Tests COVID obligatoires pour les salariés?

Le Tribunal fédéral, dans un arrêt 2C_886/2021 du 12 décembre 2022, destiné à la publication (ital. :https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza://12-12-2022-2C_886-2021&lang=fr&zoom=&type=show_document) se penche sur l’obligation faite au personnel des établissements sanitaires et médicaux tessinois non vaccinés de procéder à des tests COVID réguliers. Les développements qui suivent sont une traduction libre de certains des considérants :

Photo de Karolina Grabowska sur Pexels.com

Par un arrêté (risoluzione) du 8 septembre 2021 intitulée « Obligation de tester le personnel sanitaire et social non vacciné et certificat COVID pour les visiteurs des établissements sanitaires et sociaux » publié dans la Feuille officielle du canton du Tessin no.161 du 9 septembre 2021, le Conseil d’État du canton du Tessin, rappelant la loi fédérale du 28 septembre 2012 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’être humain (loi sur les épidémies, LEp ; RS 818.101), la loi cantonale du 18 avril 1989 sur la promotion et la coordination de la santé (LSan ; RL 801. 100), l’ordonnance fédérale 3 du 19 juin 2020 sur les mesures de lutte contre le coronavirus (COVID-19) (ordonnance 3 COVID-19 ; RS 818.101.24), l’ordonnance fédérale du 23 juin 2021 sur les mesures de lutte contre l’épidémie de COVID-19 dans la situation particulière (ordonnance COVID-19 situation particulière ; RS 818. 101.26) et l’Ordonnance fédérale du 4 juin 2021 sur les certificats de vaccination contre le COVID-19, de guérison du COVID-19 ou le résultat d’un test de COVID-19 (Ordonnance sur les certificats COVID-19 ; RS 818.102.2), impose en substance au personnel des établissement sanitaires et sociaux non vacciné et en contact étroit avec les patients, résidents ou usagers des établissements concernés de produire un certificat COVID indiquant la date de validité ou de participer à un programme de tests ciblés et répétés organisé par les établissements eux-mêmes et valable pendant 96 heures.

Contre l’arrêté précité, le 11 octobre 2021, A.________ et 31 autres personnes ont déposé une requête intitulée  » Recours de droit public avec demande de restitution de l’effet suspensif en vertu de l’article 71 de la loi tessinoise du 24 septembre 2013 sur la procédure administrative (LPAmm ; RL/TI 165.100)  » auprès du Tribunal administratif du canton du Tessin, demandant à titre principal son annulation totale et, à titre subsidiaire, sa modification afin que tout le personnel de santé, vacciné ou non, soit obligé de passer le test.

[Le Tribunal cantonal transmet la requête, qu’il interprète comme un recours en matière de droit public contre un acte règlementaire cantonal, au Tribunal fédéral comme relevant de sa compétence].

Le 1er avril 2022, la Division de la santé publique du Département tessinois de la santé et des affaires sociales a informé le Tribunal fédéral que la mesure contestée était révoquée avec effet au 1er avril 2022 (…)

Selon l’art. 82 lit. b LTF, le Tribunal fédéral statue sur les recours contre les actes réglementaires cantonaux, qui peuvent être déposés directement dans les 30 jours suivant la publication dans le Bulletin officiel qui clôt la procédure législative (art. 101 LTF), lorsqu’il n’existe pas, comme c’est le cas en pratique, de voies de droit cantonales permettant un contrôle abstrait (art. 87 al. 1 LTF). En effet, le droit tessinois ne prévoit pas de procédure de contrôle abstrait des normes. (…)

 En vertu de l’art. 89 al. 1 lit. b et c LFLP (l’art. 89 al. 1 lit. a LFLP n’étant pas applicable en l’absence de recours de droit cantonal : arrêt 2C_625/2021 précité, consid. 1.4), la personne qui est particulièrement touchée par un acte réglementaire cantonal et qui a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification a qualité pour recourir contre celui-ci. Conformément à la jurisprudence sur le contrôle abstrait de la réglementation, cela signifie que toute personne dont les intérêts sont effectivement affectés par la réglementation en cause ou peuvent l’être à l’avenir peut former un recours ; un intérêt virtuel suffit si le demandeur rend vraisemblable que les dispositions contestées puissent un jour lui être appliquées. 

