
Le 18 mai 2018, à 18 heures 21, l’employée a adressé un message « WhatsApp » à l’intention de la responsable des ressources humaines – qui était sa supérieure hiérarchique – ce qui suit : « O.________, à la con, je vous en merde [sic]. Avec tout le respect que je dois à votre incompétence ». Ce message est parvenu à tous les membres du groupe.
L’employée fait valoir avoir agi de la sorte car elle venait de recevoir le planning pour la semaine suivante, soit le 18 mai 2018 à 18 heures 05, qui prévoyait qu’elle devait œuvrer deux nocturnes de suite (de 12 heures à 21 heures les jeudi et vendredi), puis immédiatement après (le samedi), de 9 heures à 18 heures. Elle met en avant qu’elle était énervée, car elle était en maladie pour cause d’épuisement.
Elle a été licenciée avec effet immédiat.
Dans un premier moyen, l’appelante (= l’employeur) reproche au tribunal d’avoir considéré que la résiliation avec effet immédiat du contrat qui la liait à l’intimée (= l’employée) était injustifiée. Invoquant la jurisprudence et la doctrine, l’appelante fait valoir que lorsqu’une injure grave est proférée par un employé devant des collègues ou des clients, respectivement patients, l’atteinte doit être considérée comme si grave qu’elle justifie le licenciement immédiat du travailleur. Il en irait de même en cas d’injure proférées dans le cadre d’une discussion privée, mais accessible à des tiers, sur Internet. Les premiers juges auraient, à tort, omis de tenir compte du fait que les propos litigieux ont été tenus sur une discussion « WhatsApp » accessible à tous les collaborateurs de l’appelante travaillant dans les cantons de […] et […]. Or, la tenue des propos litigieux – que l’appelante qualifie de gravement insultants et injurieux – dans de telles circonstances était propre à justifier le licenciement avec effet immédiat de l’intimée.
L’intimée relève qu’elle a tenu les propos litigieux ensuite d’une période d’incapacité de travail consécutive à un épuisement professionnel, alors qu’elle venait d’apprendre que son employeuse avait prévu, pour sa reprise d’activité, de la faire travailler deux nocturnes successivement et le lendemain matin du second nocturne. Selon l’intimée, ce serait ce comportement, que l’intéressée qualifie de contraire à l’art. 328 CO, qui l’aurait conduite à tenir les propos qui lui sont reprochés. Elle expose s’être trouvée dans un état de vulnérabilité en raison de son épuisement et n’avoir pas supporté le manque d’égard à sa santé témoigné par son employeuse. Les propos litigieux, écrits sous le coup de l’émotion et sans intention de nuire à l’appelante, constitueraient en définitive une extériorisation du désarroi de l’intimée. Partant, les propos en cause ne sauraient constituer un juste de motif de licenciement immédiat, ce nonobstant le fait qu’ils aient été envoyés à une grande partie des collaborateurs de l’appelante. De l’avis de l’intimée, les propos incriminés ne relèveraient au demeurant pas de l’injure grave ; les premiers juges ne s’y seraient du reste pas trompés en se limitant à retenir le qualificatif de « faute ». L’intimée relève enfin que son licenciement constituerait en réalité un congé-représailles au sens de l’art. 336 al. 1 let. d CO, l’intéressée rappelant qu’elle avait adressé à l’appelante, la veille de la résiliation des rapports de travail, un courrier par lequel elle réclamait de meilleures conditions de travail. Au vu de ces éléments, il y aurait lieu de rejeter le grief de l’appelante.
Selon l’art. 337 CO, l’employeur comme le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1) ; constituent notamment de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2).
Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. Elle n’est pas destinée à sanctionner un comportement isolé et à procurer à l’employeur une satisfaction Les faits invoqués à l’appui d’un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave peut justifier le licenciement immédiat du travailleur. En cas de manquement moins grave, celui-ci ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement. La jurisprudence ne saurait poser des règles rigides sur le nombre et le contenu des avertissements dont la méconnaissance par le travailleur est susceptible de justifier un licenciement immédiat ; sont décisives dans chaque cas particulier, entre autres circonstances, la nature, la gravité, la fréquence ou la durée des manquements reprochés au travailleur, de même que son attitude face aux injonctions, avertissements ou menaces formulés par l’employeur. Il est douteux qu’un avertissement, même formulé avec soin, qui a été donné pour des faits totalement différents, permette de licencier le travailleur à la moindre peccadille.
Par manquement, on entend en règle générale la violation d’une obligation imposée par le contrat mais d’autres faits peuvent aussi justifier une résiliation immédiate. La gravité du manquement ne saurait entraîner à elle seule l’application de l’art. 337 al. 1 CO ; ce qui est déterminant, c’est que les faits invoqués à l’appui d’une résiliation immédiate aient entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. La gravité de l’acte peut être absolue ou relative ; dans le premier cas, elle résulte d’un acte pris isolément. Dans le second, elle résulte du fait que le travailleur, pourtant dûment averti, persiste à violer ses obligations contractuelles (par ex. le travailleur, bien que sommé de faire preuve de ponctualité, n’en continue pas moins d’arriver en retard au travail) ; ici, la gravité requise ne résulte pas de l’acte lui-même, mais – à l’image de la récidive en droit pénal – de sa réitération.
Le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC), si le licenciement immédiat répond à de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). A cette fin, il prend en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels ainsi que la nature et l’importance des manquements. Lorsque l’employeur résilie le contrat de durée indéterminée avec effet immédiat sans justes motifs, le travailleur a droit à ce qu’il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai de congé (art. 337c al. 1 CO), le juge pouvant en outre condamner l’employeur à verser au travailleur une indemnité correspondant à six mois de salaire au maximum (art. 337c al. 3 CO).
Des injures ou de la violence dirigées contre la personne de l’employeur peuvent constituer une atteinte à sa personnalité et justifier un licenciement immédiat s’ils atteignent une certaine intensité, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. Une injure grave proférée devant des collègues ou des clients peut constituer un juste motif de licenciement immédiat.
Il faut distinguer les injures proférées dans un état d’énervement et de perte de maîtrise de celles formulées avec une intention de nuire à l’employeur. Par ailleurs, l’appréciation du comportement de l’employeur ne peut pas être écartée pour la seule raison que l’infraction de l’employé a été commise devant des collègues et des clients ; l’attitude de l’employeur doit en effet être prise en compte dans tous les cas de figure lors de l’examen des circonstances. Aussi l’employeur qui viole l’art. 328 CO n’est-il pas admis à se prévaloir, pour justifier la résiliation immédiate du contrat de travail, des conséquences découlant de cette violation.
Les premiers juges ont considéré que le contenu du message « WhatsApp » litigieux ne suffisait pas à justifier la résiliation immédiate du contrat de travail qui liait les parties. L’intimée avait certes adopté un comportement fautif en insultant son employeuse, respectivement sa représentante. La faute commise par l’intéressée était d’autant plus importante que les propos insultants avaient été adressés non seulement à sa supérieure, mais également à un grand nombre de collaborateurs de l’appelante. Il n’en demeurait pas moins que l’intensité des injures concernées n’étaient pas d’une intensité de nature à entraîner la rupture définitive du rapport de confiance entre les parties. Partant, l’intimée avait droit à des dommages‑intérêts positifs correspondant au salaire qu’elle aurait perçu si le contrat de travail avait pris fin à l’échéance du délai de congé ordinaire, ainsi qu’à une indemnité au sens de l’art. 337c al. 3 CO d’un montant fixé à 10’000 fr. net par le tribunal.
Il n’est pas contesté que les propos litigieux tenus sur « WhatsApp » par l’intimée doivent être qualifiés d’injurieux et constituent un manquement de l’intimée à ses obligations au sens rappelé ci‑dessus. Il y a toutefois lieu de tenir compte du contexte dans lequel le message litigieux a été envoyé.
