Fonction publique, licenciement pendant la période probatoire, droit d’être entendu

L’objet du litige concerne la conformité au droit de la décision des HUG de résiliation des rapports de service de la recourante du 1er février 2018.

Les membres du personnel de chaque établissement public médical relèvent de l’autorité du conseil d’administration (art. 2 al. 4 LPAC).

Selon l’art. 4 al. 1 LPAC, le personnel de la fonction publique se compose de fonctionnaires, d’employés, d’auxiliaires, d’agents spécialisés et de personnel en formation. Est un fonctionnaire le membre du personnel régulier ainsi nommé pour une durée indéterminée après avoir accompli comme employé une période probatoire (art. 5 LPAC). Est un employé le membre du personnel régulier qui accomplit une période probatoire (art. 6 al. 1 LPAC).

La nomination en qualité de fonctionnaire intervient au terme d’une période probatoire de deux ans, sous réserve de prolongation de cette dernière (art. 47 al. 1 RPAC ; art. 49 al. 2 du statut).

En l’espèce, la recourante a commencé son activité aux HUG le 1er janvier 2018, selon son contrat de travail signé le 29 novembre 2017, si bien que l’intéressée revêt la qualité d’employée au sens de l’art. 6 al. 1 LPAC et du Titre VII du statut.

Pendant le temps d’essai et la période probatoire, chacune des parties peut mettre fin aux rapports de service ; le membre du personnel n’ayant pas qualité de fonctionnaire est entendu par l’autorité compétente ; il peut demander que le motif de résiliation lui soit communiqué (art. 21 al. 1 LPAC).

Pendant le temps d’essai, d’une durée de trois mois au plus, le délai de résiliation est de quinze jours pour la fin d’une semaine (art. 20 al. 1 LPAC).

Le conseil d’administration est l’autorité compétente pour prononcer la fin des rapports de service (art. 17 al. 1 LPAC). Il peut déléguer cette compétence à la direction générale de l’établissement (art. 17 al. 4 LPAC). Le conseil d’administration peut autoriser la sous-délégation de cette compétence en faveur des services de l’établissement pour les membres du personnel n’ayant pas la qualité de fonctionnaire (art. 17 al. 6 LPAC).

Selon l’art. 62 du statut, la direction est compétente pour procéder à la résiliation des rapports de service d’un employé.

En l’occurrence, au 1er février 2018, date de la remise en mains propres du courrier de résiliation des rapports de service signé par la direction des ressources humaines, la recourante se trouvait dans sa période d’essai. Le délai de résiliation était donc de quinze jours pour la fin d’une semaine, si bien qu’en résiliant le contrat pour le dimanche 18 février 2018, les HUG ont respecté ce délai.

La recourante soutient que son droit d’être entendue a été violé dans la conduite de la procédure ayant mené à son licenciement.

L’obligation d’entendre un employé avant qu’une décision de licenciement ne soit prise, rappelée à l’art. 21 al. 1 LPAC, découle du respect de son droit être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. – RS 101), compris comme représentant son droit de faire valoir son point de vue, voire ses moyens, avant qu’une décision ne soit prise à son égard.

En matière de rapport de travail de droit public, des occasions relativement informelles de s’exprimer avant le licenciement peuvent remplir les exigences du droit constitutionnel d’être entendu, pour autant que la personne concernée ait compris qu’une telle mesure pouvait entrer en ligne de compte à son encontre. La personne concernée ne doit pas seulement connaître les faits qui lui sont reprochés, mais doit également savoir qu’une décision allant dans une certaine direction est envisagée à son égard. L’omission pour un employeur public d’entendre le fonctionnaire auquel il veut signifier son congé constitue en principe une violation grave du droit d’être entendu de l’intéressé.

La LPAC, le RPAC et le statut ne précisent pas les modalités selon lesquelles l’employé doit être entendu avant son licenciement. Même si le chapitre IV du statut, appelé « Entretien de service-résiliation », contient un art. 46 intitulé « Entretien de service », la présence de cette disposition à cet emplacement n’implique pas obligatoirement que le licenciement d’un employé soit nécessairement précédé d’un tel entretien, conduit selon les formes prévues dans cette disposition. L’art. 46 du statut a en effet pour objet de régler la procédure à respecter en cas de manquements aux devoirs du personnel, qu’un licenciement soit ou non à l’ordre du jour lorsque le membre du personnel est convoqué.