En l’espèce, parmi les différentes mesures qu’il instaure, l’acte attaqué impose au personnel en contact étroit avec les patients, résidents ou usagers des établissements concernés de produire un certificat COVID indiquant la date de validité ou de participer à un programme de tests ciblés et répétés organisé par les établissements eux-mêmes et valable pendant 96 heures. Le recours ne censure que cette mesure, qui sera donc la seule à être examinée ici. La plupart des requérants sont des travailleurs du secteur de la santé (infirmiers, chefs de service, médecins, assistants de bureau médical, techniciens en radiologie, éducateurs pour enfants handicapés, kinésithérapeutes) qui travaillent dans des établissements de santé (hôpitaux, cliniques, maisons de retraite, centres de jour, etc.) ou travaillent de manière indépendante en contact étroit avec les patients ou les usagers ; étant directement concernés par cette obligation, ils doivent donc se voir reconnaître la qualité pour agir. Pour ceux qui, parmi les recourants, n’appartiennent pas à cette catégorie mais sont préoccupés par l’obstacle à l’accès aux établissements de santé sans test COVID, la qualité pour agir pourrait en principe être admise dans la mesure où, en tant que visiteurs ou accompagnateurs potentiels de patients ou d’hôtes des établissements mentionnés, ils pourraient un jour être concernés par l’obligation de produire un certificat COVID-19 ou un certificat de test COVID négatif. Toutefois, comme indiqué plus haut, les arguments du recours ne portent que sur le point concernant l’obligation de dépistage pour le personnel non vacciné, de sorte que la légitimité de ces requérants apparaît pour le moins douteuse. Compte tenu de l’issue du recours, cette question peut toutefois rester en suspens. La même conclusion s’applique aux requérants qui, sans entrer dans l’une des catégories susmentionnées, se contentent d’exprimer en termes généraux leur crainte que la décision attaquée ne soit « que l’antichambre d’une obligation de vaccination du personnel de santé ».

L’intérêt au recours doit, en principe, également exister au moment où le Tribunal fédéral statue sur le litige. Le recours ne doit pas, en fait, être utilisé pour résoudre des problèmes juridiques abstraits. Si l’intérêt pratique et actuel fait déjà défaut au moment de l’introduction de l’action, celle-ci est irrecevable. Si, en revanche, elle fait défaut en cours de procédure, le recours devient sans objet.  Le Tribunal fédéral peut néanmoins écarter l’exigence de l’intérêt pratique et actuel requis par l’art. 89 al. 1 LFLP lorsque l’intervention litigieuse pourrait se reproduire à tout moment, dans des circonstances identiques ou similaires, mais qu’un examen en temps utile de celle-ci serait impossible, alors que, en raison de la question de principe qu’elle soulève, un intérêt public suffisant exigerait la résolution immédiate de la question litigieuse.

En l’espèce, l’objet du recours devant le Tribunal fédéral est un arrêté gouvernemental dans sa version en vigueur au moment où les recourants ont introduit le recours et qui, entre-temps, a été révoqué avec effet au 1er avril 2022. Les recourants n’ont donc plus d’intérêt pratique actuel à son annulation (…). Toutefois, le présent recours soulève une question de principe qui est susceptible de se poser à nouveau dans des termes similaires si une nouvelle variante du virus COVID-19 se développait et générait une nouvelle augmentation soudaine des infections, qui devrait alors être endiguée par des mesures urgentes dans un délai qui ne permettrait pas au Tribunal fédéral de se prononcer en temps utile. Il semble donc opportun de renoncer à l’exigence d’un intérêt actuel et de régler concrètement la question, compte tenu également des importants intérêts publics en jeu et de la sécurité juridique.

Le recours en matière de droit public est donc en principe recevable. 

