
A teneur de l’art. 6 al. 1 de l’Ordonnance du 16 mars 2023 sur les prêts d’aide supplémentaires sous forme de liquidités et l’octroi par la Confédération de garanties du risque de défaillance pour les prêts d’aide sous forme de liquidités de la Banque nationale suisse à des banques d’importance systémique (Échange d’informations et traitement des données), le DFF, la FINMA et la Banque nationale échangent les informations non rendues publiques qui sont nécessaires notamment à l’octroi, à l’administration, à la surveillance et au traitement des prêts d’aide sous forme de liquidités et des garanties du risque de défaillance.[i] Les autorités visées à l’al. 1 ainsi que le Contrôle fédéral des finances et les tiers chargés de l’exécution de la présente ordonnance peuvent traiter, apparier et se communiquer mutuellement des données personnelles et autres informations, dans la mesure où cela est nécessaire l’exécution de la présente ordonnance, c’est-à-dire à l’octroi, à l’administration, à la surveillance et au traitement des prêts d’aide sous forme de liquidités et des sûretés, ou encore à la surveillance des marchés. L’al. 3 ajoute que « L’accès à ces informations et à ces données en vertu de la loi du 17 décembre 2004 sur la transparence est exclu. »
Selon le commentaire de l’ordonnance (p.12)[ii], « Il est impératif de garantir une transparence aussi élevée que possible à propos de la mise à disposition de prêts d’aide sous forme de liquidités assortis d’une garantie du risque de défaillance de la Confédération. En même temps, les informations et données des SIB [i.e. systemically important banks en bon Français fédéral…] concernées sont sans aucun doute très sensibles. Elles contiennent des secrets d’affaires ou de fabrication au sens de la loi du 17 décembre 2004 sur la transparence (LTrans). Compte tenu de la sensibilité avérée de ces données et informations et à des fins de clarté juridique, l’ordonnance limite le champ d’application matériel de la LTrans. L’al. 3 constitue donc une disposition spéciale au sens de l’art. 4, let. a, LTrans [on rappellera que l’art. 4 let. a LTrans réserve les dispositions spéciales d’autres lois fédérales].En revanche, il ne limite en rien l’échange d’informations et de données entre les autorités compétentes visées à l’art. 1. »
L’art. 6 al. 3, toujours selon le Conseil fédéral, « (…) vise à garantir que les unités administratives chargées de l’exécution de l’ordonnance reçoivent rapidement toutes les informations pertinentes de la part de la SIB concernée. Si cette dernière [i.e. la SIB en cause] doit craindre en permanence que les unités administratives doivent autoriser l’accès aux informations et documents mis à disposition, il peut arriver que les informations requises ne soient pas fournies ou ne soient fournies qu’en partie ou avec beaucoup de retard. Une réglementation au contenu sensiblement similaire figure à l’art. 14 de la loi fédérale du 20 décembre 1957 sur les chemins de fer et à l’art. 20 de la loi fédérale du 30 septembre 2022 sur des aides financières subsidiaires destinées au sauvetage des entreprises du secteur de l’électricité d’importance systémique [donc, encore une fois, deux lois fédérales….] Il est toutefois indéniable que la transparence concernant l’action de l’État est importante et nécessaire. Le présent article n’empêche pas cette transparence, qui est assurée d’une autre manière, par la publication appropriée des principaux résultats, indicateurs et conditions cadres. Le public disposera ainsi des informations pertinentes au moyen desquelles il pourra évaluer les aides financières et qu’il pourra consulter dans le respect des règles de confidentialité correspondantes, sans qu’il soit possible de tirer des conclusions sur les affaires internes de la SIB concernée. »
Sans doute faut-il notamment entendre par « publication appropriée » l’ « analyse approfondie » demandée par le Conseil fédéral le 29 mars 2023 et qui se penchera sur les évènements tout en procédant à « (…) une évaluation complète de la réglementation too big to fail. Par conséquent, le Département fédéral des finances procédera à l’examen détaillé des circonstances qui ont conduit à l’adoption d’un train de mesures spécial et évaluera la réglementation en question avec l’aide de spécialistes externes. Les conclusions de ces analyses seront présentées au Parlement dans un délai d’un an dans le prochain rapport du Conseil fédéral sur les banques d’importance systémique visé à l’art. 52 de la loi sur les banques. Ce rapport tiendra également lieu de réponse aux postulats des parlementaires. Si le Parlement demande lui aussi des analyses, le Conseil fédéral en tiendra compte[iii]. » La décision concernant le contenu et l’étendue des informations à communiquer seront donc largement – si ce n’est exclusivement – laissé à la seule appréciation du Conseil fédéral et de son administration. [Qui est le numéro 2 ? Vous le saurez en temps utile…. Une pensée pour Patrick McGoohan]
Comme l’explique le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) dans un communiqué du 6 avril 2023[iv], cette manière de procéder soulève des questions juridiques importantes (et suscite un certain malaise chez le lecteur moyen…). Le PFPDT souligne d’abord que le CF estime que l’art. 6 al. 3 de l’Ordonnance vise à garantir que les unités administratives chargées de son exécution reçoivent rapidement toutes les informations pertinentes de la part des institutions financières concernées, alors que cela « devrait aller de soi dans un État de droit ».