Dans un arrêt du 15 juillet 2017 (8C_615/2016) concernant une affaire genevoise (ATA/637/2016 du 26 juillet 2016), le Tribunal fédéral a retenu qu’une commune avait violé le droit d’être entendu de son collaborateur. En effet, le recourant avait disposé d’une demi-heure pour prendre connaissance de son dossier et soumettre ensuite ses observations sur l’intention de la commune de le licencier. Quand bien même l’insatisfaction de l’employeur public au sujet de ses prestations professionnelles lui était connue, le recourant n’avait manifestement pas disposé d’un délai approprié pour préparer sa détermination. Certes, les membres de l’exécutif communal avaient déclaré qu’ils lui auraient laissé le temps qu’il aurait estimé nécessaire s’il l’avait demandé. Le recourant lui-même avait dit que, lorsqu’il était retourné dans la salle de réunion après avoir pris connaissance de son dossier, il n’avait en fait rien à déclarer puisque la décision était prise. On ne saurait pour autant considérer, au vu du stress occasionné par la procédure lorsqu’un fonctionnaire était entendu oralement, que celui-ci avait valablement exercé son droit d’être entendu si sa seule réaction, sur le moment, consistait à répondre laconiquement qu’il n’avait aucune remarque à formuler. Il s’agissait d’une violation grave de son droit d’être entendu (consid. 3.4). La gravité de cette violation empêchait toute réparation devant l’autorité de recours (consid. 4.3).

Dans une autre affaire genevoise (ATA/679/2017 du 20 juin 2017), le Tribunal fédéral, dans son arrêt 8C_541/2017 précité, a considéré que l’autorité intimée avait violé le droit d’être entendu de son collaborateur. En effet, son licenciement n’était pas l’aboutissement logique de l’absence de garantie quant à un reclassement au sein de l’entreprise. Il n’était en effet pas établi que le collaborateur avait été informé, avant de recevoir une lettre annonçant que la fin des rapports de travail était envisagée, que la résiliation de ses rapports de service était concrètement envisagée (consid. 2.4). L’omission pour un employeur public d’entendre le fonctionnaire auquel il veut signifier son congé constitue une violation du droit d’être entendu dont la gravité empêche toute réparation devant l’autorité de recours de l’intéressé (consid. 2.5).

Le Tribunal fédéral a également traité de la question du droit d’être entendu pour des collaborateurs en temps d’essai.

Dans un arrêt du 16 avril 2018 (8C_419/2017 précité), concernant à nouveau une affaire genevoise (ATA/453/2017 du 25 avril 2017), le Tribunal fédéral a considéré qu’il était douteux que l’intimée ne lui ait pas communiqué les motifs du licenciement ni permis de s’exprimer lors de l’entretien qui portait précisément sur la suite à donner à la relation de travail. Dans ces conditions, il n’y avait pas lieu de s’écarter des constatations des premiers juges, selon lesquelles le recourant avait bel et bien eu l’occasion de se déterminer sur les motifs de son licenciement lors de l’entretien précité. En revanche, l’arrêt attaqué ne disait rien sur la durée de l’entretien et son déroulement. Cela dit, dès lors que le recourant se trouvait en période d’essai, pour laquelle les statuts de la fondation ne prévoyaient pas de motif de licenciement, une éventuelle violation de son droit d’être entendu ne saurait revêtir un caractère de gravité tel qu’il empêcherait toute réparation devant une instance jouissant d’un plein pouvoir d’examen en fait et en droit (consid. 4.3.2).