De manière générale, le Tribunal fédéral s’impose une certaine retenue lorsqu’il examine un acte réglementaire cantonal dans l’abstrait, en tenant compte notamment des principes du fédéralisme et de la proportionnalité. Il n’invalide une disposition cantonale que si elle ne se prête à aucune interprétation conforme au droit constitutionnel ou au droit fédéral de rang supérieur ou si, en raison des circonstances, son libellé fait naître une certaine probabilité qu’elle puisse être interprétée de manière contraire à ceux-ci. (…)   Ce qui précède s’applique d’autant plus, comme on le verra plus loin, à une mesure prise dans des circonstances d’urgence de santé publique dans un contexte de forte incertitude due à l’évolution continue des conditions épidémiques et des connaissances scientifiques pertinentes : dans de telles circonstances, il faut reconnaître aux autorités compétentes une marge d’appréciation suffisante pour réagir rapidement en se référant aux connaissances scientifiques du moment, afin de protéger adéquatement la santé publique. 

 Dans leur premier grief, les requérants font valoir que l’acte attaqué est fondé sur une constatation inexacte des faits. En bref, selon eux, l’autorité cantonale a supposé a priori, sans tenir compte des données disponibles, que les personnes vaccinées ne sont pas porteuses du virus et ne peuvent pas le contracter, alors qu’en réalité, selon les requérants, on ne pouvait pas exclure avec certitude que les personnes vaccinées ne transmettent pas le virus et ne s’infectent pas (parfois même en mourant). À l’appui de leurs affirmations, les requérants produisent un grand nombre de publications, de documents contenant des données sur les tendances en matière d’infection, ainsi que des fiches et des déclarations émises par les autorités sanitaires ou d’autres organismes, desquels devraient finalement ressortir les faits suivants, qui, selon eux, portent atteinte au bien-fondé des décisions des autorités sanitaires cantonales. que la technologie innovante sur laquelle reposent les vaccins à ARNm n’a qu’un caractère expérimental et que les vaccins ont des effets secondaires (y compris des effets graves) ; que l’autorisation reçue par les deux vaccins en question n’est que provisoire et que, de plus, ils sont également utilisés à des fins dites « off-label », c’est-à-dire au-delà de l’indication thérapeutique approuvée que la durée de protection offerte par le vaccin s’avère de plus en plus courte et que la perte d’agressivité du virus dans ses mutations successives donne la fausse illusion que le vaccin est efficace, alors que c’est le virus qui perd sa létalité. 

Cet argument doit être rejeté dans son intégralité. Tout d’abord, dans le cadre d’un contrôle abstrait, il n’existe pas de faits de l’instance précédente sur lesquels le Tribunal fédéral peut fonder son jugement ; il doit au contraire les établir de manière autonome, dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de l’arrêt. Ensuite, pour l’essentiel, les arguments des requérants sur ce point ne portent pas réellement sur l’établissement des faits mais visent plutôt à remettre en cause l’existence d’un intérêt public et l’opportunité de la mesure ; dans cette mesure, ils doivent donc être pris en compte dans le cadre de l’examen d’une éventuelle inégalité de traitement découlant de cette mesure. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, comme on le verra plus en détail ci-après, le gouvernement tessinois n’a cependant jamais fondé la mesure contestée sur une hypothèse absolue selon laquelle les personnes vaccinées ne seraient pas porteuses du virus et ne pourraient pas le contracter. Au contraire, la résolution en question note que « les connaissances acquises sur l’efficacité du vaccin contre le COVID-19 » attesteraient, entre autres, « de la réduction du risque d’être infecté et donc de transmettre la maladie par les personnes vaccinées ». 

