civile fédéral de juin 2003 prévoyait l’exclusion d’une nouvelle procédure de conciliation lorsque celle-ci a déjà eu lieu dans le cadre du même litige. Cette règle n’ayant pas été reprise dans le cadre du projet soumis aux Chambres fédérales, ceci constituerait un indice tendant à confirmer la thèse selon laquelle la procédure de conciliation doit être renouvelée lorsque l’autorisation de procéder est viciée (…). Enfin, certains auteurs exposent qu’une autorisation de procéder ne permet de toute manière pas de porter l’action à un autre for que celui où s’est déroulée la procédure de conciliation. En d’autres termes, le dépôt de la requête de conciliation, qui a pour effet de fixer définitivement le for ( perpetuatio fori; art. 64 al. 1 let. b CPC), exclurait la possibilité de déposer une demande devant un tribunal situé dans un autre ressort judiciaire (…).

D’autres auteurs sont d’avis que seule l’autorisation de procéder délivrée par une autorité manifestement incompétente est invalide (…). En appréciant plus strictement la validité de l’autorisation de procéder, l’on exigerait que la procédure de conciliation soit répétée, ce qui constituerait un exercice procédural vain, dans la mesure où une tentative de conciliation a déjà été menée. Cela pourrait également favoriser des manœuvres dilatoires (…).

Un auteur, apparemment isolé, considère que l’autorisation de procéder délivrée par une autorité incompétente est valable (…).

Enfin, une partie importante de la doctrine préconise une solution plus nuancée, la validité de l’autorisation de procéder émanant d’une autorité incompétente étant reconnue à certaines conditions. Ainsi, certains auteurs soutiennent que la procédure de conciliation n’a pas besoin d’être renouvelée lorsque le défendeur a participé à l’audience de conciliation (…). D’aucuns estiment qu’il n’y a pas lieu de répéter la procédure de conciliation lorsque le défendeur a bénéficié de conditions procédurales équitables ( » faire Verfahrensbedingungen « ) lors de la tentative de conciliation (….). D’autres auteurs, raisonnant sous l’angle de la bonne foi en procédure (art. 52 CPC) ou se référant à l’art. 18 CPC, sont d’avis que le défendeur ne peut pas contester la validité de l’autorisation de procéder lorsqu’il a tacitement accepté la compétence de l’autorité de conciliation (…).

L’on ne saurait suivre l’opinion professée par une partie de la doctrine selon laquelle seule l’autorisation de procéder délivrée par une autorité manifestement incompétente à raison du lieu ne serait pas valable. Admettre que l’invalidité de l’autorisation de procéder se limite aux seuls cas d’incompétence manifeste porterait atteinte aux intérêts du défendeur. Cela reviendrait en effet à autoriser le requérant à pouvoir déposer une requête de conciliation auprès de l’autorité de son choix, pour autant que celle-ci ne soit pas manifestement incompétente. Ce faisant, le défendeur serait, par la force des choses, obligé de prendre part à la procédure de conciliation conduite devant une autorité incompétente afin de pouvoir tenter de concilier l’affaire. Une telle solution serait non seulement contraire aux règles sur le for (art. 9 ss CPC) mais irait aussi à l’encontre de l’objectif du législateur visant à faciliter l’accès à la justice via la procédure de conciliation. A cet égard, il ne faut pas perdre de vue que le choix du for opéré unilatéralement par le requérant pourrait, dans certaines situations, présenter certains désavantages (pratiques) pour le défendeur, notamment dans l’hypothèse où l’autorité saisie se trouve sur le territoire d’un autre canton (frais de déplacement, problèmes linguistiques, etc.).

Cela étant, la solution préconisée par une autre partie de la doctrine, selon laquelle l’autorisation de procéder serait toujours invalide lorsqu’elle a été délivrée par une autorité incompétente, ce qui nécessiterait de renouveler systématiquement la procédure de conciliation, apparaît par trop formaliste et schématique, notamment lorsque l’on songe aux cas dans lesquels le défendeur a pris part à la procédure de conciliation sans émettre la moindre réserve. Il convient ainsi d’éviter que le grief tiré de l’incompétence ratione loci de l’autorité de conciliation ne serve uniquement de prétexte à des manœuvres dilatoires. Aussi ne se justifie-t-il pas nécessairement de renouveler à chaque fois la procédure de conciliation en faisant totalement abstraction du comportement adopté par le défendeur en cours de procédure.

Les raisons avancées par certains auteurs pour justifier la répétition systématique de la procédure de conciliation n’emportent point la conviction. En particulier, l’on ne saurait voir dans l’abandon de l’art. 193 al. 1 let. e de l’avant-projet du CPC de juin 2003 la volonté du législateur d’imposer toujours aux parties de procéder à une nouvelle tentative de conciliation, lorsque celle-ci a déjà eu lieu. Ni le Message du Conseil fédéral ni les débats parlementaires ne contiennent le moindre élément permettant d’aboutir à une telle conclusion.