En l’occurrence, l’intimée indique avoir procédé à l’envoi du message litigieux après qu’elle eut pris connaissance du planning qui lui avait été envoyé le jour même en vue de sa reprise d’activité après son absence pour cause de maladie. La chronologie des événements plaide pour sa version des faits, le planning en question ayant été transmis à l’intéressée le 18 mai 2020 à 18 heures 05 et le message litigieux ayant été envoyé quelque 15 minutes après sur le groupe « WhatsApp ». Il y a ainsi lieu de retenir avec l’intimée que les insultes proférées l’ont été en réaction à la réception dudit planning, soit sous le coup de l’émotion, par une employée épuisée devant un horaire de travail ressenti comme injuste, et non avec a volonté de nuire à l’appelante, aucun élément au dossier ne permettant d’imputer une telle intention à l’intéressée. En effet, au moment de la rédaction et de l’envoi du message litigieux, l’intimée était encore en incapacité de travail et venait d’apprendre qu’elle devrait, à sa reprise d’activité, travailler deux soirées à la suite jusqu’à 21 heures, ainsi que le lendemain du second soir dès 9 heures. Or, chez une personne épuisée par son travail – pareille nouvelle peut provoquer une perte de maîtrise. Au vu de ce qui précède, il se justifie de retenir que les insultes proférées l’ont été sous le coup de l’émotion, la chronologie entre la reprise d’activité qui se profilait, la réception du planning chargée prévu dès la reprise et le message qui a vu les insultes être proférées plaidant pour une telle émotion. Dans ces conditions, il faut voir dans les propos tenus par l’intimée – dont le manque de retenue et le ton insultant sont certes condamnables – davantage une réaction au stress généré par un planning de travail peu compatible avec une reprise d’activité après un arrêt maladie lié à un épuisement qu’une démarche visant à nuire à l’appelante, respectivement sa représentante. Dans ces circonstances, et conformément à la jurisprudence rappelée plus haut, les propos incriminés ne pouvaient à eux seuls justifier la résiliation immédiate des rapports de travail.
A la question de savoir si le fait que les propos injurieux aient été communiqués à plusieurs employés de l’appelante a une incidence sur l’appréciation précitée, il y a lieu de répondre par la négative. En effet, l’émotion ayant causé la réaction excessive de l’intimée était due à l’état d’épuisement professionnel dans lequel elle trouvait, notamment en lien avec l’organisation de son temps de travail. On ne saurait occulter, à la charge de l’appelante, les circonstances de la reprise de travail par l’intimée, soit un planning très chargé, avec deux nocturnes consécutifs se prolongeant par une journée complète de travail, alors même que l’intimée reprenait le travail après un arrêt maladie – ce que l’employeuse savait par la réception de la lettre du jour précédent la résiliation par laquelle l’intimée s’en plaignait précisément et produisait un certificat d’incapacité de travail. C’est dire que les propos litigieux – sans en minimiser la gravité – trouvent leur origine dans une violation par l’appelante de son obligation de protéger la santé de l’intimée (art. 328 CO) ; or, un employeur ne peut se prévaloir des propos litigieux dont il est – au moins en partie – responsable pour justifier la résiliation immédiate du contrat de travail, ce nonobstant le fait que lesdits propos aient été tenus en présence de – respectivement communiqués à – d’autres employés. Le fait que des avertissements aient été donnés à l’intimée est ici sans pertinence, étant relevé que les seuls avertissements prouvés à satisfaction de droit ne concernaient pas des injures préalables à celles du 18 mai 2020 mais étaient essentiellement liés à la problématique des arrivées tardives de l’intimée. L’existence d’un avertissement oral donné à l’intimée pour avoir traité B.________ de « conne » n’est étayée que par les déclarations de celle-ci, entendue en qualité de partie. Partant, la résiliation immédiate ne saurait être justifiée par une conduite antérieure de l’intimée.
(Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois HC / 2023 / 54 du 16.02.2023)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)