Le principal grief soulevé par les requérants concerne la violation du principe d’égalité (article 8 Cst.), en relation uniquement avec l’obligation d’effectuer des tests pour le personnel non vacciné. Ils affirment que la mesure contestée entraînerait une inégalité de traitement entre les personnes non vaccinées qui, pour travailler, doivent, contrairement aux personnes vaccinées, se soumettre à des contrôles de santé obligatoires, diagnostiques et invasifs, afin de prouver qu’elles sont en bonne santé. Selon eux, dans le secteur de la santé, où le personnel interagit avec des personnes fragiles (qui, notent les requérants, ont d’ailleurs déjà été vaccinées pour la plupart, puisqu’elles appartiennent aux catégories à risque), les contrôles réguliers du personnel au moyen d’un écouvillonnage obligatoire devraient, le cas échéant, concerner tout le personnel de santé, et pas seulement le personnel non vacciné, puisque même le personnel vacciné peut contracter le virus, être porteur asymptomatique et être infecté. Les plaignants ajoutent que si le personnel vacciné conserve le droit de consentir à un traitement médical (tests PCR), le personnel non vacciné est contraint de se soumettre à un traitement obligatoire s’il souhaite travailler. L’inégalité de traitement invoquée serait fondée non pas sur les preuves scientifiques du moment mais sur un processus qu’ils qualifient de  » groupthink  » et qui aboutirait à faire succomber une discipline scientifique à une pensée dominante qui se nourrirait de manière autoréférentielle en ignorant systématiquement les opinions et les preuves contraires, étant ainsi, pour couronner le tout, également arbitraire. Les effets d’une telle mesure seraient aggravés par le fait que la presse a rapporté à l’époque que l’administration hospitalière cantonale n’engageait plus de personnel non vacciné et que les écoles d’infirmières n’acceptaient plus d’étudiants non vaccinés. 

 L’art. 8, al. 1 de la Constitution consacre le principe de l’égalité devant la loi, qui signifie également l’égalité dans la loi. Un acte législatif de portée générale viole ce principe lorsqu’il établit des différences juridiques sans aucun motif raisonnable fondé sur la situation de fait qu’il entend réglementer ou lorsqu’il soumet à un régime identique des situations qui présentent entre elles des différences significatives et de nature à rendre nécessaire un traitement différent, ou encore lorsqu’il ne traite pas de manière identique ce qui est similaire ou ne traite pas de manière différente ce qui est dissemblable. Le traitement similaire ou différent doit se rapporter à une situation de fait importante. 

Pour apprécier la justification d’une inégalité de traitement, l’élément déterminant est, d’une part, la légitimité du but poursuivi par la réglementation considérée et, d’autre part, la proportionnalité de la mesure. Dans ce contexte, il est important de noter que, lors de l’évaluation normative des circonstances concrètes, il faut tenir compte des objectifs et des principes reconnus par la Constitution ainsi que des points de vue juridiques prévalant à l’époque concernée, qui peuvent toutefois changer au fil du temps, ce qui est particulièrement pertinent dans le cas de l’appréciation de l’admissibilité des mesures mises en œuvre par les autorités pour contrer la propagation de la pandémie de covid-19, où il est nécessaire de se fonder sur l’état actuel de l’évolution des connaissances scientifiques. 

 Dans ce cas précis, pour que l’article 8 Cst. soit applicable, il faut d’abord se demander si les deux groupes de personnes (les employés des établissements concernés, guéris ou vaccinés, en possession d’un certificat COVID-19, d’une part, et le personnel sans certificat, d’autre part) par rapport auxquels les requérants se plaignent d’une inégalité de traitement se trouvent dans une situation comparable, puis déterminer s’ils ont fait l’objet d’un traitement différent et si ce dernier était justifié ou non. 

Même si les recourants ne se plaignent que de manière générale de l’absence de base légale (en soulignant que la Suisse se trouvait à l’époque dans une situation particulière au sens de l’art. 6 LEp et non dans une situation extraordinaire au sens de l’art. 7 LEp), sans aborder la question de la densité réglementaire de la base légale spécifique sur laquelle se fondent les mesures contestées, il convient de rappeler que le Tribunal fédéral a déjà considéré que l’article 40 LEp constitue une base légale formelle suffisante pour que les autorités cantonales prennent des mesures appropriées pour lutter contre l’épidémie de COVID-19. Cette disposition, destinée à être appliquée en cas d’apparition de nouvelles maladies infectieuses pour lesquelles il existe un degré élevé d’incertitude quant aux causes, aux conséquences et aux mesures appropriées pour les combattre, est par nature formulée de manière indéterminée, puisqu’elle doit nécessairement accorder aux autorités cantonales compétentes une large marge de manœuvre, leur permettant d’adapter les mesures à la situation concrète ; Dans ces circonstances, il lui suffit de fixer le but de l’intervention (prévenir la propagation d’une maladie transmissible) et les conséquences (prendre certaines mesures), mais il n’a pas à fixer les conditions auxquelles elles peuvent être ordonnées. En revanche, l’énumération contenue dans le deuxième alinéa de l’art. 40 LEp n’est pas exhaustive (notamment), et le Tribunal fédéral a précisé que les mesures qui y sont visées – qui sont assez incisives – doivent a fortiori également comporter la possibilité pour les cantons d’adopter des mesures moins restrictives, dans le respect du principe de proportionnalité et en faisant usage de la large marge de manœuvre que leur laisse le libellé large de la disposition en cause. 