Dans une affaire vaudoise (TL14.039653-162073 du 9 janvier 2017), le Tribunal fédéral, dans son arrêt 8C_310/2017 précité, a considéré qu’il était établi que la recourante n’avait pas été informée de ce que le gouvernement cantonal envisageait de la licencier avant que celui-ci ne rende la décision litigieuse. Son droit d’être entendue n’avait pas été respecté. Cependant, il n’était pas arbitraire de retenir que l’atteinte aux droits procéduraux de l’intéressée ne pouvait être qualifiée de grave vu la grande liberté d’appréciation reconnue aux parties de mettre fin aux rapports de service pendant le temps d’essai. Le Tribunal fédéral admettait qu’une résiliation pendant le temps d’essai, compte tenu de la finalité de celui-ci, comportait nécessairement une part d’arbitraire. Cela étant, la recourante avait pu faire valoir ses motifs (tous d’ordre juridique), particulièrement ceux tirés de la légitimité de l’instauration du temps d’essai, de l’exigence d’égalité de traitement et du caractère abusif du licenciement, devant deux instances qui disposaient d’un libre pouvoir d’examen sur ces questions. Or, la jurisprudence admettait que lorsque la violation du droit d’être entendu portait sur une question juridique, le vice pouvait être réparé. Il y avait lieu de retenir en l’occurrence que la violation du droit d’être entendue de la recourante avait été valablement réparée devant les instances judiciaires cantonales, et de rejeter le grief par substitution de motifs (consid. 7.6).

En l’espèce, il ressort de la chronologie du dossier que la recourante a commencé son activité aux HUG le 2 janvier 2018.

Le 16 janvier 2018, l’intéressée a fait l’objet d’un bilan intermédiaire avec Mme D______. Selon le document, l’intéressée rencontrait de « grandes difficultés à remplir les objectifs ». Ce document a été signé par la recourante et par Mme D______.

Les HUG soutiennent qu’un nouvel entretien entre la recourante et Mme D______ a eu lieu le 31 janvier 2018. Ils produisent à l’appui de cette allégation le « Document élaboré le 31/01 » par Mme D______.

Il ressort de ce document que l’écart entre les attentes et les prestations de la recourante restait très important. Un entretien était fixé le 1er février 2018 en présence de Mmes E______ (« IARS »), F______ (« RH ») et D______ afin d’évoquer la poursuite de la collaboration. Or et contrairement à celui du 16 janvier 2018, ce document n’est signé ni par Mme D______ ni par la recourante. Par ailleurs, la seule annexe de l’EEDC du 1er février 2018 est le bilan intermédiaire du 16 janvier 2018. S’il apparaît que le contenu du « Document élaboré le 31/01 » par Mme D______ a servi dans le cadre de l’EEDC du 1er février 2018, au vu de la reprise de certains éléments dans l’EEDC, rien au dossier ne permet de conclure que la recourante a eu un entretien le 31 janvier 2018 portant sur le « Document élaboré le 31/01 » par Mme D______. D’ailleurs et alors que Mme D______ a précisé, en audience le 3 septembre 2018, que le « Document élaboré le 31/01 » signé par la recourante devait être dans son dossier, les intimés ne l’ont pas produit à l’appui de leurs conclusions après enquêtes du 1er octobre 2018. En outre, la lettre de résiliation du 1er février 2018 se limite à faire mention des entretiens du 16 janvier 2018 et du 1er février 2018 sans faire référence à un quelconque entretien qui aurait eu lieu le 31 janvier 2018. Enfin, la case prévue pour le « Point de vue du collaborateur » de l’EEDC est vide, ce qui renforce le constat qu’aucun entretien n’a eu lieu le 31 janvier 2018.

L’évocation par Mme D______ de l’existence de cet entretien est d’ailleurs assez floue et sans précisions sur le contenu et le déroulement de celui-ci. Il n’emporte pas conviction au vu de ce qui précède.

Dès lors et compte tenu de ces éléments, les HUG n’ont pas démontré à satisfaction de droit qu’un entretien avait eu lieu entre la recourante et Mme D______ le 31 janvier 2018.

Ainsi, la recourante a été reçue le 1er février 2018 pour son EEDC, dont la conclusion était, au vu des prestations insuffisantes, l’exclusion de la poursuite de la collaboration. À l’issue de cet entretien ou peu après avoir été conduite dans le bureau des ressources humaines, le courrier de résiliation des rapports de service lui a été remis en mains propres.

