On a déjà parlé ici du « droit à la déconnexion » dans une note datée du 3 janvier 2017.
Le débat continue.
Le 16 mars 2017, Madame Lisa Mazzone, députée, déposait en effet au Conseil national une motion no 17.3201 intitulée « Déconnexion en dehors des heures de travail. Préciser le cadre légal pour accompagner l’évolution technologique du travail » ; le texte prévoyait que le «Conseil fédéral est chargé d’introduire un droit explicite à la déconnexion pour les employé-e-s en Suisse, en-dehors des heures de travail prévues dans le contrat de travail. »
Dans la partie « Développement », Madame la députée écrivait, dans l’éléphantesque style épicène que l’on adopte dans ces milieux, qu’
« Avec l’avènement des TIC, le travail peut être réalisé à distance et la frontière entre sphère professionnelle et privée s’estompe. Selon certaines études, plus de 80 pour cent des employé-e-s en Suisse sont atteignables par l’employeur-euse en-dehors des heures de travail et durant le week-end et 70 pour cent le sont pendant les vacances. Cette flexibilité comporte des avantages dans l’organisation du travail, mais également des effets pervers qu’il s’agit de prévenir.
Dans les faits, lorsqu’il y a hyperconnectivité, la productivité diminue. En empêchant l’employé-e de marquer une distance avec le monde professionnel, elle affaiblit sa capacité de récupération et peut provoquer à terme un syndrome d’épuisement professionnel ou « burnout ». Les conséquences peuvent être lourdes sur le plan personnel et les coûts importants pour l’entreprise et le système de santé. En Suisse, selon un sondage récent, un tiers de travailleurs-euses en Suisse alémanique se sent souvent épuisé émotionnellement, une proportion qui grimpe à un travailleur sur deux à Genève et au Tessin.
Des mesures sont prises dans les pays qui nous entourent. La France s’est dotée d’un droit à la déconnexion dans la « loi Travail », en vigueur depuis le 1er janvier dernier. Plusieurs entreprises (Volkswagen, Daimler, BMW, Orange, Michelin, Intel, Henkel, Areva, etc.) se sont adaptées à cette nouvelle donne en prenant des mesures ciblées.
La Suisse doit elle aussi accompagner ces progrès technologiques. Dans des rapports récents (sur les principales conditions-cadre pour l’économie numérique et les conséquences juridiques du télétravail), le Conseil fédéral effleure la question. L’obligation d’assistance de l’employeur envers l’employé implique certes l’octroi d’un temps de récupération suffisant, mais cette obligation peut être aisément contournée (travail fondé sur la confiance, pression des pairs, etc.). Il convient dès lors d’introduire un droit explicite à la déconnexion en-dehors des heures de présence convenues dans le contrat de travail. Cela permettra aux travailleuses et travailleurs d’utiliser ce droit en cas de sursollicitation et, partant, de rétablir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. »
Le Conseil fédéral n’a pas eu l’air très convaincu, soulignant dans sa réponse du 17 mai 2017 que le droit actuel suffisait amplement, et que cette problématique devait être réglée par les partenaires sociaux et les parties au contrat de travail. Le Conseil fédéral aurait d’ailleurs pu évoquer l’art. 328 CO en sus des normes qu’il invoque sur le temps de travail, mais il remarque très judicieusement que
« Ce qui est déterminant dans la pratique, c’est la façon dont est réglementée concrètement la joignabilité (sic !) dans l’entreprise. Cela peut se faire par des directives internes, par des clauses dans le contrat de travail, ou encore par des accords passés avec la représentation des travailleurs dans l’entreprise ou par des accords collectifs conclus entre les associations de travailleurs et les associations d’employeurs. Ce dernier type d’accord peut être en lien avec la renonciation à l’enregistrement de la durée du travail ou avec l’enregistrement simplifié de la durée du travail. (…) Le Conseil fédéral ne juge par conséquent pas judicieux d’intervenir sur cette question par voie législative. »
Dont acte.
On s’étonnera quand même de voir le Parlement se pencher sur l’établissement d’une protection… qui découle déjà du droit suisse existant ! L’auteur de la motion aurait pu y penser avant de déposer son texte.
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève et Yverdon