Congé représailles, motifs économiques

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L’appelant ( = l’employé) reproche ensuite aux premiers juges d’avoir retenu que le motif économique invoqué par l’employeur à l’appui du licenciement était plus vraisemblable que le motif abusif qu’il avait invoqué. Il estime que dans la mesure où il ne percevait plus de salaire en raison de son incapacité de travail, il ne coûtait plus rien à l’entreprise et, partant, le licenciement ne pouvait être justifié pour des motifs économiques. Le congé qui lui avait été notifié ne visait en réalité qu’à le priver de ses prétentions en paiement de salaire, de sorte qu’il était abusif.

Selon l’art. 335 al. 1 CO, le contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties. En droit suisse du travail, la liberté de la résiliation prévaut, de sorte que, pour être valable, un congé n’a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier. Le droit de chaque cocontractant de mettre unilatéralement fin au contrat est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif.

Des motifs économiques peuvent être invoqués par l’employeur lorsqu’ils ne constituent pas un prétexte. Ainsi, la résiliation n’est pas abusive lorsque le poste du travailleur est effectivement supprimé ou que celui-ci n’a pas été (même indirectement) remplacé par un employé nouvellement engagé.

En vertu de l’art. 336 al. 1 let. d CO, qui vise le congé de représailles (ou congé-vengeance), le licenciement est abusif s’il est donné par une partie parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail. Cette disposition tend en particulier à empêcher que le licenciement soit utilisé pour punir le travailleur d’avoir fait valoir des prétentions auprès de son employeur en supposant de bonne foi que les droits dont il soutenait être le titulaire lui étaient acquis.

Pour dire si un congé est abusif, il faut se fonder sur son motif réel

L’employé doit être de bonne foi, laquelle est présumée (art. 3 al. 1 CC). Il importe peu qu’en réalité, sa prétention n’existe pas. Il suffit qu’il soit légitimé, de bonne foi, à penser que sa prétention est fondée. La réclamation ne doit toutefois être ni chicanière ni téméraire, car elle empêcherait alors une résiliation en elle-même admissible.

Les prétentions émises par l’employé doivent avoir joué un rôle causal dans la décision de l’employeur de le licencier. Ainsi, le fait que l’employé émette de bonne foi une prétention résultant de son contrat de travail n’a pas nécessairement pour conséquence de rendre abusif le congé donné ultérieurement par l’employeur. Encore faut-il que la formulation de la prétention en soit à l’origine et qu’elle soit à tout le moins le motif déterminant du licenciement.

En application de l’art. 8 CC, c’est en principe à la partie qui a reçu son congé de démontrer que celui-ci est abusif. En ce domaine, la jurisprudence a tenu compte des difficultés qu’il pouvait y avoir à apporter la preuve d’un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui a donné le congé. Selon le Tribunal fédéral, le juge peut présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n’a pas pour résultat d’en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de preuve par indices. De son côté, l’employeur ne peut rester inactif; il n’a pas d’autre issue que de fournir des preuves à l’appui de ses propres allégations quant au motif du congé.

Le juge établit sa conviction par une libre appréciation des preuves administrées (art. 157 CPC). L’appréciation du caractère abusif du licenciement suppose l’examen de toutes les circonstances du cas d’espèce.

Selon l’art. 336c al. 1 let. b CO, après le temps d’essai, l’employeur ne peut pas résilier le contrat pendant une incapacité de travail totale ou partielle résultant d’une maladie ou d’un accident non imputables à la faute du travailleur durant 90 jours de la deuxième à la cinquième année de service.

En l’espèce, il convient pour juger si le licenciement est abusif de déterminer son motif réel.

L’intimée ( = l’employeur) a, de manière constante, indiqué avoir licencié l’appelant pour des motifs économiques. Elle se trouvait dans une situation financière délicate qui l’obligeait à se séparer d’une partie de son personnel.

Les allégations de l’intimée s’agissant des difficultés économiques rencontrées ont été corroborées par les déclarations des témoins. […]

L’appelant conteste que des motifs économiques soient à l’origine de son licenciement et fait valoir que des témoins ont confirmé qu’après son départ, la société avait engagé du personnel d’exploitation, mais également administratif, supplémentaire. Toutefois, s’il ressort en effet des enquêtes que du personnel d’exploitation a été engagé afin de développer l’activité de l’intimée, seul le témoin E______ a indiqué qu’une secrétaire avait été engagée suite au départ de l’appelant. Il est en revanche établi que le poste de ce dernier n’a pas été repourvu. Contrairement à ce que soutient l’appelant, le fait que le témoin P______ ait indiqué que le poste de l’appelant ait été repris par F______ et elle-même et qu’une téléphoniste avait été engagée ne signifie pas que son poste a été repourvu, le cahier des charges d’une téléphoniste n’étant pas le même que celui d’un responsable de bureau technique. Le témoin P______ a de plus précisé que les finances de l’entreprise ne permettaient pas d’engager du personnel supplémentaire. En tout état, la quasi-totalité des témoins ont confirmé la diminution de l’effectif de l’entreprise.

En outre, des anciens employés de l’intimée ont confirmé au Tribunal avoir été licencié pour des motifs économiques avec effet au 31 décembre 2018.

Enfin, les témoins F______ et O______, lesquels avaient déclaré avoir pris part à la discussion concernant le licenciement de l’appelant, ont tous deux confirmé que les prétentions en paiement de salaire de A______ n’étaient pas à l’origine de son licenciement et que celui-ci avait bien été licencié pour des raisons économiques.

Il s’ensuit que la réalité du motif de congé invoquée par l’intimée, à savoir l’existence de difficultés économiques, a été établie.

Or, si l’appelant a démontré avoir, avant son licenciement, réclamé le paiement de son salaire durant son incapacité de travail, il ne prouve en revanche pas que ses revendications seraient à l’origine du congé, respectivement qu’elles auraient joué un rôle déterminant dans celui-ci. Le simple fait d’émettre de bonne foi et de manière répétée des prétentions résultant du contrat de travail avant le licenciement ne suffit en effet pas pour conclure à l’existence d’un congé-représailles. En tout état, si le licenciement a été signifié à l’appelant après que celui-ci ait mis par écrit les prétentions qu’il avait réclamées dès avril 2018, dans son courrier du 19 mai 2018, il l’a surtout été à l’échéance du délai de nonante jours de protection dont l’appelant bénéficiait en raison de son incapacité de travail. L’appelant ne saurait par ailleurs être suivi lorsqu’il soutient que dans la mesure où son employeur ne lui versait plus de salaire en raison de son incapacité de travail de longue durée, il ne représentait aucun coût pour l’intimée et qu’il ne se justifiait dès lors pas de le licencier pour des motifs économiques. L’on ne saurait en effet exiger d’un employeur qui fait face à des difficultés financières que celui-ci attende le retour d’un employé incapable de travailler pour lui signifier son licenciement, et ce, peu importe, s’il était considéré comme un bon élément. Par ailleurs, les motifs économiques attachés à un licenciement ne sont pas en lien avec le seul coût direct du salarié licencié mais plus largement en lien avec la situation économique de l’entreprise, laquelle, en l’espèce, n’était pas bonne, comme en ont attesté les témoins, l’intimée ayant été contrainte de restreindre de près de la moitié son personnel.

Au vu de ce qui précède, c’est à juste titre que le Tribunal a considéré que le congé litigieux n’était pas abusif et rejeté les prétentions de l’appelant en paiement d’une indemnité pour licenciement abusif.

(Arrêt de la Chambre des Prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève CAPH/111/2021 du 07.06.2021 consid. 4)

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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