Dans un arrêt du Tribunal fédéral 4A_195/2010 du 8 juin 2010, l’employeuse s’estimait autorisée, de par la procédure cantonale, à refuser la production de sa comptabilité et de décomptes relatifs à la rémunération d’autres employés; elle invoquait son droit au secret d’affaires et la protection de la sphère privée de ses employés.
Le Tribunal fédéral avait retenu que l’art. 322a al. 2 CO oblige l’employeur à laisser le travailleur consulter ses livres de comptabilité dans la mesure nécessaire. L’employeur doit certes protéger et respecter la personnalité des travailleurs (art. 328 CO), mais cette obligation ne fait pas obstacle à la divulgation des revenus de ces derniers; l’employeur ne peut pas refuser de fournir ces données dans le cadre d’une procédure judiciaire entre employeur et travailleur, dans la mesure où le revenu des autres travailleurs au service de l’employeur est pertinent pour le jugement à rendre. La consultation de la comptabilité, garantie par l’art. 322a CO au travailleur partie à la procédure, implique d’ailleurs la divulgation de ces informations. En l’occurrence, les documents requis étaient nécessaires pour fixer le montant dû à l’employée à titre de participation aux bénéfices. Le débauchage de collaborateurs que pourrait prétendument entraîner la divulgation de leurs rémunérations est assez théorique, et d’une incidence limitée sur la marche des affaires; il ne saurait contrebalancer l’intérêt de l’employée à obtenir la rémunération convenue.
Dans un autre arrêt 4A_63/2016 du 10 octobre 2016, le Tribunal fédéral a appliqué ce raisonnement dans une affaire où la question des bonus touchés par d’autres collaborateurs importait pour l’issue du litige. Il a relevé qu’il n’était pas important de déterminer si les documents litigieux étaient « protégés par la loi » au sens de l’art. 163 al. 2 CPC, ce qui aurait permis à l’employeur de ne pas les produire en justice. En effet, si tel devait être le cas, il faudrait de toute façon admettre un intérêt prépondérant de l’employé à la manifestation de la vérité.
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève – Yverdon