À l’instar de l’arrêt vaudois précité, la recourante ignorait jusqu’au 1er février 2018 que l’autorité intimée envisageait de la licencier.

S’il est vrai que la recourante était en temps d’essai au moment de son licenciement, ce qui, selon la jurisprudence fédérale précitée, laisse une grande liberté d’appréciation à l’autorité intimée de mettre fin aux rapports de service, il n’en demeure pas moins que l’autorité intimée devait respecter le droit d’être entendue de la recourante. Or, en procédant à un EEDC le 1er février 2018 et en lui remettant un courrier de résiliation des rapports de service à son issue ou très peu de temps après, l’autorité intimée n’a pas laissé à la recourante la possibilité de faire valoir son point de vue. D’ailleurs et même si l’entretien du 31 janvier 2018 avait eu lieu, la proximité temporelle entre cet entretien, l’EEDC le lendemain et la remise de la lettre de licenciement à son issue, n’aurait pas permis à la recourante de faire valoir efficacement son droit d’être entendue avant la prise de décision.

L’autorité intimée a donc violé le droit d’être entendue de la recourante.

Il est vrai que le Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence précitée (8C_310/2017 précité) a reconnu que l’atteinte aux droits procéduraux d’une collaboratrice qui se trouvait en temps d’essai ne pouvait pas être qualifiée de grave vu la grande liberté d’appréciation reconnue aux parties pour mettre fin aux rapports de service pendant cette période, et que lorsque la violation du droit d’être entendu portait sur une question juridique, le vice pouvait être réparé par-devant les instances judiciaires cantonales.

Toutefois et comme le relève la doctrine (Stéphane GRODECKI in RDAF I 2018 46 et 47), à Genève, les juridictions administratives ne peuvent pas revoir l’opportunité d’une décision (art. 61 al. 2 LPA) ; l’autorité disposant d’un large pouvoir d’appréciation, il est dès lors exclu d’envisager une réparation du droit d’être entendu devant la chambre administrative dans le contexte d’une résiliation des rapports de service, faute pour cette dernière de disposer d’un pouvoir d’examen équivalent à celui de l’autorité qui a prononcé le licenciement dans un domaine où un large pouvoir d’appréciation est reconnu à l’autorité administrative.

Dans ces circonstances particulières, la chambre administrative retiendra dès lors que l’autorité intimée a violé gravement le droit d’être entendue de la recourante et que cette violation n’est pas réparable par-devant la juridiction de recours compte tenu de la gravité de cette violation et du fait que la chambre de céans ne dispose pas d’un pouvoir d’examen équivalent à celui de l’autorité intimée dans le contexte d’une résiliation des rapports de service.

Le grief sera admis.

La chambre administrative retiendra en conséquence que la résiliation des rapports de service de la recourante est contraire au droit, la décision étant entachée d’un vice formel.

Selon l’art. 31 LPAC, si la chambre administrative retient que la résiliation des rapports de service est contraire au droit, elle peut proposer à l’autorité compétente la réintégration (al. 3). En cas de décision négative de l’autorité compétente ou en cas de refus du recourant, la chambre administrative fixe une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à un mois et supérieur à vingt-quatre mois du dernier traitement brut à l’exclusion de tout autre élément de rémunération ; concernant un employé, l’indemnité ne peut être supérieure à six mois (al. 4).

En l’espèce, il ne ressort pas des écritures de l’autorité intimée que celle-ci s’oppose catégoriquement à la réintégration de la recourante. De plus, compte tenu du nombre important de services et d’unités au sein de l’intimée, une place de travail en tant qu’aide en soins et accompagnement pourrait être trouvée ailleurs que dans l’unité 34 (arrêt du Tribunal fédéral 8C_670/2017 du 19 juillet 2018 consid. 8.3.1)

Partant, la chambre de céans proposera à l’autorité intimée la réintégration de la recourante. En cas de refus, il appartiendra à l’autorité intimée de transmettre immédiatement copie de sa décision à la chambre de céans afin qu’elle puisse se ressaisir de l’affaire (art. 31 al. 4 LPAC).

(ATA/238/2019)

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Yverdon-les-Bains

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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