Curriculum vitae inexact – invalidation du contrat de travail?

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Peut-on invalider un contrat de travail quand on découvre, postérieurement, que le cv du candidat que l’on a embauché était inexact?

L’art. 28 al. 1 CO prévoit que la partie induite à contracter par le dol de l’autre n’est pas obligée, même si son erreur n’est pas essentielle.

Selon l’art. 31 CO, le contrat entaché d’erreur ou de dol ou conclu sous l’empire d’une crainte fondée est tenu pour ratifié lorsque la partie qu’il n’oblige point a laissé s’écouler une année sans déclarer à l’autre sa résolution de ne pas le maintenir, ou sans répéter ce qu’elle a payé (al. 1). Le délai court dès que l’erreur ou le dol a été découvert, ou dès que la crainte s’est dissipée (al. 2).

Si le travailleur fournit de bonne foi un travail pour l’employeur en vertu d’un contrat qui se révèle nul par la suite, tous deux sont tenus de s’acquitter des obligations découlant du rapport de travail, comme s’il s’agissait d’un contrat valable, jusqu’à ce que l’un ou l’autre mette fin aux rapports de travail en raison de l’invalidité du contrat (art. 320 al. 3 CO).

En principe un contrat invalidé par la partie qui se prévaut d’un vice du consentement est annulé avec effet ex tunc. Les prestations déjà effectuées doivent être restituées. Lorsqu’il s’agit de l’invalidation de rapports contractuels de durée totalement ou partiellement exécutés, une restitution selon les principes de revendication ou de l’enrichissement illégitime se heurte en général à de grandes difficultés pratiques et peut même s’avérer impossible. C’est la raison pour laquelle la loi prévoit, pour le contrat de travail, une règle particulière à l’art. 320 al. 3 CO.

Quand un travailleur effectue de bonne foi des prestations au service d’un employeur en vertu d’un contrat de travail qui est invalidé par la suite, les deux parties sont tenues de s’acquitter des obligations découlant des rapports de travail comme si le contrat était valable, jusqu’à ce que l’une ou l’autre mette fin à ces rapports en invoquant l’invalidité du contrat. Ainsi, par l’effet de cette disposition, l’invalidation justifiée d’un contrat de durée partiellement ou totalement exécuté déploie ses effets ex nunc.

Dans l’intérêt d’une liquidation simplifiée d’un rapport de travail de fait, il se justifie de ne pas interpréter de manière trop restrictive les conditions de l’art. 320 al. 3 CO et de ne pas poser des exigences trop élevées quant à celle de la bonne foi. Un travailleur ne peut se prévaloir de l’art. 320 al. 3 que s’il est prouvé de manière positive qu’il connaissait l’invalidité du contrat. On exige ainsi la connaissance de l’invalidité, c’est-à-dire de la conséquence juridique et non seulement du caractère illicite d’un accord (ATF 132 III 142 = JT 2006 I 49, consid. 4).

Exemple tiré de la pratique :

En l’espèce, il est constant que la déclaration d’invalidation du contrat de travail a été émise en mars 2013, soit plusieurs mois après que ledit contrat de travail avait pris fin. Ainsi, à supposer que l’invalidation ait été justifiée, celle-ci ne pourrait déployer d’effet ex tunc, vu les principes découlant de l’art. 320 al. 3 CO pour autant que celui-ci s’applique. Pour exclure l’application de l’art. 320 al. 3 CO, la jurisprudence rappelée ci-dessus exige que l’employé, qui a conduit l’autre partie à contracter sous l’empire d’un dol, ait eu connaissance de l’invalidité du contrat.

En l’occurrence, le curriculum vitae présenté par l’intimée lors de son engagement, était rédigé d’une façon peu scrupuleuse, laissant un lecteur peu attentif croire que son auteur avait obtenu une maîtrise fédérale, ainsi qu’une licence en russe. Pareille conclusion ne pouvait toutefois être tirée avec certitude d’une lecture rigoureuse du document, lequel indiquait non pas une date précise d’obtention de ces titres, mais une période s’étendant sur plusieurs années (variant entre les versions française et anglaise du document) correspondant manifestement à un cursus d’études et non à la délivrance d’un certificat, le tout figurant sous l’intitulé « formation » et non sous un intitulé de diplômes. Il n’y a donc pas eu de tromperie intentionnelle de l’intimée. Au demeurant, il est d’usage pour un employeur de ne pas se fier inconditionnellement à des assurances données par un candidat quant à ses diplômes, mais de requérir copie de ceux-ci, singulièrement si une importance particulière y est attachée, ce qui n’a sciemment pas été fait en l’occurrence.

Pour le surplus, rien n’indique que l’intimée, à supposer qu’elle ait intentionnellement trompé l’appelante, aurait eu connaissance de l’invalidité qui aurait alors frappé son contrat de travail, au demeurant exécuté sans protestation d’aucune des parties pendant près de six ans, l’employeur s’étant montré satisfait, selon les témoignages recueillis, de la clientèle apportée par la collaboratrice.

Par conséquent, l’art. 320 al. 3 CO trouve application. L’invalidation opérée après que les rapports de travail avaient pris fin ne déploie en tout état pas d’effets ex tunc, de sorte qu’elle ne peut pas conduire au déboutement des prétentions de l’intimée fondée sur les rapports de travail.

C’est donc à raison que le Tribunal n’a pas retenu que l’intimée devait être déboutée de ses conclusions en raison de la déclaration d’invalidation de l’appelante du 1er mars 2013.

(CAPH/146/2015, consid. 3)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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