Contrat de travail ou contrat de mandat ?

IMG_6349La qualification juridique d’un contrat est une question de droit. Le juge détermine librement la nature de la convention d’après l’aménagement objectif de la relation contractuelle (objektive Vertragsgestaltung), sans être lié par la qualification même concordante donnée par les parties. La dénomination d’un contrat n’est pas déterminante pour évaluer sa nature juridique (art. 18 al. 1 CO).

Par le contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni (art. 319 al. 1 CO). Les éléments caractéristiques de ce contrat sont une prestation de travail, un rapport de subordination, un élément de durée et une rémunération.

Le contrat de travail se distingue avant tout des autres contrats de prestation de services, en particulier du mandat, par l’existence d’un lien de subordination, qui place le travailleur dans la dépendance de l’employeur sous l’angle personnel, organisationnel et temporel, et dans une certaine mesure économique. Le travailleur est assujetti à la surveillance, aux ordres et instructions de l’employeur; il est intégré dans l’organisation de travail d’autrui et y reçoit une place déterminée. Pour sa part, le mandataire doit certes suivre les instructions du mandant, mais il agit indépendamment et sous sa seule responsabilité, tandis que le travailleur se trouve au service de l’employeur. D’autres indices peuvent également aider à la distinction, tels l’élément de durée propre au contrat de travail, alors que le mandat peut n’être qu’occasionnel, le fait que les conditions de temps et de lieu dans lesquelles le travail doit être exécuté soient fixées dans le contrat, la mise à disposition des instruments de travail et le remboursement des frais ainsi que l’indépendance économique; ce dernier critère doit toutefois être relativisé, dès lors qu’une dépendance économique peut exister dans d’autres types de contrats que le contrat de travail, d’une part, et qu’elle n’existe pas nécessairement dans tous les contrats de travail, d’autre part.

Les critères formels, tels l’intitulé du contrat, les déclarations des parties ou les déductions aux assurances sociales, ne sont pas déterminants. Il faut bien plutôt tenir compte de critères matériels relatifs à la manière dont la prestation de travail est effectivement exécutée, tels le degré de liberté dans l’organisation du travail et du temps, l’existence ou non d’une obligation de rendre compte de l’activité et/ou de suivre les instructions, ou encore l’identification de la partie qui supporte le risque économique. En principe, des instructions qui ne se limitent pas à de simples directives générales sur la manière d’exécuter la tâche, mais qui influent sur l’objet et l’organisation du travail et instaurent un droit de contrôle de l’ayant droit, révèlent l’existence d’un contrat de travail plutôt que d’un mandat.

Le critère de la subordination doit être relativisé en ce qui concerne les personnes exerçant des professions typiquement libérales ou ayant des fonctions dirigeantes. Comme l’indépendance de l’employé est beaucoup plus grande, la subordination est alors essentiellement organisationnelle. Dans un tel cas, plaident notamment en faveur du contrat de travail la rémunération fixe ou périodique, la mise à disposition d’une place de travail et des outils de travail, ainsi que la prise en charge par l’employeur du risque de l’entreprise; le travailleur renonce à participer au marché comme entrepreneur assumant le risque économique et abandonne à un tiers l’exploitation de sa prestation, en contrepartie d’un revenu assuré.

Seul l’examen de l’ensemble des circonstances du cas concret permet de déterminer si le travail est effectué de manière dépendante ou indépendante.

Dans le cas d’espèce,

selon l’arrêt attaqué, le recourant (= l’employé) exerçait une activité de consultant, qui correspond à celle décrite par le directeur financier de l’époque. D’ après les déclarations de celui-ci, l’intimée (= l’employeur) a eu recours aux services du recourant notamment pour  » analyser les dossiers en vue de rattraper le retard dans la facturation et dans la clôture de dossiers »;  » (au) vu de son expérience en matière de management, (le recourant) établissait des points de situation et proposait des actions correctives »;  » (il) donnait à Z.________ l’ overview de sa mission dans les pays, soit sous forme de rapports écrits, soit lors de séances au niveau de la direction »;  » (la) direction examinait ses propositions et décidait de les suivre ou non, étant précisé qu’il n’y avait pas de processus formalisé à ce sujet ».