Le PFPDT ajoute qu’ « Après la phase de la pandémie marquée par des décisions relevant du droit de nécessité et après la mise en place du mécanisme de sauvetage des entreprises du secteur de l’électricité, le Conseil fédéral, en édictant l’ordonnance du 16 mars 2023 mentionnée plus haut, recourt une nouvelle fois en peu de temps au droit de nécessité pour soustraire à la loi sur la transparence des activités qu’il avait confiées à son administration au moyen du même droit de nécessité. Dans ces deux cas, les activités de l’administration soustraites à la loi sur la transparence peuvent entraîner la mobilisation de recettes fiscales qui se chiffrent en milliards de francs. La démarche du Conseil fédéral soulève des questions juridiques de fond. Selon les informations actuellement à disposition du PFPDT, le fait que le recours au droit de nécessité constitutionnel soit nécessaire pour soutenir le secteur de l’électricité ou le secteur financier ne permet pas de justifier, dans aucun des cas mentionnés, la nécessité d’exclure également, par la voie du droit de nécessité, le droit des citoyens de pouvoir comprendre l’action de l’administration se fondant sur le droit de nécessité. »
Et encore : « S’il n’est pas indispensable de limiter, au moyen du droit de nécessité, les droits dont disposent les citoyens en vertu de la loi sur la transparence, on peut se demander d’où le Conseil fédéral tire le droit d’exclure l’application de cette loi fédérale par voie d’ordonnance. Étant donné que la validité du droit de nécessité est limitée à six mois, l’administration fédérale aurait eu la possibilité, dans les deux cas, si la loi sur la transparence était restée applicable, de limiter l’accès aux documents officiels en vertu de ladite loi en invoquant la protection d’intérêts publics et privés, ou du moins de le différer jusqu’à ce que l’Assemblée fédérale puisse, dans le cadre de la procédure législative ordinaire, se prononcer sur l’exclusion du principe de la transparence de l’administration pour, au besoin, l’inscrire dans la loi formelle. »
On ne saurait mieux dire.
J’avais écrit, il y a quelques jours, un conte de Pâques sur les habits neufs de l’Etat de droit en me basant sur l’art. 28e al. 1bis O-Ukraine.[v] En voilà un autre exemple, où l’ordonnance corrige le droit, et où le droit de nécessité masque la nécessité elle-même.
[i] L’ordonnance n’étant apparemment pas encore publiée au RO, le texte consulté l’a été ici : https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/76277.pdf
[ii] https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/76272.pdf
[iii] https://www.efd.admin.ch/efd/fr/home/le-dff/nsb-news_list.msg-id-94030.html
[iv] PFPDT, Nombre croissant d’exceptions à la LTrans prévues par des lois spéciales et droit de nécessité, 6 avtil 2023 ; https://www.edoeb.admin.ch/edoeb/fr/home/actualites/aktuell_news.html#583953756
[v] https://droitdutravailensuisse.com/2023/04/07/les-habits-neufs-de-letat-de-droit/
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)