
Est litigieuse la question de savoir si, lorsque l’assureur de protection juridique donne des conseils juridiques et qu’il viole à cette occasion son devoir de diligence et cause un préjudice à l’assuré, le délai de prescription de la prétention en responsabilité de l’assuré est régi par le délai plus court de l’art. 46 al. 1 LCA ou par le délai de dix ans de l’art. 127 CO.
Pour résoudre cette question, il y a lieu de procéder à l’interprétation de l’art. 46 al. 1 LCA, l’art. 127 CO n’entrant en considération que si l’art. 46 al. 1 LCA n’est pas applicable (art. 100 al. 1 LCA).
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte se prête à plusieurs interprétations, s’il y a de sérieuses raisons de penser qu’il ne correspond pas à la volonté du législateur, il convient de rechercher sa véritable portée au regard notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique). Lorsqu’il est appelé à interpréter une loi, le Tribunal fédéral adopte une position pragmatique en suivant ces différentes interprétations, sans les soumettre à un ordre de priorité.
Selon l’art. 46 al. 1, 1re phr., LCA, entré en vigueur le 1er janvier 2022, les créances qui découlent du contrat d’assurance se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait duquel naît l’obligation ( » Die Forderungen aus dem Versicherungsvertrag verjähren […] fünf Jahre nach Eintritt der Tatsache, welche die Leistungspflicht begründet. « ; » […] i crediti derivanti dal contratto di assicurazione si prescrivono in cinque anni dal fatto su cui è fondato l’obbligo di fornire la prestazione « ). À part la durée du délai de prescription, qui a été portée de deux ans à cinq ans, la réserve de l’al. 3 et des modifications rédactionnelles, la nouvelle teneur n’a rien changé à la disposition précédemment en vigueur dans leurs versions en français et en allemand et applicable en l’espèce. Outre la réserve de l’al. 3 et la prolongation du délai de prescription, la version en italien a, quant à elle, précisé que ledit délai commence à courir non plus » dal fatto su cui è fondata l’obbligazione « , mais » dal fatto su cui è fondato l’obbligo di fornire la prestazione « .
Pour répondre à la question litigieuse, il faut tenir compte non seulement des termes » créances qui découlent du contrat d’assurance « , mais également de la précision apportée s’agissant du point de départ de la prescription de ces créances, à savoir les termes » fait duquel naît l’obligation « , » Tatsache, welche die Leistungspflicht begründet » et » fatto su cui è fondato l’obbligo di fornire la prestazione « .
Comme l’indiquent plus précisément les versions en allemand et en italien de l’art. 46 al. 1 LCA, l’ » obligation » visée par cette disposition est celle de l’assureur de fournir les prestations prévues dans le contrat d’assurance, par exemple, dans l’assurance-accidents, de verser les prestations convenues à raison de l’événement assuré. Le » fait » est la réalisation du risque qui donne naissance à cette obligation de l’assureur. Ce » fait » n’est pas le même pour les prétentions issues des diverses catégories d’assurances.
Dans l’assurance de protection juridique, l’assureur fournit, d’une part, un service sous forme d’assistance juridique et, d’autre part, une prestation pécuniaire, ainsi que, dès le début du litige, l’obligation de garantir à son assuré le paiement des frais du litige (ATF 119 II 468 consid. 2c).
Selon la jurisprudence, dans cette assurance, le » fait » duquel naît l’obligation de l’assureur correspond à la réalisation du risque, à savoir l’apparition du besoin d’assistance juridique (ATF 126 III 278 consid. 7a; 119 II 468 consid. 2c; arrêt 4A_609/2010 du 7 février 2011 consid. 1.2.1). Le point de départ (dies a quo) du délai de prescription de l’art. 46 al. 1 LCA court donc dès ce moment-là, et non dès le début du litige avec celui qui est appelé à devenir la partie adverse au procès, ni dès la fin du procès, par jugement définitif ou transaction (ATF 119 II 468 consid. 2c; arrêt 4A_609/2010 précité consid. 1.2.1). Ainsi, notamment, dès la survenance du besoin d’assistance, l’assuré peut prétendre à une garantie de couverture; si l’assureur accorde sa garantie pour une partie du litige, cela équivaut au paiement d’un acompte (art. 135 ch. 1 CO), qui interrompt la prescription pour l’entier de la créance de l’assuré; si l’assureur refuse de garantir les frais de défense de son assuré, celui-ci peut ouvrir, aux fins de l’y contraindre, une action, qui est interruptive de la prescription. Une fois le litige clos, le paiement ne constitue que l’exécution d’un engagement préexistant.
