
Le Tribunal a considéré que le bonus était devenu une gratification à laquelle l’intimé (= l’employé) avait droit puisqu’il avait été versé durant de nombreuses années, malgré les crises financières, et que l’appelante (=l’employeuse), ayant fait preuve de manquements organisationnels, n’avait pas rendu vraisemblable la mauvaise qualité des prestations de l’intimé.
L’appelante conteste la qualification du bonus retenue par le Tribunal et soutient qu’il s’agit d’une gratification discrétionnaire, tant sur le principe que sur le montant. Elle conteste également les manquements organisationnels reprochés et fait grief au Tribunal d’avoir mal constaté les faits, l’intimé ayant notamment admis avoir fait des erreurs.
S’agissant du montant du bonus, le Tribunal s’est fondé sur celui perçu en 2018 (32’000 fr. à 90%) qu’il a réduit de 20% compte tenu de la réduction du taux d’activité de l’intimé durant l’année 2019 (70% en moyenne).
L’appelante conteste la base de calcul puisque le bonus de l’intimé avait diminué progressivement depuis 2015, que ses responsabilités étaient moindres durant les derniers mois de collaboration et que l’année 2019 était une période économique difficile.
La gratification, aux termes de l’art. 322d al. 1 CO, est une rétribution spéciale que l’employeur accorde en sus du salaire à certaines occasions, par exemple une fois par année. Le travailleur y a droit lorsqu’il en a été convenu ainsi.
Il faut distinguer (1) le salaire variable, (2) la gratification à laquelle l’employé a droit et (3) la gratification à laquelle il n’a pas droit.
On se trouve dans le cas n° 1, lorsqu’un montant est déterminé ou objectivement déterminable, c’est-à-dire qu’il a été promis par contrat dans son principe et que son montant est déterminé ou doit l’être sur la base de critères objectifs prédéterminés comme le bénéfice, le chiffre d’affaires ou une participation au résultat de l’exploitation, et qu’il ne dépend pas de l’appréciation de l’employeur. Il s’agit alors d’un élément du salaire que l’employeur est tenu de verser (art. 322 s. CO)
On se trouve dans les cas n° 2 et 3, lorsque le bonus est indéterminé ou objectivement indéterminable, c’est-à-dire que son versement dépend du bon vouloir de l’employeur et que sa quotité dépend pour l’essentiel de la marge de manœuvre de celui-ci. L’employeur se voit reconnaître un tel pouvoir d’appréciation lorsque le montant du bonus ne dépend pas seulement de l’atteinte d’un certain résultat d’exploitation, mais aussi de l’appréciation subjective de la prestation du travailleur. Le bonus doit alors être qualifié de gratification.
Il y a un droit à la gratification – cas n° 2 – lorsque, par contrat, les parties sont tombées d’accord sur le principe du versement d’un bonus et n’en ont réservé que le montant. Il s’agit d’une gratification que l’employeur est tenu de verser, mais il jouit d’une certaine liberté dans la fixation de son montant.
Il n’y a pas de droit à la gratification – cas n° 3 – lorsque, par contrat, les parties ont réservé tant le principe que le montant du bonus. Le bonus n’est pas convenu, de sorte qu’il s’agit d’une gratification facultative. Dans ce dernier cas, il faut encore examiner si le bonus revêt un caractère accessoire par rapport au salaire de base. L’application du principe de l’accessoriété peut en effet enlever toute portée à la réserve et le bonus sera dans ce cas requalifié en salaire. Ce principe ne s’applique toutefois pas aux très hauts revenus.
Il a été admis par exception que, en dépit d’une réserve (sur le principe et sur le montant), un engagement tacite [de payer le bonus] peut se déduire du paiement répété de la gratification pendant des décennies, lorsque l’employeur n’a jamais fait usage de la réserve émise, alors même qu’il aurait eu des motifs de l’invoquer, tels qu’une mauvaise marche des affaires ou de mauvaises prestations de certains collaborateurs lorsqu’il l’a versée. Il s’agit alors d’une gratification à laquelle l’employé a droit. La même conclusion s’impose lorsque la réserve du caractère facultatif n’est qu’une formule vide de sens et qu’en vertu du principe de la confiance, il y a lieu d’admettre que l’employeur montre par son comportement qu’il se sent obligé de verser un bonus.
L’employeur peut subordonner le droit à la gratification à des conditions. Ainsi est-il admissible d’exiger que le travailleur soit effectivement employé dans l’entreprise à l’échéance de la gratification, ou encore de n’allouer aucune gratification, ou une gratification réduite à l’employé qui est encore au service de l’employeur au moment de l’occasion donnant lieu à la gratification, mais dont le rapport de travail a déjà été résilié.
L’employeur peut avoir divers motifs de verser une gratification, tels que récompenser le travail accompli ou une fidélité de longue date, motiver l’employé pour l’avenir, éviter que celui-ci résilie le contrat, ou encore lui faire partager les bons résultats de l’entreprise. Dans la mesure où la gratification est destinée uniquement à récompenser l’employé pour le travail effectué, elle ne saurait être réduite ou supprimée au motif que le contrat a été résilié.
En l’espèce, les parties s’opposent sur la question de savoir si l’intimé a droit ou non à la gratification pour l’année 2019. Elles s’accordent toutefois sur la qualification du bonus en gratification, excluant ainsi l’hypothèse que celui-ci constituerait un élément du salaire.