Certes, le recourant ne choisissait pas le lieu de ses missions et le contenu de celles-ci faisait l’objet d’instructions données par l’intimée. Cela étant, une fois sur place, le recourant organisait son travail comme il l’entendait.

On ne décèle pas dans les éléments qui précèdent ceux qui dénoteraient l’existence d’un contrat de travail, tels que la surveillance, les ordres et instructions influant sur l’objet et l’organisation du travail et instaurant un droit de contrôle de l’employeur.

Le contrat liant les parties prévoyait un système de rotations, sur la base du principe suivant : quatre semaines de travail suivies de quatre semaines de congés. La cour cantonale a retenu que le recourant établissait lui-même son planning annuel, sur lequel figuraient en alternance ses plages de disponibilité et de repos. Le recourant ne le remet pas en cause. Il est vrai que, dans ce cadre-là, la liberté du consultant était toute relative, puisque sa marge de manoeuvre se limitait à choisir entre des dates situées à quelques jours d’intervalle, l’alternance ayant été définie assez précisément dans le contrat. Il n’en demeure pas moins qu’aucun horaire de travail n’était stipulé, pas plus qu’un nombre d’heures de travail n’était défini, ce qui ne plaide pas en faveur d’un contrat de travail.

Selon le contrat litigieux, la rémunération du recourant était fixée en fonction du nombre de journées passées en mission à l’étranger, et non en fonction des heures ou des jours effectivement travaillés. Le recourant disposait ainsi de son temps à sa guise. Il convient de relever en outre que, selon une constatation de l’arrêt attaqué liant la cour de céans, le contrat en cause n’imposait pas non plus au recourant de fournir ses prestations exclusivement à l’intimée. Ajoutés à l’absence de surveillance et d’instructions relatives à l’organisation du travail, ces éléments corroborent l’existence d’un mandat.

Certes, comme l’autorité précédente l’a relevé, certains éléments plaident en faveur d’une activité dépendante. Ainsi en est-il du remboursement de frais prévu dans le contrat litigieux, incluant les frais d’une assurance tous risques pendant les missions, y compris le rapatriement. Il s’agit là toutefois d’un critère secondaire dont on ne saurait faire grief à la cour cantonale d’avoir mésestimé la portée. La régularité du versement de la rémunération est également un indice d’une activité dépendante. En l’espèce, la rémunération ne se présentait toutefois pas comme un montant fixe, mais elle était fonction du nombre de jours passés en mission à l’étranger ainsi que des frais effectifs du recourant; au surplus, elle n’était pas versée chaque mois, mais à la fin de chaque mission. On ne saurait dès lors tenir cet élément pour déterminant quant à l’existence d’un contrat de travail.

Au surplus, ni le délai de résiliation prévu dans le contrat, ni les dénominations utilisées par les parties pour désigner la rémunération, ni l’exigence d’une lettre pour mettre un terme aux relations contractuelles ou la formulation de celle-ci n’apparaissent comme des éléments décisifs en faveur d’un contrat de travail, parmi toutes les circonstances du cas particulier. Que le recourant ait offert ses services à l’intimée lorsqu’il s’est trouvé désoeuvré pendant des périodes « on » selon son planning, soit la première fois du 28 décembre 2011 au 25 janvier 2012 et la seconde fois après la notification de la résiliation, ne signifie pas non plus qu’il s’agisse d’un contrat de travail.

En résumé, les juges précédents se sont fondés sur l’ensemble des circonstances du cas et ont tenu compte de critères pertinents, de sorte qu’ils n’ont pas enfreint le droit fédéral en retenant l’existence d’un contrat de mandat.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_592/2016 du 16 mars 2017)

Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève et Yverdon

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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