
Le recourant 2 reproche à la cour cantonale d’avoir notamment établi les faits sur la base d’un compte-rendu d’entretien du 9 février 2011 [recueilli dans le cadre d’une enquête interne diligentée par l’employeur]. Il se plaint, à cet égard, de violations du droit à ne pas s’incriminer, de la présomption d’innocence, du droit à un procès équitable ainsi que des art. 113, 141 et 158 CPP.
Le principe de non-incrimination (« nemo tenetur se ipsum accusare ») comprend le droit de se taire. Cette garantie est consacrée à l’art. 14 ch. 3 let. g du Pacte ONU II. Elle fait partie des normes internationales généralement reconnues qui se trouvent au coeur de la notion de procès équitable selon l’art. 6 par. 1 CEDH. D’après le principe « nemo tenetur se ipsum accusare », nul ne peut être tenu de témoigner contre lui-même dans le cadre d’une procédure pénale. Le prévenu n’est pas tenu de déposer. Il ne peut notamment être contraint à s’exprimer et son silence ne peut être considéré comme un indice de culpabilité. En revanche, le droit de se taire ne s’étend pas à l’usage, dans une procédure pénale, de preuves que l’on peut obtenir du prévenu, même en recourant à des moyens coercitifs, qui existent indépendamment de sa volonté, comme des documents recueillis lors d’une perquisition. Le principe [de non-incrimination] est concrétisé en procédure pénale à l’art. 113 al. 1 CPP, qui prévoit que le prévenu n’a pas l’obligation de déposer contre lui-même. Il a notamment le droit de refuser de déposer et de refuser de collaborer à la procédure. Il est toutefois tenu de se soumettre aux mesures de contrainte prévues par la loi.
Aux termes de l’art. 141 CPP, les preuves administrées en violation de l’art. 140 CPP [i.e. obtenues par la contrainte, la tromperie, etc.] ne sont en aucun cas exploitables. Il en va de même lorsque le CPP dispose qu’une preuve n’est pas exploitable (al. 1). Les preuves qui ont été administrées d’une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas non plus exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves (al. 2). Les preuves qui ont été administrées en violation de prescriptions d’ordre sont exploitables (al. 3). Si un moyen de preuve est recueilli grâce à une preuve non exploitable au sens de l’al. 2, il n’est pas exploitable lorsqu’il n’aurait pas pu être recueilli sans l’administration de la première preuve (al. 4). Les pièces relatives aux moyens de preuves non exploitables doivent être retirées du dossier pénal, conservées à part jusqu’à la clôture définitive de la procédure, puis détruites (al. 5).
Conformément à l’art. 158 al. 1 CPP, au début de la première audition, la police ou le ministère public informent le prévenu dans une langue qu’il comprend qu’une procédure préliminaire est ouverte contre lui et pour quelles infractions (let. a), qu’il peut refuser de collaborer (let. b), qu’il a le droit de faire appel à un défenseur ou de demander un défenseur d’office (let. c) et qu’il peut demander l’assistance d’un traducteur ou d’un interprète (let. d). Selon l’art. 158 al. 2 CPP, les auditions effectuées sans que les informations requises aient été données ne sont pas exploitables. […]
Selon le recourant 2, des déclarations recueillies dans le cadre d’une enquête interne conduite par l’employeur ne pourraient être exploitées par l’autorité pénale que si les informations énumérées à l’art. 158 al. 1 CPP lui avaient été préalablement signifiées. Contrairement à ce que suggère le recourant 2, une telle application analogique de l’art. 158 CPP n’apparaît pas comme la solution adéquate au problème qui peut se poser quant à la manière d’appréhender des éléments obtenus dans le cadre d’une enquête interne menée par l’employeur en dehors de tout cadre procédural. En effet, les règles de la procédure pénale ne pourraient jamais – en pratique – être observées par un employeur. Même si ce dernier informait son employé, avant de l’entendre, de la possibilité de se faire assister d’un défenseur ou d’un interprète, ou de refuser de collaborer, aucune communication relative aux charges pesant sur l’intéressé ne pourrait intervenir, l’employeur ne pouvant – à l’occasion d’une enquête interne – se substituer aux autorités pénales afin de décrire d’éventuelles infractions pouvant avoir été commises. Un tel mécanisme reviendrait donc à exclure toute exploitation, dans une procédure pénale, d’éléments recueillis – même licitement – à l’occasion d’une enquête interne conduite par l’employeur. Cela n’est pas souhaitable, ne serait-ce que parce que le prévenu lui-même pourrait avoir intérêt, dans certains cas, à se prévaloir de ses déclarations faites dans un tel contexte. D’ailleurs, un prévenu peut également – certes hors d’un cadre dans lequel il se trouve dans une situation de subordination découlant d’un contrat de travail – s’incriminer auprès de tiers après la commission d’une infraction et voir ses déclarations retenues à sa charge, puisque la preuve par ouï-dire ( » vom Hörensagen « ) n’est pas en tant que telle exclue en droit pénal (cf. art. 10 al. 2 CPP).
