Les limites à la liberté d’expression de l’avocat

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L’avocat peut-il tout dire, tout écrire pour la défense de son client? Illustration:

L’art. 12 let. a LLCA dispose que l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence. Cette disposition constitue une clause générale, qui ne se limite pas aux rapports professionnels de l’avocat avec ses clients, mais qui englobe ceux avec ses confrères, ainsi qu’avec toutes les autorités et non seulement les autorités judiciaires stricto sensu.

L’avocat, qui peut se prévaloir de la liberté d’opinion (art. 16 Cst.), dispose d’une grande liberté pour critiquer l’administration de la justice, tant qu’il le fait dans le cadre de la procédure, que ce soit dans ses mémoires ou à l’occasion de débats oraux. Il y a un intérêt public à ce qu’une procédure se déroule conformément aux exigences d’un État fondé sur le droit. En fonction de cet intérêt public, l’avocat a le devoir et le droit de relever les anomalies et de dénoncer les vices de la procédure. Le prix à payer pour cette liberté de critiquer l’administration de la justice revient à s’accommoder de certaines exagérations. Si l’avocat se voit interdire une critique non fondée, il ne lui est plus possible de présenter sans risque une critique éventuellement fondée. Si, après examen, les griefs soulevés se révèlent non fondés, cela n’est pas un motif en soi suffisant pour infliger une peine disciplinaire.

L’avocat n’agit contrairement à ses devoirs professionnels et, partant, de façon inadmissible, que s’il formule des critiques de mauvaise foi ou dans une forme attentatoire à l’honneur, au lieu de se limiter à des allégations de fait et à des appréciations. De plus, l’obligation de diligence interdit à l’avocat d’entreprendre des actes qui pourraient nuire aux intérêts de son client.

Si un avocat se voit certes reconnaître une large marge de manœuvre s’agissant de déterminer les moyens et stratégies qui sont les plus aptes à la défense des intérêts de ses clients, il doit néanmoins demeurer circonspect. La jurisprudence souligne que l’avocat est le « serviteur du droit ». En ce sens, l’avocat assume une tâche essentielle dans l’administration de la justice en garantissant le respect des droits des justiciables et joue ainsi un rôle important pour le bon fonctionnement des institutions judiciaires au sens large. Dans ce cadre, il doit se montrer digne de confiance dans les relations avec les autorités judiciaires ou administratives et s’abstenir de tout acte susceptible de remettre en question cette confiance.

Pour qu’un comportement tombe sous le coup de l’art. 12 let. a LLCA, il suppose toutefois l’existence d’un manquement significatif aux devoirs de la profession.

Dans le cas d’espèce, en qualifiant le raisonnement du Tribunal cantonal d’« immonde », le recourant a dépassé les limites de l’admissible. Pour peu qu’elle soit suffisamment motivée, la longue argumentation du recourant quant à son droit de pouvoir plaider librement, sans qu’aucune limite n’entrave sa liberté d’expression, n’est pas convaincante. Ce droit ne l’affranchit en effet pas des convenances indispensables au bon déroulement du débat judiciaire. S’il est vrai que le devoir de défense peut permettre que la critique soit dure et que l’avocat puisse plaider de façon énergique et tranchée sans que l’on exige de sa part qu’il pèse soigneusement chacun de ses mots, l’avocat doit s’efforcer de prévenir toute escalade du conflit en renonçant aux attaques personnelles, à la diffamation et à l’injure.

Comme l’a retenu à raison l’autorité précédente, l’utilisation du terme « immonde », qui désigne dans un sens figuré « ce qui a le caractère d’une extrême immoralité ou d’une bassesse ignoble et révoltante », peut s’apparenter à des propos portant atteinte à l’honneur et ne saurait être accepté de la part d’un avocat dans sa relation avec une autorité judiciaire. De surcroît, le recours à un tel langage n’était motivé par aucune autre circonstance que le refus d’accéder à la demande de son client. De l’aveu même du recourant, c’est davantage le refus des autorités étrangères de délivrer à son client une autorisation d’exercer qui avait suscité son dépit que la décision du Tribunal cantonal de ne pas l’inscrire au tableau des avocats en Valais.

Au surplus, que son écriture de recours n’ait pas eu vocation à être largement diffusée ne change rien. D’une part, l’obligation de traiter les instances judiciaires avec le respect qui leur est dû vaut en toute circonstance. D’autre part, en insérant des termes de ce type dans son mémoire, le recourant ne pouvait ignorer que ceux-ci pourraient figurer dans l’arrêt du Tribunal fédéral et, par ce biais, être porté à la connaissance de tous. Finalement, le fait que ce dernier se soit borné à un obiter dictum dénonçant les écarts de langage du recourant n’a pas d’incidence sur le pouvoir d’appréciation de la Chambre de surveillance lorsqu’il s’agit de sanctionner les avocats qui manquent à leur devoir de diligence.

Constitue, par contre, une circonstance aggravante le fait que le terme litigieux ait été tenu non pas oralement dans le feu d’une séance, mais bien par écrit, mode d’expression qui laisse l’opportunité de la réflexion et de la mesure des mots employés.

Compte tenu de ce qui précède, le recourant a bel et bien violé son devoir de diligence prescrit par l’art. 12 let. a LLCA en qualifiant le raisonnement du Tribunal cantonal d’ « immonde ». Le grief formulé sans retenue démontre clairement que le recourant peine à distinguer la différence entre une critique légitime et des propos déplacés voire irrespectueux.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_167/2020 du 13 mai 2020, consid. 3.4-3.8)

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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