Or, la mesure en cause introduit une inégalité de traitement qui, dans la mesure où elle impose aux personnes non vaccinées de se soumettre régulièrement à des tests ciblés, affecte sensiblement leur liberté personnelle et la garantie de la protection de leur vie privée, mais elle est fondée sur une base légale suffisante puisqu’elle est couverte par les dispositions fédérales et cantonales qui prévoient expressément des mesures plus incisives. 

 Il convient donc de se demander si cette inégalité de traitement correspond également à un intérêt public pertinent. Il faut tout d’abord souligner que les requérants ne remettent pas en cause (ou en tout cas, comme déjà relevé, pas de manière suffisamment claire et l’existence générale d’un intérêt public à la protection de la santé publique et, en particulier, à la protection de la santé des personnes les plus vulnérables résidant dans les établissements touchés par la mesure et à la garantie de la solidité du système hospitalier. Ils contestent plutôt que l’inégalité de traitement causée par l’obligation de tester uniquement le personnel non vacciné réponde, en tant que telle, à un intérêt public. Les recourants semblent également remettre en cause l’existence d’un intérêt public par rapport à l’objectif indirect poursuivi par la mesure, qui était d’augmenter la couverture vaccinale du personnel de santé. 

 S’agissant de la justification des mesures dans des situations de crise sanitaire comportant un haut degré d’incertitude, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de relever que l’autorité compétente dispose d’une large marge d’appréciation car elle est contrainte de réagir rapidement aux événements, sur la base des connaissances scientifiques du moment, souvent partielles et limitées, s’exposant par ailleurs au risque de se voir reprocher de ne pas en avoir fait assez ou d’avoir agi de manière trop incisive et précipitée. L’examen rétrospectif est bien sûr délicat car il implique la nécessité de faire abstraction de connaissances acquises ultérieurement, en l’occurrence en ce qui concerne le développement du COVID-19 et l’efficacité des vaccins, et oblige à se situer dans le passé. 

Concrètement, l’objectif de la mesure contestée était de contrer la propagation de la maladie COVID-19, en particulier de protéger les personnes particulièrement exposées. À cette fin, l’une des priorités identifiées par les autorités, également dans le but d’alléger la charge des services hospitaliers déjà lourdement sollicités l’année précédente, tant au niveau européen que national, a été la prévention de nouvelles épidémies dans les établissements sanitaires et sociaux pour personnes âgées et invalides, dans les centres de jour, dans les services dans le domaine de la toxicomanie et dans les services de soins à domicile, des lieux où le personnel est en contact étroit avec des personnes vulnérables qui, si elles contractent le virus, courent un risque élevé de maladie grave et de décès. Dans ces établissements, en effet, il avait été constaté que les formes d’hébergement collectif, les activités sociales communes et les contacts physiques étroits avec les professionnels de la santé et le personnel soignant augmentaient le risque de transmission et que le personnel non immunisé pouvait devenir un vecteur de transmission de la maladie malgré l’application stricte des mesures d’hygiène. Dans ce contexte, il n’est pas vrai que les autorités sont parties de l’hypothèse que le vaccin était la panacée pour tous les maux en empêchant absolument les personnes vaccinées de contracter et de transmettre le virus. Dans la procédure, le Conseil d’État a en effet relevé qu’il avait tenu compte du fait que, conformément aux données scientifiques de l’époque, même les personnes vaccinées pouvaient à la fois s’infecter et transmettre le virus, mais qu’il avait fondé sa résolution sur le constat que les connaissances acquises sur l’efficacité du vaccin contre le COVID-19 permettaient d’identifier que, chez les personnes vaccinées, le risque de s’infecter et donc de transmettre la maladie à son tour était réduit. 