A ce propos, il y a lieu de relever que la gratification a été versée chaque année depuis plusieurs décennies, y compris depuis que le contrat de travail de l’intimé a été repris par l’appelante en 2005, en dépit de la réserve formulée depuis 1995 lors du versement et nonobstant la crise financière dite des « subprimes » en 2008 (fait notoire). Seul le montant du bonus a varié selon les années, soit en fonction des résultats du groupe, de la banque et du collaborateur. Il apparaît ainsi que la variation des marchés – et donc des résultats du groupe et de l’appelante – n’ont pas eu d’impact significatif sur le droit à la gratification. Dans la mesure où la qualité des prestations de l’intimé n’a pas été jugée insatisfaisante pendant plus de trente ans, seule la dernière année étant litigieuse, il y a lieu de retenir qu’un accord tacite est intervenu entre les parties sur le principe du versement d’un bonus.
C’est par conséquent à juste titre que le Tribunal a retenu que le bonus versé chaque année à l’intimé constituait une gratification à laquelle l’intimé avait droit.
Dans la mesure où le versement du bonus dépendait de divers critères, soit notamment de la qualité des prestations de l’employé ou des résultats des affaires, il y a lieu d’examiner si l’appelante pouvait refuser de verser à l’intimé une gratification pour l’année 2019.
Afin de déterminer la qualité des prestations, des objectifs clairs devaient être fixés par l’appelante à l’intimé. Or, le Tribunal a retenu que tel n’avait pas été le cas. Ce constat doit être confirmé.
En effet, l’appelante a elle-même admis qu’elle n’avait pas énoncé d’objectifs pour les derniers mois d’activité de l’intimé. En outre, bien que l’intimé ait, de son côté, reconnu qu’il lui avait été indiqué qu’il devait « s’occuper des dossiers jusqu’à la dernière minute », un tel objectif n’est pas suffisamment clair et précis pour fonder une base suffisante à l’évaluation des prestations d’un employé. L’appelante ne peut pas non plus se prévaloir d’une « notoriété » de l’objectif de l’intimé. Il ne ressort ainsi d’aucun élément au dossier que des objectifs clairs aient été communiqués à l’intimé.
Même à supposer que tel ait été le cas, il apparaît que la qualité des prestations fournies par l’intimé était satisfaisante. (…)
Au vu de ce qui précède, c’est à juste titre que le Tribunal a retenu que l’appelante n’était pas parvenue à démontrer que les prestations fournies par l’intimé étaient insatisfaisantes durant la dernière année de collaboration des parties.
L’appelante soutient encore que l’exercice 2019 ne permettait pas de verser un bonus à l’intimé. Or, bien que le témoin entendu ait déclaré qu’environ 10% des employés n’avaient pas perçu de bonus cette année-là en raison du fait qu’il s’agissait d’une année difficile, rien au dossier ne permet de l’accréditer. Par ailleurs, il n’est pas allégué que tous les employés se sont vu refuser leur bonus, ce qui aurait pu justifier un refus de le verser également à l’intimé. Le fait que l’appelante ait choisi, dans l’enveloppe globale dédiée aux bonus, de l’accorder à un autre employé plutôt qu’à l’intimé ne relève que d’un choix interne et ne saurait être opposé à l’intimé puisque les prestations de ce dernier n’étaient pas insatisfaisantes et que le principe du bonus était acquis pour l’intimé.
Ainsi, l’appelante n’a démontré aucun motif de refus du versement d’une gratification pour l’année 2019, étant encore relevé que, le fait que le contrat de travail n’était plus en cours au moment du versement, ne s’opposait en principe pas audit versement et qu’une assurance dans ce sens avait été fournie à l’intimé par l’appelante par courriel du 1er juillet 2019.
Reste à déterminer le montant de la gratification due à l’intimé.
Comme précédemment relevé, il n’est pas démontré que l’exercice 2019 était « difficile » comme le prétend l’appelante. Il n’est pas non plus établi que les responsabilités de l’intimé, à savoir le transfert des dossiers aux juristes, étaient moindres que le traitement des dossiers lui-même. En revanche, il est vrai que le montant de la gratification a régulièrement diminué chaque année depuis 2015. Enfin, le motif du versement de la gratification n’est pas déterminé dans le cas d’espèce. Le fait que plusieurs critères entrent en ligne de compte (qualité des prestations et résultats de la banque et du groupe), ne permet pas de réduire le montant du bonus en raison du fait que l’intimé ne sera plus employé à l’avenir.
Il apparaît ainsi justifié de fonder le calcul de la gratification sur une somme de 28’000 fr., soit 4’000 fr. de moins que le montant alloué en 2018, montant sur lequel s’est fondé le Tribunal.
Pour le surplus, les parties ne contestent pas le calcul opéré par le premier juge pour tenir compte de la réduction du temps de travail dont a bénéficié l’intimé, de sorte qu’il peut être repris ici. Le montant du bonus 2019 sera dès lors réduit à 21’777 fr. ([28’000 fr. x 70%] / 90%).
Le taux et la date de départ des intérêts moratoires n’étant pas contestés, ils seront confirmés.
Au vu de ce qui précède, le chiffre 2 du dispositif du jugement entrepris sera annulé et l’appelante sera condamnée à verser à l’intimé la somme brute de 21’777 fr., plus intérêts à 5% l’an à compter du 18 mai 2020, à titre de bonus 2019.
(Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève CAPH/6/2022 du 03.01.2022)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)