Dans l’ATA 308/2017, la Chambre administrative de la Cour de Justice du canton de Genève applique l’art. 337 CO à titre de droit public supplétif au licenciement d’un employé d’une fondation communale :
A teneur de l’art. 337 CO, l’employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs ; la partie qui résilie immédiatement le contrat doit motiver sa décision par écrit si l’autre partie le demande (al. 1) ; sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2) ; le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs, mais en aucun cas il ne peut considérer comme tel le fait que le travailleur a été sans sa faute empêché de travailler (al. 3).
Selon la jurisprudence du Tribunal rendue en matière de contrat de travail de droit privé, mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs de l’art. 337 CO doit être admise de manière restrictive. Les faits invoqués à l’appui d’un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat ; si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement. Par manquement du travailleur, on entend en règle générale la violation d’une obligation découlant du contrat de travail, mais d’autres incidents peuvent aussi justifier une résiliation immédiate. Une infraction pénale commise au détriment de l’employeur constitue, en principe, un motif justifiant le licenciement immédiat du travailleur.
Ainsi, alors même que ce comportement n’était qu’une contravention au regard de la loi pénale, le fait qu’une employée ait corporellement agressé l’une de ses collègues, sans aucune justification, peut entraîner, au regard de l’art. 337 CO, le licenciement immédiat de l’intéressée. En effet, une infraction commise dans l’entreprise, contre l’employeur ou d’autres travailleurs, constitue un motif classique de licenciement immédiat (arrêt du Tribunal fédéral 4A_107/2009 du 5 mai 2009 consid. 3).
Le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 in initio CO) et il applique les règles du droit et de l’équité (art. 4 du Code civil du 10 décembre 1907 – CC – RS 210) ; à cet effet, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l’importance des incidents invoqués.
Le Tribunal fédéral n’exclut pas que le soupçon d’infraction grave ou manquement grave puisse justifier un licenciement immédiat, quand bien même l’accusation portée contre l’employé se révèle ensuite infondée ou ne peut pas être prouvée ; en effet, selon les circonstances, de tels soupçons peuvent rendre impossible la continuation des rapports de travail. Toutefois, d’autres éléments excluent généralement le bien-fondé d’un congé-soupçon, soit parce que le manquement reproché, même s’il était avéré, ne serait pas suffisamment important pour justifier un congé immédiat sans avertissement, soit parce que l’employeur n’a pas fait tout ce qu’on pouvait attendre de lui pour vérifier les soupçons (arrêt du Tribunal fédéral 4A_419/2015 du 19 février 2016 consid. 2.1.2 et les arrêts cités).
Selon la jurisprudence, sous certaines conditions restrictives, l’employeur peut, pour justifier un licenciement immédiat, se prévaloir d’une circonstance qui existait au moment de la déclaration de licenciement, mais qu’il ne connaissait pas et ne pouvait pas connaître. Il faut se demander, dans un tel cas, si les circonstances antérieures, non invoquées au moment du licenciement immédiat, auraient pu conduire l’employeur, s’il les avait connues, à admettre que le rapport de confiance était rompu et à résilier le contrat de travail avec effet immédiat. Cependant, des faits postérieurs au licenciement immédiat ne sauraient être pris en considération (ATF 127 III 310 consid. 4a ; 124 III 25 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 4C.109/2004 du 29 juin 2004 consid. 4.1).
L’État et les communes sont tenus, d’une part, d’agir dans l’intérêt public et, d’autre part, de prendre en considération les intérêts privés de leurs fonctionnaires. Ils doivent, dans leur politique du personnel, comparer les deux intérêts en cause. Ainsi, lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a de justes motifs de licenciement, il convient de comparer l’intérêt public à se séparer d’un collaborateur avec l’intérêt de ce dernier à conserver son emploi. Il faut en outre tenir compte de la nécessité de l’existence d’un rapport de confiance entre l’autorité et ses collaborateurs. Tenus, vis-à-vis de l’ensemble de la population, d’assurer le respect du droit, l’État et les communes doivent pouvoir s’en remettre sans hésiter aux fonctionnaires qu’ils chargent d’assumer leurs tâches.