Il existait donc un intérêt public incontestable à traiter différemment les personnes non immunisées, c’est-à-dire celles qui ne sont pas en possession d’un certificat COVID, en concentrant sur elles les mesures visant à réduire davantage le risque de transmission, même si les autres pouvaient également infecter et être infectées, quoique – selon les connaissances au moment où la mesure contestée a été introduite – dans une moindre mesure. En définitive, cette stratégie correspondait à une politique légitime de « risque supportable » plutôt que de « risque zéro » et avait en même temps pour but d’inciter, sans bien sûr obliger, ce qui respectait également le principe de proportionnalité, le personnel de traitement travaillant en contact étroit avec les patients ou les usagers vulnérables à se faire vacciner en leur accordant alors un traitement plus favorable (c’est-à-dire en les libérant de l’obligation de se soumettre à des tests répétés). Même dans cette mesure, elle a donc poursuivi un objectif légitime de santé publique qui répondait au but de prévenir et de combattre la propagation du coronavirus (art. 2 LEp), et plus particulièrement à celle – qui lui est liée et déclarée dans la stratégie de l’OFSP – de promouvoir l’atteinte du taux de couverture le plus élevé possible de la vaccination anti-COVID-19 et antigrippale, conformément aux recommandations de la Commission fédérale des vaccinations. 

Il s’agit en définitive d’un objectif qui répond au besoin essentiel d’assurer la continuité du service de santé publique et socio-sanitaire du canton en soulageant les structures sanitaires tessinoises, et qui constitue donc un intérêt de santé publique clair, pertinent et prépondérant.

En vain, les requérants contestent la validité des preuves scientifiques qui ont démontré une réduction du nombre de patients, d’hospitalisations et de décès causés par le COVID-19. Certes, il ressort de l’abondante documentation annexée au recours que le vaccin ne pouvait être considéré comme « la panacée », qu’il présentait certains effets indésirables, qu’il ne prévenait éventuellement que les formes graves de la maladie et que la durée de son effet était réduite avec l’apparition de variantes du virus. 

Toutefois, il s’agit là d’éléments que l’autorité cantonale a également pris en compte et qui, de l’avis de cette Cour, ne sont pas suffisants pour remettre en cause le fait qu’à l’époque, malgré tout, l’augmentation du taux de vaccination dans la population avait entraîné une diminution des hospitalisations (parmi lesquelles une grande partie continuait d’être des patients non vaccinés),  avec pour conséquence un allègement de la charge des établissements de santé, et une diminution du nombre d’épidémies dans les établissements de santé, en particulier dans les maisons de retraite.

 Il convient donc d’examiner la proportionnalité de la mesure contestée. 

 L’inégalité de traitement établie à l’égard du personnel non titulaire d’un certificat COVID est proportionnelle si l’obligation d’effectuer des tests répétés est : a) apte à atteindre les buts visés, b) nécessaire en ce sens que, selon les connaissances scientifiques au moment où la mesure contestée a été adoptée, il ne pourrait être atteint par une mesure moins incisive et, enfin, c) elle est proportionnelle au sens strict, en ce sens qu’il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la personne concernée et le but poursuivi. Lors de l’examen de la mesure, il faut garder à l’esprit que les interventions doivent rester raisonnables et viser un risque acceptable, car elles ne peuvent pas viser à éliminer tout risque. Par ailleurs, comme cela a déjà été souligné, le Tribunal fédéral impose une certaine réserve lorsqu’il s’agit de statuer sur des questions de pure appréciation dans un contexte comme celui-ci où la frontière entre risque admissible et inacceptable n’est pas définie par le législateur mais doit être fixée par le pouvoir exécutif en se référant aux connaissances scientifiques du moment. 

