La modification rétrospective du salaire sur le plan fiscal

IMG_3755La Chambre administrative traite, sur le plan fiscal, de la modification rétrospective du salaire d’un cadre dirigeant pour des raisons « économiques » :

L’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus, prestations et avantages du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques, en espèces ou en nature et quelle qu’en soit l’origine, avant déductions. Sont imposables tous les revenus et autres avantages appréciables en argent provenant d’une activité exercée dans le cadre d’un rapport de travail.

Un revenu n’est imposable que s’il est réalisé. La réalisation du revenu est le fait générateur de son imposition. Un revenu est réalisé lorsqu’une prestation est faite au contribuable ou que celui-ci acquiert une prétention juridique ferme sur laquelle il a effectivement un pouvoir de disposition.

En principe, le moment de l’acquisition du revenu coïncide avec sa réalisation, c’est-à-dire le moment où le contribuable acquiert le droit à une prestation et non celui où il reçoit effectivement la prestation. Il existe des exceptions au principe de réalisation effective, lorsque les revenus sont soumis par la loi à une réalisation comptable ou systématique.

En droit fiscal, l’acquisition d’une créance entraîne la réalisation du revenu, à moins que l’exécution par le débiteur soit incertaine. S’agissant de l’incertitude de l’exécution d’une créance, la jurisprudence a posé des critères restrictifs : il faut que le débiteur apparaisse comme définitivement insolvable pour que la créance ne soit pas imposable (ATA/677/2009 du 22 décembre 2009 consid. 6 ; ATA/440/2005 du 21 juin 2005 consid. 7c).

L’insolvabilité est une notion de droit fédéral. Le débiteur est insolvable lorsqu’il ne dispose pas de moyens liquides suffisants pour acquitter ses dettes exigibles, qu’il ne peut plus exécuter ses obligations financières parce qu’il manque de liquidités et ne peut pas en acquérir à court terme. L’insolvabilité ne se confond toutefois pas avec des difficultés de trésorerie ou un manque passager de moyens financiers. Il faut que les possibilités d’appel à des ressources suffisantes soient vaines ou épuisées. L’insolvabilité ne doit pas être passagère, mais doit être durable, exister de manière indubitable et s’être étendue sur certaines périodes sans possibilité de redressement de la situation financière ni d’amortissement régulier des dettes. Il y aura insolvabilité notamment en cas de faillite, concordat ou saisie infructueuse.

La délivrance d’un acte de défaut de biens définitif constitue à cet égard un indice clair. Si l’existence d’un tel acte est propre à faire naître une présomption de fait, celle-ci peut toutefois être renversée par des preuves contraires.

En vertu des principes de l’étanchéité des exercices et de la périodicité de l’impôt, chaque exercice est considéré comme un tout autonome sans que le résultat d’un exercice puisse avoir une influence sur les suivants, et le contribuable ne saurait choisir au cours de quelle année fiscale il fait valoir les déductions autorisées. Les déductions doivent être demandées dans la déclaration d’impôts de l’année au cours de laquelle les faits justifiant l’octroi des déductions se sont produits.

La modification rétroactive des comptes d’exercices déjà clos est contraire aux principes régissant l’établissement des bilans. Du point de vue fiscal, il est contraire au principe de l’étanchéité des exercices. La modification des comptes ne peut pas intervenir lorsque son but est purement fiscal, à savoir la réalisation d’une économie d’impôts.

En l’espèce, le recourant était lié par un contrat de travail à la société B______ SA selon lequel il réalisait un salaire brut de CHF 275’324.-. En vertu de l’attestation de B______ SA du 17 juillet 2009, le salaire précité n’avait pas été perçu pour la période fiscale 2008.

En date du 30 octobre 2013, la société B______ M SA et M. A______ ont signé un avenant au contrat de travail de ce dernier selon lequel dès le 1er janvier 2008, les parties avaient réduit rétroactivement le salaire du recourant à concurrence de CHF 84’000.- brut par an. Il était stipulé que ce dernier avait renoncé à la différence entre son salaire précédemment convenu et celui négocié, soit à un montant de CHF 191’324.-. Cet avenant était assorti d’une clause, selon laquelle si B______ SA venait à percevoir un montant minimal de CHF 10’000’000.- dans le cadre du recouvrement de la créance envers E______, elle s’engageait à verser au recourant le montant auquel il avait renoncé.

Toutefois, les données de taxation pour l’année fiscale 2008 sont figées au 31 décembre 2008. Une modification rétroactive, intervenue en octobre 2013, des comptes de l’exercice 2008 clos le 31 décembre 2008 de la société B______ SA serait contraire aux principes régissant l’établissement des bilans et de l’étanchéité des exercices.

En outre, le 31 décembre 2008, le recourant détenait une créance ferme de salaire d’un montant de CHF 275’324.- à l’encontre de son employeur, la société B______ SA. Ce fait a été confirmé par son certificat de salaire du 11 avril 2009 et par l’attestation du 17 juillet 2009 établie par l’employeur. Par ailleurs, avec la signature de l’avenant du 30 octobre 2013, le recourant ne conteste pas non plus détenir la créance précitée, qui serait réactivée de fait si son employeur venait à percevoir un montant minimal de CHF 10’000’000.- dans le cadre du recouvrement de la créance envers E______. Ainsi, l’avenant du 30 octobre 2013 ne visait pas la suppression du droit au versement du salaire d’un montant CHF 275’324.- et n’avait pas pour objectif de modifier sensiblement la situation du recourant par rapport à son employeur, dont il est du reste administrateur. Dans ces circonstances, on ne voit pas quel autre but que la réalisation d’une économie d’impôt le recourant aurait poursuivi.

Partant, le recourant a acquis, en 2008, un droit ferme au versement de son salaire d’un montant de CHF 275’324.- et la modification du salaire de l’année 2008 de manière rétroactive par un avenant au contrat de travail datant du 30 octobre 2013 ne peut pas être prise en compte au plan fiscal.

Malgré les difficultés financières de la société B______ SA, le recourant n’a pas démontré que le degré de probabilité du recouvrement de sa créance de salaire pour 2008 était nul, dans la mesure où la société est toujours active et réalise des bénéfices, quelle que soit leur importance.

Dès lors, que les possibilités d’appel à des ressources suffisantes ne sont ni vaines ni épuisées et le débiteur ne présente pas un état d’insolvabilité durable et indubitable au sens de la jurisprudence.

L’autorité inférieure a donc à juste titre considéré que la prétention ferme en salaire d’un montant de CHF 275’324.- représentait un revenu imposable pour la taxation 2008 de M. A______.

(ATA/14/2015)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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