Les parties ont conclu, le 1 er octobre 2010, un contrat de travail de durée déterminée qui devait se terminer le 31 décembre 2015. L’employé l’a résilié prématurément le 25 mars 2014 avec effet au 30 juin suivant. Aucun litige n’entoure la date à laquelle les rapports de travail ont pris fin, à savoir le 30 juin 2014. A ce stade, les dissensions tiennent dans le sort des « commissions » prévues par l’avenant au contrat de travail signé le 1 er octobre 2010, et qui devaient notamment être remboursées si l’employé résiliait le contrat avant terme. [NB: c’est une sorte particulière de clause d' »active employment » – i.e. la rémunération variable est acquise si l’employé est toujours actif, n’a pas donné sa démission ou n’a pas été licencié par exemple, ce qui est fréquent en pratique dans les contrats de travail].
Le Tribunal fédéral raisonne comme suit :
Le salaire est la rémunération que l’employeur est tenu de payer à l’employé pour le temps ou le travail que celui-ci a consacré à son service, et qui est fixé soit directement par contrat individuel, soit indirectement par contrat-type de travail ou par convention collective (art. 322 al. 1 CO).
La gratification est une rétribution spéciale que l’employeur accorde en sus du salaire à certaines occasions, par exemple une fois par année (cf. art. 322d al. 1 CO). Elle se distingue du salaire en ceci que son versement dépend totalement ou du moins partiellement du bon vouloir de l’employeur. Il y a un droit à la gratification si les parties en ont convenu ainsi, expressément ou par actes concluants (art. 322d al. 1 CO). A défaut d’une telle volonté cette prestation est facultative.
L’employeur peut subordonner le paiement de la gratification à la réalisation de conditions, dans les limites de l’art. 27 al. 2 CC (arrêts 4A_219/2013 du 4 septembre 2013 consid. 3.1; 4C.426/2005 du 28 février 2006 consid. 5.1). Ainsi est-il admissible d’exiger que le travailleur soit effectivement employé dans l’entreprise à l’échéance de la gratification, ou encore de n’allouer aucune gratification, ou une gratification réduite à l’employé qui est encore au service de l’employeur au moment de l’occasion donnant lieu à la gratification, mais dont le rapport de travail a déjà été résilié (arrêts 4A_513/2017 du 5 septembre 2018 consid. 5.1; 4A_26/2012 du 15 mai 2012 consid. 5.2.2; 4A_502/2010 du 1 er décembre 2010 consid. 2.2; 4A_509/2008 du 3 février 2009 consid. 4.1; 4A_115/2007 du 13 juillet 2007 consid. 4.3.1; 4C.426/2005 précité consid. 5.1). En revanche, le paiement du salaire ne saurait dépendre de la présence de l’employé dans l’entreprise ou de la non-résiliation de son contrat; la fonction même du salaire s’y oppose. Une telle clause est illicite et frappée de nullité en tant qu’elle se rapporte à un élément du salaire (art. 20 al. 2 CO; cf. ATF 109 II 447 consid. 5c; arrêt 4C.426/2005 précité consid. 5.2).
Déterminer si une certaine rémunération est un élément du salaire (art. 322 s. CO) ou une gratification (art. 322d CO) revêt ainsi une grande importance, dès lors que le régime de la gratification est beaucoup plus flexible pour l’employeur que celui applicable aux éléments du salaire.
La cour cantonale a raisonné en deux temps.
En premier lieu, elle s’est attachée à déterminer si les « commissions » en question représentaient un élément du salaire ou une gratification. Constatant que ni le principe du versement de cette rétribution, ni sa quotité ne dépendait du bon vouloir de l’employeur, elle en a déduit qu’il s’agissait d’un élément du salaire. Partant, la clause de remboursement dont était assorti le versement de cette rétribution – pour le cas où l’employé mettrait un terme au contrat de travail avant l’échéance du 31 décembre 2015 – était nulle et non avenue (art. 20 CO). Le but qu’avaient poursuivi les parties par le biais de cette clause, à savoir fidéliser l’employé jusqu’au terme du contrat, n’y changeait rien.
En second lieu, elle a procédé aux déductions qui s’imposaient quant aux montants dont l’employé réclamait le paiement au titre des « commissions » prévues dans cet avenant. (….)
La recourante ( = l’employeuse) estime que la cour cantonale a violé l’art. 18 CO, en faisant fi de la réelle et commune intention des parties qui était d’assortir le paiement de ces « commissions » d’une clause de remboursement pour le cas où l’employé résilierait le contrat avant son échéance.