Il convient tout d’abord d’évaluer le caractère approprié de la mesure. Tout d’abord, il convient de préciser qu’il n’appartient pas au Tribunal fédéral de se prononcer maintenant sur l’efficacité des vaccins contre le Covid-19 – autorisés provisoirement par l’Institut suisse des produits thérapeutiques, Swissmedic, dans une décision finale incontestée  – puisque ce n’est pas l’objet du litige. Il s’agit plutôt d’examiner l’aptitude de la mesure à poursuivre l’objectif (également énoncé à l’article 40 LEp) de prévenir la propagation d’une maladie transmissible et l’apparition de foyers, notamment dans les établissements de santé et d’aide sociale. 

En gardant à l’esprit que le critère d’intervention doit être le « risque acceptable » et non le « risque zéro », et que dans ce contexte il existe une marge d’incertitude inévitable dictée par le fait que certaines vérités scientifiques ne peuvent être acquises qu’avec le temps, il est possible de supposer que, selon les preuves scientifiques disponibles au moment de la mesure, la transmission du SRAS-CoV-2 par des personnes totalement vaccinées ou guéries était plus ou moins probable, et que plus le taux de couverture vaccinale du personnel de santé était élevé, plus le risque que le virus puisse franchir les portes de ces établissements était faible. Pour cette raison, il n’était pas recommandé à l’époque de tester les personnes vaccinées ou guéries de manière asymptomatique dans les 12 mois suivant la vaccination ou dans les six mois suivant la guérison. En revanche, on peut conclure que l’exigence de tests répétés sur le personnel non immunisé, qui a intensifié les contrôles parmi les personnes les plus susceptibles de tomber malades et d’être infectées, était adaptée pour limiter le nombre de travailleurs de la santé asymptomatiques entrant en contact avec des patients fragiles et pouvant les infecter. En substance, l’inégalité de traitement introduite était fondée sur la capacité différente du sujet à transmettre le virus et à s’infecter, capacité qui, selon les connaissances de l’époque, était plus faible chez les sujets vaccinés. Dans la mesure où elle concernait les personnes qui n’avaient pas encore été vaccinées, la mesure visait certainement aussi à améliorer la couverture vaccinale du personnel et donc à augmenter le degré d’immunisation au sein des institutions concernées et au bénéfice des patients et des usagers, un objectif, comme on l’a déjà vu, qui était également légitime.

La documentation produite par les requérants, en revanche, concerne plutôt le débat scientifique sur l'(in)efficacité du vaccin et ses effets secondaires, mais ne suffit pas à démonter la corrélation entre l’augmentation de la couverture vaccinale, la diminution de la circulation du virus et la formation de foyers dans les établissements concernés par la mesure. Comme il a déjà été souligné, contrairement à ce que prétendent les requérants, les autorités compétentes n’ont jamais prétendu que le vaccin éliminait tout risque de contagion, à tel point que parmi leurs recommandations, elles ont continué à maintenir pour l’ensemble du personnel (vacciné et non vacciné) celles relatives aux gestes dits de barrière (masques, hygiène des mains, si possible maintien de la distance, etc.)

En second lieu, il convient d’apprécier si la mesure était nécessaire, en d’autres termes, si d’autres mesures tout aussi appropriées et efficaces mais moins restrictives n’étaient pas envisageables. Il convient de noter que le corollaire de la nécessité peut parfois conduire à un traitement différencié en assouplissant certaines restrictions pour une seule catégorie de personnes, c’est-à-dire, dans ce cas précis, pour le personnel de santé titulaire d’un certificat COVID-19 (personnes vaccinées ou guéries). Dans ce contexte, il est nécessaire de prendre en compte le type de prestations ou de biens dont l’accès dépend du statut vaccinal, ainsi que l’intérêt d’éviter l’émergence de conflits sociaux entre les personnes en raison de leur statut vaccinal. Concrètement, étant donné que le statut de la vaccination conditionnait la possibilité d’accès au lieu de travail et la prestation de services à l’employeur, il est clair que, pour le groupe concerné par la mesure, il s’agissait d’un service de nature essentielle, qui requiert donc un test strict. Dans le cadre de la pesée des intérêts en présence, il faut également tenir compte du fait que le choix d’exercer une profession dans le domaine sanitaire et socio-sanitaire devrait impliquer une conscience et une responsabilité accrues à l’égard d’une catégorie de personnes fragiles et que, en particulier dans le contexte d’une pandémie, la décision de vacciner constitue souvent aussi un acte de solidarité sociale (solidarité sociale qui, par ailleurs, outre qu’elle trouve son fondement dans le préambule de la Constitution fédérale elle-même, est visée à l’article 6 de celle-ci), c’est-à-dire destiné à accroître la protection des personnes les plus vulnérables et donc exposées à un risque significativement plus élevé d’évolution grave de la maladie. 

