En vertu du principe de la liberté contractuelle, chacun est libre d’entamer une négociation et de l’interrompre quand il le veut, même sans justification. L’exercice de cette liberté est toutefois limité par les règles de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC). La culpa in contrahendo repose sur l’idée que l’ouverture de pourparlers crée déjà une relation juridique entre partenaires et leur impose des devoirs réciproques, soit en particulier celui de négocier sérieusement, conformément à leurs véritables intentions. Une partie ne peut pas, par une attitude contraire à ses véritables intentions, éveiller chez l’autre l’espoir illusoire qu’une affaire sera conclue et l’amener ainsi à prendre des dispositions dans cette vue. Celui qui engage des pourparlers ne doit pas faire croire que sa volonté de conclure est plus forte qu’en réalité.
La partie qui ne respecte pas ces obligations répond non seulement lorsqu’elle a fait preuve d’astuce au cours des pourparlers, mais déjà lorsque son attitude a été de quelque manière fautive, qu’il s’agisse de dol ou de négligence, dans les limites tout au moins de la responsabilité qu’elle encourt sous l’empire du contrat envisagé par les parties.
Toutefois, ce n’est que dans des situations exceptionnelles qu’une culpa in contrahendo sera retenue en cas de rupture des pourparlers. Il ne suffit pas que les négociations aient duré longtemps, ni que la partie à l’origine de la rupture ait été au courant des investissements effectués par l’autre; la partie qui engage des frais avant la conclusion du contrat le fait en principe à ses risques et périls. Le comportement contraire aux règles de la bonne foi ne consiste pas tant à avoir rompu les pourparlers qu’à avoir maintenu l’autre partie dans l’idée que le contrat serait certainement conclu ou à n’avoir pas dissipé cette illusion à temps.
Si la partie prétendument lésée connaissait ou aurait dû connaître la réalité (elle savait ou aurait dû savoir que les négociations n’allaient de toute façon pas aboutir) (cf. art. 2 al. 1 CC), il est d’emblée exclu de lui reconnaître une confiance légitime (dans le fait que le contrat serait conclu) et, partant, la responsabilité précontractuelle de l’autre partie n’entre pas en ligne de compte.
Lorsque le contrat en vue est soumis à des exigences de forme, une culpa in contrahendo pour rupture des pourparlers sera d’autant moins facilement admise que les prescriptions de forme ont précisément pour but de préserver les parties d’un engagement. Les parties ont alors un devoir accru d’envisager la possibilité d’un échec jusqu’à la conclusion du contrat.
L’échec des négociations n’entraînera donc en principe pas de responsabilité, sauf si des éléments particuliers tels qu’un accord oral ou écrit ont nourri la confiance légitime que le contrat serait certainement conclu. Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) de donner sans réserve son accord de principe à la conclusion d’un contrat formel et de refuser in extremis, sans raison, de le traduire dans la forme requise. La partie qui refuse de traduire dans la forme légale l’accord auquel elle est parvenue avec son partenaire engage sa responsabilité autant qu’elle pouvait prévoir le dommage causé à celui-ci.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_313/2019 du 19 mars 2020, consid. 4.2)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)