L’arrêt du tribunal fédéral 6B_53/2020 du 14 juillet 2020 concerne une procédure pénale diligentée contre un agent de police, mais pourrait tout à fait s’appliquer aussi à des preuves recueillies dans le cadre d’une enquête interne contre un salarié et qui auraient donné lieu ensuite à une plainte pénale :
Aux termes de l’art. 141 al. 2 CPP, les preuves qui ont été administrées d’une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves.
La loi pénale ne règle pas, de manière explicite, la situation dans laquelle de telles preuves ont été recueillies non par l’Etat mais par un particulier. Selon la jurisprudence, ces preuves ne sont exploitables que si, d’une part, elles auraient pu être recueillies licitement par les autorités pénales et si, d’autre part, une pesée des intérêts en présence plaide pour une exploitabilité (cf. arrêts 6B_902/2019 du 8 janvier 2020 consid. 1.2; 6B_1188/2018 du 26 septembre 2019 consid. 2.1 destiné à la publication; 6B_786/2015 du 8 février 2016 consid. 1.2 et les références citées).
La cour cantonale a exposé que la séquence vidéo litigieuse avait été enregistrée à l’insu du recourant et sans son accord. L’enregistrement avait été effectué en violation de l’art. 179quater CP. L’autorité précédente a ajouté que ledit enregistrement avait été réalisé et conservé en violation de la loi fédérale sur la protection des données (LPD; RS 235.1). Le ministère public a, dans ses déterminations, contesté que l’enregistrement litigieux eût été réalisé contrairement à l’art. 179quater CP. Il ne prétend en revanche pas que sa réalisation ou sa conservation eût été licite au regard de la LPD.
L’autorité précédente, après avoir considéré que la preuve en question avait été obtenue de manière illicite, a examiné si celle-ci pouvait néanmoins être exploitée. Elle a notamment procédé à une pesée des intérêts telle que celle commandée par la jurisprudence, en concluant à l’existence d’un intérêt prépondérant concernant l’exploitabilité de la preuve litigieuse. Par ailleurs, la cour cantonale a indiqué que si le ministère public « avait eu des soupçons s’agissant de la commission d’abus d’autorité par [le recourant] à l’époque des faits, il aurait été en droit d’ordonner la mise en place d’une mesure technique sous la forme d’une vidéosurveillance des salles d’interrogatoires et obtenir ainsi les images litigieuses », ajoutant que l’abus d’autorité figurait dans la liste des infractions pouvant donner lieu à de telles mesures.
Le raisonnement de l’autorité précédente méconnaît les exigences de la jurisprudence. L’une des conditions présidant à l’exploitabilité d’une preuve recueillie de manière illicite est que les autorités pénales, si elles avaient été impliquées, auraient pu – au regard de la loi – obtenir la preuve litigieuse.
Comme l’a signalé la cour cantonale, une mesure technique de surveillance permet notamment d’observer ou d’enregistrer des actions se déroulant dans des lieux qui ne sont pas publics ou qui ne sont pas librement accessibles (cf. art. 280 let. b CPP). L’utilisation de dispositifs techniques de surveillance est régie par les art. 269 à 279 CPP (cf. art. 281 al. 4 CPP). L’infraction d’abus d’autorité figure bien dans la liste de celles pouvant donner lieu à une surveillance (cf. art. 269 al. 2 let. a CPP). Encore faut-il, conformément à l’art. 269 al. 1 let. a CPP, que de graves soupçons eussent laissé présumer qu’une telle infraction eût été commise.
A cet égard, il n’est certes pas nécessaire que les autorités pénales eussent effectivement eu connaissance des faits fondant les graves soupçons propres à justifier une surveillance. Il est en revanche impératif que de tels soupçons eussent existé (cf. arrêts 6B_739/2018 du 12 avril 2019 consid. 1.4; 6B_911/2017 du 27 avril 2018 consid. 1.2.2; 6B_1310/2015 du 17 janvier 2017 consid. 6; 6B_786/2015 du 8 février 2016 consid. 1.3.1; 6B_983/2013 et 6B_995/2013 du 24 février 2014 consid. 3.3.1; 1B_22/2012 du 11 mai 2012 consid. 2.2).
Or, il ne ressort nullement de l’arrêt attaqué que, à l’époque où l’enregistrement vidéo du recourant a été réalisé, ce dernier aurait pu être soupçonné d’avoir commis une quelconque infraction, ni d’ailleurs qu’il aurait existé à son encontre le moindre soupçon. On ne voit donc pas sur quelle base le ministère public aurait pu, à l’époque des faits, mettre en place une mesure de surveillance à l’encontre du recourant. Il s’ensuit que le moyen de preuve litigieux n’aurait pas pu être obtenu licitement par les autorités pénales. L’une des deux conditions cumulatives pour l’exploitabilité de la preuve n’étant pas remplie, point n’est besoin d’examiner si la réalisation de la seconde condition pouvait être admise.
La cour cantonale a violé le droit fédéral en exploitant l’enregistrement vidéo réalisé par B.________ à la charge du recourant. Le recours doit être admis sur ce point, l’arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l’autorité cantonale afin qu’elle prenne une nouvelle décision sans utiliser cet enregistrement.
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)