On peut ajouter, par ailleurs, que la situation de l’employé interrogé dans le cadre d’une enquête interne ne saurait être assimilée à celle du contribuable, partie à une procédure de rappel d’impôt, dont les déclarations – effectuées sous la menace d’une taxation d’office ou d’une amende – sont inexploitables en procédure pénale. En effet, si l’attitude de l’employé peut alors éventuellement produire des effets sur ses liens avec son employeur, voire affecter les rapports de travail, l’intéressé n’est pas contraint de collaborer par la menace d’une sanction étatique ni interrogé par une autorité de cette nature.
Cela dit, les autorités pénales ne doivent pas pouvoir totalement éluder les garanties légales – notamment le droit de ne pas s’incriminer – dont bénéficie le prévenu par l’utilisation, à charge de celui-ci, de propos tenus à l’occasion d’une enquête interne échappant aux règles de la procédure pénale.
Il convient donc de déterminer [en l’espèce] quelle force probante le compte-rendu en question pouvait revêtir. Ce document n’est pas signé et il ne ressort pas de l’arrêt attaqué qu’il aurait été soumis d’une quelconque manière au recourant 2 pour relecture, ni même que ce dernier aurait été informé de la tenue d’un procès-verbal à l’occasion de l’entrevue. Le document constitue donc tout au plus une déclaration écrite faisant état d’un ouï-dire, émanant de G.________ – rédacteur du compte-rendu d’entretien du 9 février 2011 selon l’arrêt attaqué -, par lequel le prénommé ne rapporte pas avoir été témoin des événements liés au flacon litigieux, mais de la communication qu’aurait faite le recourant 2 à cet égard. Il ne ressort pas de l’arrêt attaqué que G.________ aurait, pour le reste, été auditionné à propos de l’entretien du 9 février 2011. On doit donc admettre que les indications ressortant du compte-rendu d’entretien du 9 février 2011, qui n’ont jamais été confirmées par le recourant 2, non plus que par le rédacteur du document – lequel n’a pas confirmé leur teneur sous la forme d’un témoignage en bonne et due forme (cf. art. 177 CPP) -, et dont on ignore totalement comment elles ont été recueillies et consignées, ont une valeur probante extrêmement réduite, au-delà de la faible valeur intrinsèque de moyens probatoires de cette nature. En l’occurrence, celles-ci peuvent être considérées comme de simples allégations de partie, émanant de la recourante 1, puisque l’un de ses employés a rédigé le compte-rendu d’entretien litigieux.
En conséquence, il convient de rejeter l’argumentation du recourant 2 tendant à l’inexploitabilité de la pièce en question, tout en tenant compte de ce qui précède, à propos de sa force probante […].
(Arrêt du Tribunal fédéral 6B_48/2020, 6B_49/2020 du 26 mai 2020, consid. 5)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)