Cet argument est dénué de toute portée et ne peut qu’être rejeté: les parties ont clairement conditionné la rémunération querellée (i.e. les « commissions » selon l’avenant au contrat de travail) au maintien du contrat jusqu’à l’échéance du 31 décembre 2015, prévoyant le remboursement de l’intégralité des commissions versées (condition résolutoire) si l’employé y mettait un terme avant. Là n’est pourtant pas le problème. La cour cantonale n’a d’ailleurs rien constaté de dissonant. Elle a même observé que l’employeuse avait, par cette clause, entendu garantir la présence de l’employé pendant toute la durée convenue du contrat, ce que celui-ci avait bien compris et accepté en connaissance de cause. Ceci ôte toute substance au grief de la recourante selon lequel la cour cantonale aurait méconnu l’acceptation par l’employé de cette condition. Savoir qui, de l’employeuse ou de l’employé, a rédigé cet avenant importe peu dès lors que le principe in dubio contra stipulatorem ne s’applique pas s’il y a réelle et commune intention des parties, ce que la cour cantonale a constaté d’une manière qui lie le Tribunal fédéral. Point n’est donc besoin de se pencher sur le grief d’arbitraire corrélatif. Il n’est pas davantage pertinent de déterminer si ce système de rémunération correspond à celui des… ou s’il a été entériné par la caisse de compensation AVS et le fisc valaisan, comme la recourante le prétend. C’est dès lors vainement qu’elle se plaint, sous l’angle de l’arbitraire, que ces éléments de fait auraient été méconnus.
La question se pose en réalité en ces termes: la condition précitée est-elle licite ou non au regard des art. 341 al. 1 et 20 CO? Tout dépend de la qualification de la rémunération en cause: salaire ou gratification. Cette qualification est le fruit d’un raisonnement juridique. Elle découle cependant d’une constatation de fait, tenant à l’existence d’un pouvoir discrétionnaire de l’employeur: si ce dernier ne dispose d’aucune marge d’appréciation, que ce soit pour décider du principe du versement ou de la quotité de la rémunération dont il s’agit, la rémunération querellée s’apparente à un élément du salaire (cf., parmi d’autres, ATF 142 III 381 consid. 2.1 p. 383; 139 III 155 consid. 3.1 in fine; 109 II 447 consid. 5c p. 448; arrêts 4A_155/2019 du 18 décembre 2019 consid. 3.2; 4A_430/2018 du 4 février 2019 consid. 5; 4A_78/2018 du 10 octobre 2018 consid. 4.2 et 4.3.1; 4A_463/2017 du 4 mai 2018 consid. 3.1.2; 4A_290/2017 du 12 mars 2018 consid. 4.1.2).
In casu, la recourante ne fait pas valoir qu’elle disposait d’un tel pouvoir d’appréciation; l’avenant n’exprime d’ailleurs rien de semblable. Elle souligne simplement que les « commissions » étaient soumises à une condition, dont la validité se trouve précisément au coeur du litige, et en infère que ces « commissions » représenteraient une gratification. Cela étant, ce n’est pas l’existence de cette seule condition qui conduit à qualifier la rémunération querellée de salaire ou de gratification; une telle qualification se déduit en effet de l’ensemble des circonstances. C’est dans ce sens qu’il faut lire le consid. 4.2.2 de l’arrêt 4A_290/2017 du 12 mars 2018 (respectivement le consid. 2b de l’arrêt 4C.47/1994 du 11 octobre 1994, publié in JAR 1995 p. 102, dont se prévaut la recourante). Une condition tenant à des rapports de travail non résiliés au moment de l’échéance n’est donc pas à elle seule déterminante, contrairement à ce que certains commentateurs ont pu suggérer, tout en concédant qu’il s’agit d’apprécier les circonstances pertinentes (WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4e éd. 2019, p. 226 et sous-note 1021; MARIE-GISÈLE DANTHE, in: Commentaire du contrat de travail, [Dunand/Mahon éd.] 2013, nos 14 et 16 ad art. 322d CO); une fois la rémunération qualifiée de salaire ou de gratification, il est possible – dans une seconde étape – d’en déduire si la condition est licite ou non (arrêt précité 4C.426/2005 consid. 5.2). C’est bien de cette manière que la cour cantonale a procédé, ce qui ne prête pas flanc à la critique. Ladite cour avait au préalable constaté que l’employé, qui excellait dans son travail et dont la collaboration était jugée essentielle, avait demandé et obtenu l’augmentation de salaire désirée par la voie de l’avenant au contrat de travail signé le 1er octobre 2010.
La recourante échoue également dans la démonstration d’une violation des art. 322 ss CO. Elle fait une lecture erronée des nombreux arrêts qu’elle cite et y voit des analogies avec la présente cause, alors qu’il n’y en a pas (l’arrêt 4A_370/2017 du 31 janvier 2018 n’a rien de similaire, puisqu’il s’agissait d’un acompte sur une participation au chiffre d’affaires soumis à la condition que les objectifs de rentrée de produits soient atteints; dans l’ATF 129 III 118, il s’agissait d’une provision sur certaines affaires au sens de l’art. 322b CO alors que dans l’arrêt 4C.53/2005, l’affaire concernait des avances sur commissions sur des contrats d’assurance).
