Le fait religieux sur le lieu de travail

Un responsable des ressources humaines peut aujourd’hui se retrouver confronté à des revendications et demandes découlant du fait religieux sur le lieu de travail. Comment répondre quand une employée entend soudainement porter le voile, qu’un autre refuse de serrer la main de ses collègues d’un autre sexe ou d’une autre confession, que l’on demande des horaires aménagés en fonction de certaines fêtes ou rituels religieux, etc. ? De la réponse que l’on donnera à ces questions pourront découler, dans une large mesure, la concorde, la sérénité ou leur absence dans les relations entre employés et avec la hiérarchie.

L’employeur suisse n’est toutefois pas démuni face au fait religieux, pour autant qu’il s’organise et utilise les moyens à sa disposition.

Le premier d’entre eux, et le plus important, est le droit de donner des directives écrites et générales découlant de l’art. 321d CO sous la forme d’un Règlement du personnel (ci-après le « Règlement »).

La prestation de travail étant souvent décrite de manière sommaire dans le contrat, les directives permettent à l’employeur de détailler et d’adapter les termes de ce qui est attendu du travailleur. Elles pourront porter sur les besoins de l’entreprise, sur la conduite des travailleurs et sur les modalités pratiques de l’exercice de la profession ou du métier.

Le droit de donner des directives, même générales, ne peut par contre pas élargir le cadre des obligations découlant du contrat de travail ni modifier le contenu de celui-ci. Le Règlement est donc subordonné au contrat de travail (et, bien évidemment, au droit applicable en la matière). L’employeur est toutefois relativement libre du contenu et de la forme du règlement, dans les limites notamment des art. 321d, 328 et 328b  CO.

Le Règlement doit toutefois être utilisé avec précaution.

Prenons le droit de porter le voile islamique sur le lieu de travail, qui a suscité et continue de susciter des débats très enflammés en Europe et en Suisse.

L’interdiction, dans un Règlement du personnel, de porter le voile islamique sur le lieu de travail, pour d’autres raisons que l’hygiène ou la sécurité, apparaîtrait probablement comme disproportionnée et ne portant pas sur un point nécessaire ou important pour l’exécution des prestations de travail. Une disposition du Règlement sur cette question aurait dès lors de bonne chance d’être illicite.

Toute autre est la question des relations que doivent entretenir entre eux les collaborateurs, et particulièrement ceux de sexes différents. L’employeur est en droit d’exiger, par des dispositions du Règlement, que les employés manifestent les uns envers les autres la courtoisie et les égards qui ont dus, et il doit aussi insister sur le respect de l’égalité entre les sexes. La mention de ces exigences dans le cadre du règlement permet évidemment de sanctionner les éventuels contrevenants, et de favoriser l’exécution des prestations de travail dans un climat serein et respectueux.

Le prosélytisme religieux (et politique) est à bannir absolument dans le cadre du Règlement pour garantir des bonnes relations de travail.

Toute autre est la question du port de symboles religieux sur le lieu de travail, qui devrait être toléré comme une expression légitime de la liberté de croyance (art. 15 Cst). Ce port n’a toutefois pas à être mentionné dans le Règlement, sauf à dresser une longue et inutile liste de ce qui est admissible et de ce qui ne le serait pas.

L’aménagement des horaires de travail pour permettre le respect de fêtes religieuses non reconnues comme jours fériés et de prières quotidiennes doit recevoir une réponse nuancée. En appliquant avec discernement les critères de la jurisprudence (par exemple CAPH-GE/200/2006), on devrait pouvoir retenir que des aménagements sont possibles au cas par cas, et pour autant que l’exécution des prestations de travail n’en souffre pas. Le critère déterminant devrait être ici l’exécution des prestations contractuelles par l’employé, et le fait que l’aménagement l’entrave ou non. Il n’y a donc pas de solutions générales qui devraient être consignées dans le Règlement.

On peut conclure de ce qui précède que si le Règlement du personnel ne peut pas tout, il peut en tout cas traiter de certaines des manifestations pathologiques du fait religieux sur le lieu de travail. C’est particulièrement le cas des relations interpersonnelles, qui doivent être régulées pour éviter les comportements discriminants ou conflictuels.

(Extrait de Philippe Ehrenström, Le droit du travail suisse de A à Z, Zurich 2022, pp. 238-239)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
Cet article, publié dans Divers, liberté d'expression, Protection de la personnalité, est tagué , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s