De ce point de vue, l’acte attaqué respecte donc également le corollaire de la nécessité puisque, pour atteindre son but, il a évité d’introduire des obligations généralisées et a plutôt adopté un traitement différencié destiné à prendre en compte l’acte de solidarité déjà accompli par ceux qui avaient déjà été vaccinés, tout en offrant une alternative au personnel qui ne disposait pas d’un certificat COVID. Enfin, il convient de noter qu’en tout état de cause, la mesure en question ne s’appliquait pas de manière générique à l’ensemble du personnel de santé, mais uniquement à celui « en contact étroit avec les patients, les résidents ou les usagers » des établissements concernés, ne constituait pas une véritable obligation de vaccination et n’empêchait pas les travailleurs qui n’étaient pas en possession d’un certificat COVID d’avoir accès au lieu de travail, mais créait pour cette catégorie une exigence supplémentaire, certes pas insurmontable et somme toute pas trop invasive, à savoir celle de se soumettre à un programme de tests répétés organisé gratuitement par l’établissement lui-même. 

La mesure, contrairement à ce que prétendent les requérants, n’est pas non plus disproportionnée en raison de sa durée. Certes, le point 9 de l’acte attaqué prévoyait qu’il resterait en vigueur « jusqu’à sa révocation », mais cela n’apparaît pas en soi problématique puisque c’est le droit fédéral lui-même, à l’article 40 alinéa 3 LEp, qui concrétise le principe constitutionnel de proportionnalité, qui prévoit que les mesures ne peuvent être appliquées qu’aussi longtemps qu’elles sont nécessaires pour éviter la propagation d’une maladie transmissible et qu’elles sont régulièrement vérifiées.

Enfin, l’obligation de se soumettre à des tests répétés était également proportionnelle au sens strict, dans la mesure où elle offrait au personnel de santé qui, pour des raisons personnelles, ne souhaitait pas se soumettre au vaccin une alternative qui n’entraînait aucune charge, ni en termes de coût (elle était gratuite), ni en termes de temps ou de déplacement supplémentaires (elle était effectuée directement sur le lieu de travail). L’interférence dans la sphère personnelle que représentent ces tests a été réduite au minimum : le test a été effectué tous les cinq jours et, dans la plupart des cas, n’a pas entraîné la moindre gêne physique temporaire que pourrait provoquer un test nasopharyngé, puisque des tests salivaires ont en principe été effectués. Il convient ensuite de noter que le point 6 de l’acte attaqué prévoyait que la direction administrative des installations pouvait, sous certaines conditions (restrictives), accorder des dérogations à l’obligation d’effectuer les tests dans des situations extraordinaires ou urgentes avérées, ce qui renforce donc le caractère proportionnel du sacrifice imposé à l’intéressé. 

A la lumière de ces considérations, le recours est également non fondé sur ce point. L’examen approfondi qui vient d’être effectué quant au caractère fondé de l’acte attaqué permet également d’échapper à l’objection d’arbitraire, soulevée d’ailleurs seulement en passant dans le recours. En effet, l’absence de motifs inadmissibles pour la mesure exclut a fortiori tout arbitraire dans le raisonnement. 

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_886/2021 du 12 décembre 2022, destiné à la publication)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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