Dans son recours en matière civile, le demandeur (= l’employé) soutient que la cour cantonale a fixé l’indemnité (montant correspondant à trois mois de salaire) au sens de l’art. 337c al. 3 CO en se fondant sur un critère (la situation » économique » de l’employé) étranger à la jurisprudence du Tribunal fédéral et qu’une appréciation correcte des critères déterminants auraient dû la conduire à confirmer le montant retenu par le tribunal de première instance (six mois de salaire
L’art. 337c al. 3 CO prévoit qu’en cas de résiliation immédiate injustifiée, le juge peut allouer au travailleur une indemnité dont il fixera librement le montant, en tenant compte de toutes les circonstances, mais sans dépasser l’équivalent de six mois de salaire.
Cette indemnité, qui s’ajoute aux droits découlant de l’art. 337c al. 1 CO, revêt une double finalité, à la fois réparatrice et punitive, quand bien même elle ne consiste pas en des dommages-intérêts au sens classique, car elle est due même si la victime ne subit ou ne prouve aucun dommage; revêtant un caractère sui generis, elle s’apparente à la peine conventionnelle. Sauf cas exceptionnel, elle doit être versée pour tout licenciement immédiat dénué de justes motifs.
L’indemnité est fixée d’après la gravité de la faute de l’employeur, la mesure de l’atteinte portée aux droits de la personnalité du travailleur et la manière dont la résiliation a été annoncée; d’autres critères tels que la durée des rapports de travail, l’âge du lésé, sa situation sociale, une éventuelle faute concomitante et les effets économiques du licenciement entrent aussi en considération.
En ce qui concerne la faute de l’employeur, il résulte de la casuistique tirée de la jurisprudence en matière de congés de représailles que l’indemnité consécutive à une faute grave se situe le plus souvent entre quatre et six mois de salaire (arrêt 4A_401/2016 du 13 janvier 2017 consid. 6.2.1 et les références citées, publié in SJ 2017 I 297).
Le juge tiendra aussi compte des effets économiques du licenciement, ce qui présuppose de prendre en considération aussi bien la situation économique de l’employeur que celle de l’employé.
En ce qui concerne le comportement des parties (dont le juge tiendra également compte), il s’agira notamment d’observer, s’agissant de l’attitude de l’employeur, si celui-ci a permis à l’employé de s’exprimer sur les motifs ayant conduit au licenciement ou si, ayant connaissance de querelles au sein de l’entreprise, il a pris diverses mesures pour protéger la personnalité de ses employés (4A_401/2016 déjà cité consid. 6.2.1).
Statuant selon les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC), le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Le Tribunal fédéral ne revoit qu’avec réserve la décision d’appréciation prise en dernière instance cantonale. Il n’intervient que lorsque l’autorité précédente s’est écartée sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, lorsqu’elle s’est appuyée sur des faits qui ne devaient jouer aucun rôle ou, à l’inverse, a méconnu des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; il sanctionnera en outre les décisions rendues en vertu d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante.
Force est de constater que la quasi-totalité des circonstances ont été appréciées de la même manière par les deux instances précédentes. En particulier, celles-ci ont jugé que la faute de l’employeuse devait être qualifiée de grave. La cour cantonale a ainsi confirmé l’appréciation du tribunal de première instance en relevant encore que tous les motifs avancés par l’employeuse – dont la position économique était, selon les constatations cantonales, » très forte » – avaient été construits a posteriori pour justifier le congé immédiat déjà notifié.
La cour cantonale s’est toutefois écartée de l’appréciation des premiers juges au seul motif, selon elle déterminant, que l’employé avait un » très haut revenu « . Elle est alors arrivée à la conclusion que l’indemnité fixée par les premiers juges devait être divisée par deux.
L’élément retenu par la cour cantonale ne saurait toutefois jouer le rôle (décisif) que celle-ci lui attribue en l’espèce.
Premièrement, le critère de la situation économique vise les deux parties et le juge ne saurait d’emblée inférer de la situation financière avantageuse de l’employé la nécessité de réduire (en l’occurrence de moitié) l’indemnité qui lui est due en vertu de l’art. 337c al. 3 CO sans faire la moindre référence à la situation économique de l’employeuse. A cet égard, force est de constater que la cour cantonale a retenu que la situation économique de l’employeuse était » très forte « , ce qui relativise – notamment en raison de la finalité punitive de l’indemnité, apparentée à une peine conventionnelle – l’importance de la situation financière favorable de l’employé.
On ne saurait revenir sur les considérations qui précèdent (et donc reconnaître que la situation financière avantageuse de l’employé – prise isolément – impliquerait d’emblée une réduction de l’indemnité au sens de l’art. 337c al. 3 CO) en tirant argument de la jurisprudence du Tribunal fédéral relative aux bonus et, en particulier, de la notion de » très hauts revenus » utilisée dans ce cadre. Cette notion a été introduite en lien avec la qualification des bonus pour répondre à un besoin spécifique: il s’agissait de fixer le seuil à partir duquel la requalification (en salaire) de la gratification facultative (absence de tout droit contractuel de l’employé) est exclue; le Tribunal fédéral a retenu que, pour la catégorie des » très hauts revenus » (cinq fois le salaire médian suisse), le critère de l’accessoriété (à l’origine de la requalification) n’est plus déterminant et qu’une restriction de la liberté contractuelle des parties ne peut se justifier par un besoin de protection du travailleur (ATF 141 III 407 consid. 4.3.2).
En résumé, la jurisprudence relative aux bonus n’a qu’un effet indirect sur le calcul de l’indemnité pour licenciement injustifié: le montant de cette indemnité est calculé, en fonction des critères posés à l’art. 337c al. 3 CO, en partant du » salaire du travailleur » qui, lui, dépendra de l’éventuelle requalification (intégrale ou partielle) de la gratification facultative dont aurait bénéficié l’employé.
Deuxièmement, la prise en considération des effets économiques du licenciement immédiat pour les deux parties (qui implique de connaître leur situation économique/financière) n’est qu’un critère parmi d’autres que le juge doit apprécier au moment de calculer l’indemnité due en vertu de l’art. 337c al. 3 CO. Ce critère n’est donc à lui seul pas décisif, mais il doit être pris en compte dans le cadre d’une appréciation globale de l’ensemble des circonstances.
Troisièmement, la décision de la cour cantonale – qui considère que la situation financière avantageuse de l’employé est en soi décisive – a pour effet de reléguer au second plan la faute de l’employeuse (pourtant qualifiée de grave), ce qui réduit à néant la finalité punitive de l’indemnité (ou à tout le moins diminue fortement son efficacité) et, partant, se heurte à l’une des deux fonctions essentielles de l’indemnité consacrée à l’art. 337c al. 3 CO.
Il en résulte qu’en s’écartant de l’indemnité attribuée par les premiers juges (correspondant à six mois de salaire) au seul motif que l’employé ne serait pas dans la gêne sur le plan financier, la cour cantonale a donné un poids décisif à un critère qui n’avait en l’occurrence (également au regard de la situation économique de l’employeuse) qu’une importance marginale et, partant, elle a excédé le (large) pouvoir d’appréciation dont elle dispose lors de l’application de l’art. 337c al. 3 CO.
Le moyen soulevé par le demandeur est donc fondé et il y a lieu d’écarter l’appréciation effectuée par la cour cantonale en violation de l’art. 337c al. 3 CO.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_173/2018, 4A_179/2018 du 29 janvier 2019, consid. 5)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Yverdon-les-Bains