Dans le cas présent, les enquêtes ont confirmé les reproches contenus dans la décision querellée selon lesquels l’intéressé a déclenché le dispositif d’un shocker (sorte de taser) en le pointant en direction de M. D______, mais non ceux d’après lesquels ce n’était pas la première fois que l’intéressé utilisait un tel dispositif à l’encontre de ses collègues, contre leur gré, et en suscitant une certaine crainte à son égard.
Le recourant a amené, pendant plus de deux semaines, son shocker acquis en Thaïlande. Pendant son activité professionnelle, il le rangeait dans son casier et le reprenait lorsqu’il quittait le B______, à tout le moins lorsque c’était tard le soir.
Il lui est arrivé d’enclencher de temps en temps son shocker en direction de collègues machinistes, qui ne s’en sont pas plaints auprès de la hiérarchie. Une partie d’entre eux lui ont demandé de ne plus le refaire contre eux, pour certains car cela leur faisait peur, d’autres ont ri et/ou ne lui avaient pas demandé d’arrêter. Le recourant leur a toujours dit que le shocker servait à se défendre après le travail en faisant peur à l’éventuel agresseur avec le bruit, en aucun cas à les agresser.
L’intéressé a admis avoir entendu une ou deux fois, avant le ______ 2015, « fais attention car ce serait considéré maintenant comme une arme » ; il ne pouvait donc pas se croire autorisé, sans vérification de conformité avec les textes légaux, de détenir et prendre avec lui, encore moins d’utiliser le shocker pour jouer avec des tiers, ce d’autant moins qu’il est notoire que les shockers ne sont pas en vente libre en Suisse et que leurs effets ne sont pas sans risques sur les personnes touchées. À cet égard, comme il l’a déclaré lors de son audition du 28 octobre 2015, l’intéressé a testé le shocker en cause sur lui-même, recevant une décharge violente qui l’avait totalement tétanisé et rendu incapable de marcher pendant un certain temps.
Or, à teneur de l’art. 4 al. 1 let. e LArm, par armes, on entend les appareils produisant des électrochocs susceptibles d’inhiber la force de résistance de l’être humain ou de porter durablement atteinte à sa santé. L’art. 2 de l’ordonnance sur les armes, les accessoires d’armes et les munitions du 2 juillet 2008 (OArm – RS 514.541) précise que les appareils produisant des électrochocs sont considérés comme des armes s’ils ne sont pas soumis aux dispositions de l’ordonnance du 9 avril 1997 sur les matériels électriques à basse tension ; en cas de doute, l’office central des armes prend la décision.
Il est en l’occurrence incontesté que le shocker de l’intéressé était une arme interdite en Suisse, raison pour laquelle il a du reste été condamné par ordonnance pénale du Ministère public à soixante jours-amende avec sursis ainsi qu’à une amende de CHF 1’000.-.
Le soir du 24 octobre 2015 après la représentation, dans le vestiaire, alors que M. D______ était en train de se changer devant son casier, le recourant a enclenché son shocker en direction du dos de celui-ci, à environ 2 m de distance, sans causer de charge électrique sur ce dernier, mais occasionnant un bruit fort, qui a fait sursauter M. D______ et lui a fait peur.
Ces comportements, punissables selon la loi, étaient de ce simple fait contraires aux devoirs des membres du personnel, l’interdiction de violer des règles de droit afférentes à la sécurité d’autrui à l’intérieur même du lieu de travail devant en tout état de cause être considérée comme relevant des directives essentielles – mêmes implicites – de l’employeur.
La possession d’une arme et des jeux avec celle-ci à l’égard de collègue sur le lieu de travail ne pouvaient qu’être considérés comme des faits particulièrement graves par l’intimée, entraînant la rupture irrémédiable du rapport de confiance nécessaire à la continuation des rapports de service.
L’aveuglement avec lequel le recourant a agi, en ne réalisant pas que ses actes étaient contraires au droit et au statut, ne saurait lui être d’une aide quelconque. Au demeurant, l’existence d’une faute n’étant pas une condition pour une résiliation au sens des art. 30 du statut et 337 CO, même l’hypothèse selon laquelle l’intéressé aurait cru agir de manière licite ne lui serait d’aucun secours.
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève et Yverdon