L’appelante (l’employeur) reproche au Tribunal d’avoir admis la prétention de l’intimée (l’employée) en versement d’un bonus pour l’année financière 2012/2013.
Le droit suisse ne contient aucune définition du bonus. Il faut déterminer au cas par cas s’il s’agit d’une gratification au sens de l’art. 322d CO ou d’un élément du salaire (art. 322 CO). La gratification est une rétribution spéciale que l’employeur verse en sus du salaire, par exemple une fois par année. Elle se distingue du salaire, et en particulier d’un éventuel treizième mois de salaire, en ceci qu’elle dépend au moins partiellement du bon vouloir de l’employeur. Elle se distingue en outre par son caractère accessoire, secondaire vis-à-vis du salaire. Le salaire étant un élément essentiel du contrat de travail, il est contraire à l’esprit de la loi que la gratification, comme rétribution spéciale dépendant du bon vouloir et du pouvoir d’appréciation de l’employeur, représente la contrepartie exclusive ou principale du travail fourni par le travailleur. Celle-ci doit donc rester un élément accessoire.
Selon la jurisprudence, la nécessité du caractère accessoire de la gratification constitue une restriction à l’autonomie privée des parties en vue de protéger le travailleur, laquelle ne se justifie pas lorsque le salaire du travailleur est très élevé. Ainsi, lorsque la rémunération totale de l’employé (salaire de base et bonus) équivaut ou dépasse cinq fois le salaire médian suisse dans le secteur privé (soit 367’080 fr. pour l’année 2012), son salaire doit être qualifié de très haut, de sorte que son bonus est une gratification, laquelle demeure au bon vouloir de l’employeur. En revanche, si la rémunération totale est inférieure au seuil précité, le critère de l’accessoriété s’applique.
Une obligation de l’employeur de verser une gratification peut avoir été convenue expressément dans un contrat écrit ou oral. Mais elle peut également résulter, pendant la durée du contrat de travail, d’actes concluants, par exemple si un certain montant a été versé de manière régulière et sans réserve. Ce n’est pas le paiement régulier comme tel qui est déterminant pour savoir si le travailleur peut exiger une gratification future, mais l’ensemble des circonstances qui entourent le versement.
La réserve du caractère facultatif de la gratification, formulée par l’employeur, n’a aucune portée si elle n’est qu’une formule vide et si l’employeur montre, par son comportement, qu’il se sent tenu de verser une gratification, par exemple s’il l’a versée pendant au moins dix ans sans interruption. Une obligation de verser la gratification dans un tel cas ne se justifie cependant que si l’employeur aurait eu une raison, durant cette période, de ne pas verser la gratification, par exemple en cas de mauvaise marche des affaires ou d’un faible rendement de l’employé. Lorsque la gratification est privée de son caractère facultatif, la liberté de l’employeur ne subsiste plus qu’en ce qui concerne son montant.
En l’occurrence, il y lieu de relever à titre préalable que contrairement à ce qu’a retenu le Tribunal, l’art. 8 du contrat de travail prévoyant qu’aucun bonus n’était dû en cas de résiliation des rapports de travail durant l’année fiscale en cours n’était pas applicable au cas d’espèce, puisque l’intimée a réclamé le versement d’un bonus pour l’année financière 2012/2013 ayant pris fin au 31 mars 2013 et qu’elle a été licenciée au mois de mai 2013. Par ailleurs, c’est également à tort que le Tribunal a considéré qu’un bonus était dû à l’intimée par égalité de traitement avec les gestionnaires responsables des transferts frauduleux, puisque le fait qu’ils aient perçu un bonus pour l’année 2013/2014 malgré les fautes commises n’est pas pertinent pour statuer sur l’éventuel droit au bonus de l’intimée pour l’année fiscale précédente.
Au vu des principes rappelés ci-dessus, le revenu annuel de l’intimée ([salaire d’environ 16’000 fr. x 12] + un bonus annuel variant entre 15’000 fr. et 72’500 fr. = au maximum 264’500 fr.) ne peut être qualifié de très haut revenu. Demeurent ainsi pleinement applicables les règles jurisprudentielles de protection de l’employé concernant la gratification, en particulier les règles relatives à la nécessité du caractère accessoire de la gratification, à la fréquence de son versement et à la réserve de son caractère discrétionnaire.
Au regard de leur montant, les bonus versés à l’intimée n’avaient qu’une importance secondaire par rapport à son salaire annuel, de sorte qu’ils ne peuvent être considérés comme un élément du salaire au sens de l’art. 322 al. 1 CO.
Il ressort du dossier que l’intimée a, à tout le moins, perçu un bonus de son employeur de façon ininterrompue entre 2003 et 2012, l’appelante ayant régulièrement rappelé le caractère discrétionnaire dudit bonus. L’intimée a en outre déclaré avoir reçu un bonus annuel durant toute sa carrière au sein de la banque, à l’exception de l’année 1987, lors du premier krach boursier, cette affirmation n’ayant pas été contestée par l’appelante.
L’appelante a donc versé un bonus à l’intimée pendant 25 ans sans interruption (soit de 1987 à 2012), et ce malgré la crise bancaire et financière de l’année 2008, alors qu’elle aurait notamment pu refuser de la lui verser en raison de cet événement, comme elle l’a fait lors du krach boursier de 1987.
En conséquence, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré que la réserve formulée chaque année par l’appelante avait perdu toute portée, puisque par son comportement, elle a montré qu’elle n’entendait pas supprimer le versement du bonus dans des situations financières difficiles, car elle se sentait tenue d’en verser un à l’intimée. La gratification versée à l’intimée avait donc perdu son caractère facultatif et la liberté de l’appelante était ainsi limitée à la fixation de son montant.
Le bonus de l’intimée a subi une réduction significative en 2012 (concernant l’année financière 2011/2012), passant à 15’000 fr., soit une réduction de deux tiers par rapport à l’année précédente. Le directeur de la banque a par ailleurs déclaré que les performances de l’intimée avaient été insuffisantes pour l’année 2012/2013. Cela étant, cette déclaration est contredite par le contenu du courrier du 27 août 2012, par lequel la banque a informé l’intimée qu’en signe d’appréciation de ses efforts et de sa performance, elle lui offrait 30 jours de vacances supplémentaires à l’occasion de ses 30 années de service.
Le Tribunal n’a donc pas consacré d’arbitraire en considérant qu’il n’apparaissait pas que l’intimée ait été moins performante durant l’année financière 2012/2013 que durant l’année précédente, de sorte qu’il convenait de lui accorder un bonus du même montant, soit 15’000 fr.
Partant, le jugement sera confirmé sur ce point également.
(CAPH/103/2016 consid. 5)
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève-Yverdon