Le harceleur et le recours

 

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S.________ est employée de l’État de Vaud et a travaillé comme enseignante dans l’établissement X.________ à V.________. H.________ en était le directeur.

Le 6 février 2007, S.________ a porté plainte pour harcèlement contre H.________ auprès du groupe d’intervention instauré par le règlement du Conseil d’État du canton de Vaud du 9 décembre 2002 relatif à la gestion des conflits au travail et à la lutte contre le harcèlement [RCTH; RS/VD 172.31.7]. Au terme de l’investigation qu’il a menée, le groupe d’intervention est arrivé à la conclusion que les allégations de harcèlement sexuel de la plaignante étaient fondées.

Par décision du 5 septembre suivant, la Cheffe du Département cantonal vaudois de la formation, de la jeunesse et de la culture a toutefois informé S.________ qu’elle émettait de fortes réserves quant à la manière dont l’enquête avait été conduite, et qu’elle ne transmettrait donc pas le rapport au Conseil d’État pour décider d’éventuelles mesures en application de la loi cantonale sur le personnel de l’État de Vaud [LPers/VD; RS/VD 172.31]. Cette décision pouvait être contestée par une action au Tribunal de Prud’hommes de l’Administration cantonale vaudoise (ci-après: Tribunal de Prud’hommes) dans les 60 jours.

Le 2 novembre 2007, S.________ a donc ouvert action devant le Tribunal de Prud’hommes en concluant à ce que l’État de Vaud soit condamné à lui verser une indemnité de 29’020 fr. avec intérêts, pour harcèlement. L’État de Vaud a demandé à appeler en cause H.________ afin que le jugement à venir lui soit opposable. Celui-ci a conclu à l’admission de l’appel en cause et formé, subsidiairement, une requête d’intervention dans la procédure. La participation du directeur à celle-ci a été admise au terme de plusieurs procédures de recours jusqu’au Tribunal fédéral.

Le Tribunal de Prud’hommes a statué le 31 mai 2012. Il a partiellement admis la demande de S.________ en ce sens qu’il a constaté qu’elle a été victime de harcèlement sexuel dont l’auteur est H.________; il a rejeté toutes autres ou plus amples conclusions. Par jugement du 19 septembre 2012, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours formé par H.________ contre le jugement du Tribunal de Prud’hommes.

H.________ interjette un recours en matière de droit public et un recours constitutionnel subsidiaire.

Aux termes de l’art. 89 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let a), est particulièrement atteint par la décision attaquée (let. b) et a un intérêt digne de protection à l’annulation ou à la modification de celle-ci (let. c).

L’intérêt digne de protection consiste dans l’utilité pratique que l’admission du recours apporterait à son auteur, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait. Un intérêt seulement indirect à son annulation ou à sa modification n’est pas suffisant. Quant à la qualité pour former un recours constitutionnel subsidiaire, elle est également soumise à la condition qu’il existe un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée (art. 115 let. b LTF).

Dans les deux cas (recours en matière de droit public et recours constitutionnel subsidiaire), le moment déterminant du point de vue de la recevabilité est celui où le Tribunal de céans rend son jugement. Pour déterminer si, au moment où il se prononce, les conditions de recevabilité sont réunies, le Tribunal fédéral peut ainsi prendre en compte des faits postérieurs à l’arrêt attaqué; il s’agit d’exceptions à l’interdiction des faits nouveaux prévue à l’art. 99 al. 1 LTF.

La question est donc de savoir si H._____ peut prétendre avoir un intérêt à recourir contre une décision qui constate certes que harcèlement il y eut mais qui ne prononce aucune sanction eu égard à l’extrême bénignité du cas.

Pour le Tribunal fédéral, le recourant n’encourt pas de sanction de la part de l’employeur public auquel il est subordonné. Celui-ci agirait de manière contraire aux règles de la bonne foi s’il venait ultérieurement à revenir sur cette prise de position. Dans ces conditions, on ne voit pas qu’il faille reconnaître au recourant un intérêt digne de protection à la constatation du caractère infondé des accusations de harcèlement à son encontre. Le simple fait que le Tribunal des Prud’hommes a retenu que S.________ a été victime d’un harcèlement sexuel dont il est l’auteur ne saurait être assimilé à une sanction disciplinaire dans ses conséquences.

D’autre part, comme le Tribunal de Prud’hommes a rejeté la conclusion de S.________ tendant au versement d’un indemnité pour tort moral (art. 5 al. 3 LEg) – point qui n’est pas remis en cause par l’arrêt entrepris -, le recourant n’est donc pas exposé non plus à une action récursoire de l’État de Vaud.

Pour ces raisons, le recourant ne peut se prévaloir d’un intérêt au sens des art. 89 al. 1 ou 115 let. b LTF. Aussi bien son recours en matière de droit public que son recours constitutionnel subsidiaire doivent par conséquent être déclarés irrecevables.

(Tiré de l’ATF 8C_981/2012)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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