Lorsqu’elle avance – chiffres à l’appui – que la rétribution litigieuse revêtait un caractère accessoire par rapport au salaire, la recourante méconnaît également la jurisprudence. C’est en effet seulement dans un deuxième temps, s’il arrive à la conclusion que la rémunération est, selon la volonté des parties, une gratification, que le juge pourra être amené à la requalifier en salaire; tel est le cas si elle ne revêt pas un caractère accessoire par rapport à ce dernier (ATF 145 V 188 consid. 5.2.3; arrêt 4A_485/2016 du 28 avril 2017 consid. 4.2). Il n’y a pas lieu de procéder à un semblable examen dans le cas d’espèce puisque l’absence de marge de manœuvre de l’employeuse, dans le contexte relevé ci-dessus, permet de conclure qu’il s’agit d’un élément du salaire. Pour la même raison, le fait que l’intimé ait pu toucher un très haut revenu – comme la recourante le prétend à demi mot – n’a aucune incidence; cette question n’a en effet de sens que dans le cadre du raisonnement qui précède, en ce sens qu’il n’y a pas de requalification de la rémunération en salaire en vertu du principe de l’accessoriété pour les très hauts revenus (ATF 141 III 407 consid. 4.3.2 et 5.3.1).
La recourante semble vouloir critiquer la déduction que la cour cantonale a tirée de la qualification des « commissions » en tant qu’élément du salaire, à savoir celle voulant que la condition querellée soit illicite. En tout état de cause, la jurisprudence est catégorique à cet égard: la fonction même du salaire exclut la possibilité pour l’employeur de soumettre la rémunération d’une prestation de travail déjà accomplie à une condition selon laquelle le salarié devrait encore se trouver dans l’entreprise (ATF 109 II 447 consid. 5c p. 448), ou ne pas avoir donné ni reçu son congé (arrêt précité 4C.426/2005 consid. 5.2.1). Il en va de même pour la clause de remboursement (cf. RAOUL BUSSMANN, Rückzahlungsklauseln bei freiwilligen Leistungen des Arbeitgebers, 1977, p. 38 et 151, qui l’exclut aussi en cas d’augmentation de salaire consentie sur une base volontaire). Il importe peu que l’employé ait donné son accord à une semblable condition. En effet, celui-ci ne peut pas renoncer, pendant la durée du contrat et durant le mois qui suit la fin de celui-ci, aux créances résultants de dispositions impératives de la loi (art. 341 al. 1 CO). Ceci prive de toute portée l’argumentation de la recourante fondée sur l’acceptation par l’employé de la clause querellée. Une telle renonciation présente un caractère illicite; elle est donc nulle et non avenue (art. 20 CO).
Peu importe qu’une semblable clause de remboursement puisse se concevoir à propos d’une gratification – question qui divise la doctrine au demeurant. C’est en effet le propre de cette rétribution spéciale, laissée dans une certaine mesure au bon vouloir de l’employeur, que de bénéficier d’un régime plus souple.
La recourante fait encore valoir que le principe de la liberté contractuelle a été violé. Cela étant, le besoin de protection du travailleur, exprimé à l’art. 341 al. 1 CO, l’emporte sur le principe en question. Ce grief doit donc pareillement être rejeté.
Finalement, la recourante fait valoir que l’intimé a agi de manière contraire à la bonne foi, respectivement a commis un abus de droit.
A teneur de l’art. 2 al. 2 CC, l’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé par la loi. La règle prohibant l’abus de droit permet au juge de corriger les effets de la loi dans certains cas où l’exercice d’un droit allégué créerait une injustice manifeste. L’existence d’un abus de droit se détermine selon les circonstances concrètes du cas, en s’inspirant des diverses catégories mises en évidence par la jurisprudence et la doctrine. L’emploi dans le texte légal du qualificatif « manifeste » démontre que l’abus de droit doit être admis restrictivement. Il incombe à la partie qui se prévaut d’un abus de droit d’établir les circonstances particulières autorisant à retenir une telle exception.
Les cas typiques d’abus de droit sont l’absence d’intérêt à l’exercice d’un droit, l’utilisation d’une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l’exercice d’un droit sans ménagement ou l’attitude contradictoire (.
En l’espèce, la recourante estime en substance que l’employé devrait être déchu de son droit dès lors qu’il a accepté la condition querellée. Elle fait fausse route. Un abus de droit ne saurait se concevoir de ce seul fait. Elle ajoute que l’employé aurait prétendument concédé dans des messages « SMS » qu’il était conscient de perdre ses « primes » s’il quittait son poste avant l’échéance du contrat, que le salaire qu’il avait négocié avec l’entreprise qui devait l’engager par la suite comprendrait tout ou partie des « commissions » ainsi perdues et que ce n’est qu’en raison du désistement de ladite entreprise qu’il se serait « retourné » contre l’employeuse. Il n’est cependant pas crucial de déterminer si la cour cantonale a versé dans l’arbitraire en ne constatant pas ces éléments. Ceux-ci laissent tout au plus entrevoir que l’intimé n’avait pas cerné qu’il disposait d’un droit à l’égard de l’employeuse. Qu’il l’ait ensuite exercé n’a rien d’abusif. Ce dernier grief se révèle également infondé.
Partant, le recours doit être rejeté dans son ensemble.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_158/2019 du 26 février 2020)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)