Par ailleurs, le principe de la  » perpetuatio fori  » (art. 64 al. 1 let. b CPC) ne signifie pas que le tribunal saisi doit déclarer la demande irrecevable lorsque l’autorisation de procéder a été délivrée par une autorité de conciliation située dans un autre ressort géographique (…). En effet, le principe de la perpetuatio fori vise à protéger le demandeur et à le prémunir contre le risque de fuite de son adverse partie (…). Il ne fait dès lors pas obstacle au dépôt de la demande auprès d’un tribunal situé dans un autre ressort géographique que celui où s’est déroulée la procédure de conciliation, l’abus de droit étant naturellement réservé (art. 2 al. 2 CC).

Il convient ainsi de privilégier une solution plus nuancée et adaptée aux circonstances. Bien qu’il faille retenir qu’une autorisation de procéder délivrée par une autorité incompétente à raison du lieu n’est en principe pas valable, il y a lieu d’admettre que le défendeur ayant pris part à la procédure de conciliation sans émettre la moindre réserve relative à l’incompétence ratione loci de l’autorité de conciliation ne peut pas invoquer un tel vice devant le tribunal.

(…) , en vertu de l’art. 52 CPC, quiconque participe à la procédure doit se conformer aux règles de la bonne foi. Un des principaux devoirs imposés à une partie par la loyauté veut qu’elle se prévale de ses moyens au moment prévu par la loi et sans tarder, à défaut de quoi elle troublerait inutilement le cours du procès (arrêt 4C.347/2000 du 6 avril 2001 consid. 2b). D’après la jurisprudence, il est contraire au principe de la bonne foi d’invoquer après coup des moyens que l’on avait renoncé à faire valoir en temps utile en cours de procédure, parce que la décision intervenue a finalement été défavorable (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2; arrêt 5D_136/2014 du 3 février 2015 consid. 4.2.2). Aussi y a-t-il lieu d’admettre que, dans l’hypothèse où le défendeur participe à la procédure de conciliation sans remettre en question la compétence ratione loci de l’autorité de conciliation, le moyen pris de l’incompétence à raison du lieu de ladite autorité ne saurait être accueilli par le tribunal saisi au fond. Par conséquent, la procédure de conciliation n’a pas besoin d’être renouvelée dans ce cas de figure. En revanche, lorsque le défendeur fait défaut dans la procédure de conciliation ou conteste, dans le cadre de celle-ci, la compétence à raison du lieu de l’autorité de conciliation, il peut se plaindre du caractère vicié de l’autorisation de procéder lors du procès au fond et exiger que la procédure de conciliation soit répétée. (…). Les règles de la bonne foi commandent en effet qu’une acceptation tacite de la compétence ratione loci de l’autorité de conciliation déploie les mêmes effets, pour la procédure de conciliation, qu’une acceptation tacite de la compétence du tribunal (…).

L’admission tacite de la compétence de l’autorité de conciliation ne prive en revanche nullement le défendeur du droit d’exciper de l’incompétence à raison du lieu du tribunal saisi. En d’autres termes, si le défendeur ne peut plus remettre en cause la compétence de l’autorité de conciliation, il reste néanmoins libre de contester celle du tribunal saisi de la demande.

Certains auteurs soutiennent que le défendeur ne serait pas en mesure de démontrer qu’il a soulevé une exception d’incompétence au cours de la procédure de conciliation. A les en croire, un tel moyen de défense ne pourrait être mentionné ni au procès-verbal de conciliation ni dans l’autorisation de procéder, vu la teneur des art. 205 al. 1 et 209 al. 2 CPC (….).

Aux termes de l’art. 205 al. 1 CPC, les dépositions des parties ne doivent ni figurer au procès-verbal de conciliation ni être prises en compte par la suite, durant la procédure au fond. Il ressort du Message du Conseil fédéral que cette disposition vise à garantir l’objectivité des dépositions faites par les parties (Message CPC, p. 6940). Force est ainsi d’admettre que l’inscription au procès-verbal de l’exception d’incompétence ne compromet pas cet objectif et n’apparaît ainsi pas contraire à l’art. 205 al. 1 CPC (….). En tout état de cause, le défendeur peut établir par d’autres moyens qu’il a effectivement contesté la compétence de l’autorité de conciliation, notamment par le dépôt de déterminations écrites sur la requête de conciliation (…).

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_400/2019 du 17 mars 2020, destiné à la publication, consid. 5)

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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