Les » créances [de l’assuré] qui découlent du contrat d’assurance » sont donc seulement celles dont l’assureur assume l’obligation en raison (née du fait) de la survenance du risque couvert, qui est le besoin d’assistance juridique, soit concrètement l’obligation de couvrir les frais d’un litige et/ou l’obligation de fournir des conseils. Il s’ensuit que la créance en dommages-intérêts, fondée sur la responsabilité contractuelle, qui est subséquente à la prestation d’assurance – les conseils fournis – et découle de la violation du devoir de diligence de l’assureur de protection juridique qui a fourni ces conseils, n’est pas visée par la lettre de l’art. 46 al. 1 LCA.
On ne peut rien déduire des travaux préparatoires en ce qui concerne les créances visées par cette disposition.
Selon le Message du Conseil fédéral, la brièveté du délai (de deux ans) correspond avant tout à un besoin pressant de la pratique des affaires; il faut qu’après un laps de temps assez court, l’assureur puisse être au clair sur sa situation pécuniaire (Message du 2 février 1904 sur le projet d’une loi fédérale concernant le contrat d’assurance, FF 1904 I 292 ad art. 43).
La révision de la LCA du 19 juin 2020 n’apporte pas d’élément nouveau. Certes, le Conseil fédéral a considéré que la proposition d’un allongement du délai de prescription à dix ans paraissait problématique du point de vue de la sécurité du droit, car des besoins spécifiques à l’assurance en matière de surveillance de la situation financière de l’entreprise d’assurance ne seraient pas suffisamment pris en considération, raison pour laquelle il a proposé une prolongation du délai de prescription à cinq ans, les parties pouvant prévoir contractuellement un délai plus long (Message du 28 juin 2017 concernant la révision de la loi fédérale sur le contrat d’assurance, FF 2017 4781 ch. 1.6.3).
Admettre le délai de prescription de dix ans de l’art. 127 CO, dès lors que l’art. 46 al. 1 LCA n’est pas applicable (art. 100 al. 1 LCA), n’entre pas en conflit avec le but de l’art. 46 al. 1 LCA. En effet, contrairement aux prétentions de l’assuré nées du risque couvert au sens de l’art. 46 al. 1 LCA et ignorées de l’assureur tant que l’assuré ne les fait pas valoir, la créance en dommages-intérêts est fondée sur des faits dont l’assureur a connaissance.
La soumission de la créance en dommages-intérêts au délai de prescription de dix ans de l’art. 127 CO est d’ailleurs approuvée par une partie de la doctrine qui s’est prononcée sur cette question. (…)
Au contraire, d’autres auteurs soutiennent que l’art. 46 al. 1 LCA est applicable. Dès lors qu’ils ne prennent en considération que les termes » créances qui découlent du contrat d’assurance » et font abstraction de la fin de l’alinéa et/ou ne discutent pas spécialement des créances en dommages-intérêts pour les conseils en matière d’assurance de protection juridique, leur position ne convainc pas. (…)
En conclusion, dès lors que la créance litigieuse est fondée sur le prétendu dommage qu’aurait causé l’entreprise d’assurance intimée en prodiguant à l’assuré recourant des conseils juridiques et en violant prétendument à cette occasion son devoir de diligence, c’est à tort que la cour cantonale a appliqué le délai de prescription de l’art. 46 al. 1 aLCA. La question de savoir si, comme elle l’affirme, l’entreprise d’assurance est assurée en responsabilité civile n’est pas déterminante, pas plus que ne l’est la constitution d’une provision spécifique au présent litige, dès lors que le délai de prescription n’influe ici ni sur la durée de la procédure judiciaire ni sur celle de la provision. Le délai de prescription décennal de l’art. 127 CO étant applicable, la prétention invoquée par le demandeur recourant n’est pas prescrite.
Point n’est dès lors besoin d’examiner les autres griefs du recourant.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_22/2022 du 21 février 2023, destiné à la publication)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)