Utilisation frauduleuse d’un ordinateur (art. 147 CP)

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L’art. 147 CP réprime, par une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire, le comportement de celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura, en utilisant des données de manière incorrecte, incomplète ou indue ou en recourant à un procédé analogue, influé sur un processus électronique ou similaire de traitement ou de transmission de données et aura, par le biais du résultat inexact ainsi obtenu, provoqué un transfert d’actifs au préjudice d’autrui ou l’aura dissimulé aussitôt après (al. 1). Si l’auteur fait métier de tels actes, la peine sera une peine privative de liberté de dix ans au plus ou une peine pécuniaire de 90 jours-amende au moins (al. 2). 

L’infraction d’utilisation frauduleuse d’un ordinateur (art. 147 CP), qui est une infraction dirigée contre le patrimoine, suppose, sur le plan objectif, une utilisation incorrecte, incomplète ou indue des données, une influence de cette utilisation sur le processus électronique ou similaire de traitement ou de transmission de données, l’obtention d’un résultat inexact, le fait que la manipulation aboutisse à un transfert d’actifs ou à sa dissimulation, un dommage patrimonial et un rapport de causalité entre tous ces éléments; sur le plan subjectif, elle implique que l’auteur ait agi intentionnellement et dans un dessein d’enrichissement illégitime.

Avec la clause générale  » (…) à un procédé analogue (…) « , le législateur voulait faire en sorte que toutes les possibilités de manipulation à venir puissent également être visées.

L’infraction réprimée par l’art. 147 CP s’apparente à l’escroquerie (art. 146 CP), dont elle se distingue toutefois en cela que l’auteur ne trompe pas un être humain pour le déterminer ainsi à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers, mais manipule une machine de manière à obtenir un résultat inexact aboutissant à un transfert d’actifs ou à sa dissimulation; autrement dit, au lieu de tromper une personne, l’auteur fausse les conditions qui déterminent la réaction de la machine.

S’il faut en plus de la manipulation d’une machine la manipulation d’une personne, l’infraction d’escroquerie prime l’utilisation frauduleuse d’un ordinateur, qui est subsidiaire.

L’auteur agit par métier lorsqu’il résulte du temps et des moyens qu’il consacre à ses agissements délictueux, de la fréquence des actes pendant une période déterminée, ainsi que des revenus envisagés ou obtenus, qu’il exerce son activité coupable à la manière d’une profession, même accessoire; il faut que l’auteur aspire à obtenir des revenus relativement réguliers représentant un apport notable au financement de son genre de vie et qu’il se soit ainsi, d’une certaine façon, installé dans la délinquance.

 La cour cantonale a relevé qu’il ressortait de la plainte de C.________ SA du 7 janvier 2019 et de ses annexes que le contrôle du risque d’accepter la demande de l’acheteur de payer par facture se faisait par voie électronique. Le premier système de contrôle (« yyy ») vérifiait notamment l’identité de l’acheteur, sa date de naissance, son domicile, et le montant des factures impayées, et consultait des bases de données externes pour vérifier l’adresse, la survenance d’impayés chez d’autres prestataires ou de fraudes. Le second système de contrôle (« zzz ») reposait sur l’évaluation de 70 facteurs liés à la commande (heure, comportement en ligne, produit acheté, montant souhaité, nombre de tentatives, âge, etc.). C.________ SA recensait en outre les tromperies qualifiées consistant à modifier l’identité pour un même acheteur, à modifier l’orthographe des adresses, à répéter les tentatives en variant le contenu ou le montant, et à redémarrer le modem pour modifier les adresses IP (numéro d’identification). 

Lors de la création des comptes clients utilisés pour effectuer les commandes litigieuses, le recourant avait utilisé de vraies identités qu’il avait très légèrement modifiées, leur avait associé de fausses adresses de messagerie électronique créées pour l’occasion, avait utilisé des adresses IP différentes et avait volontairement fait le choix de recourir aux services de C.________ SA pour le paiement, avant de faire en sorte de réceptionner la marchandise et de ne jamais en régler le prix. Le recourant, parfaitement conscient qu’il agissait sans droit dans le seul but de s’enrichir de manière illégitime, avait utilisé des données falsifiées pour frauder et se faire passer pour quelqu’un qu’il n’était pas, trompant ainsi un ordinateur en vue d’obtenir un avantage patrimonial. Les conditions objectives et subjectives de l’infraction de l’art. 147 al. 1 CP étaient réalisées.

Au vu du nombre de commandes frauduleuses, de leur fréquence et du chiffre d’affaires global de toutes les commandes incriminées qui avoisinait les 55’000 fr., la circonstance aggravante du métier (art. 147 al. 2 CP) était réalisée.

Compte tenu des faits établis sans arbitraire, la cour cantonale pouvait considérer, sans violer le droit fédéral, que le comportement du recourant était constitutif d’utilisation frauduleuse d’un ordinateur par métier (art. 147 al. 2 CP). 

En effet, le recourant a intentionnellement créé des comptes clients pour chacune des commandes effectuées sur les sites de ventes en ligne. Il a pour ce faire utilisé de vraies identités, qu’il a modifiées légèrement en changeant certaines lettres de leurs noms et prénoms, puis leur a attribué de fausses adresses de messageries électroniques, créées pour l’occasion, auxquelles il avait accès. A chaque commande, le recourant a sélectionné l’option de recourir aux services de C.________ SA, permettant de régler les achats par facture après réception des articles. En outre, il a utilisé des adresses IP différentes. Ce processus lui a permis de réceptionner ou faire réceptionner la marchandise commandée et de ne jamais en régler le prix. Grâce aux informations incorrectes données à l’ordinateur, la vraie identité du recourant demeurait non identifiable, ce qui lui permettait de continuer à faire des commandes et de ne pas les régler, sans pour autant être bloqué par le système de sécurité de C.________ SA.

A cet égard, il ressort de l’état de fait cantonal, qui lie le Tribunal fédéral, que la décision d’acceptation de la commande était prise de manière automatisée par l’ordinateur (art. 105 al. 1 LTF). Le recourant a utilisé des données falsifiées pour se faire passer pour quelqu’un qu’il n’était pas, soit une identité fictive mais avec une adresse postale réelle, trompant de la sorte l’ordinateur, en vue d’obtenir un avantage patrimonial. Le recourant, conscient qu’il agissait sans droit, a agi dans l’unique but de s’enrichir illégitimement.

Le recourant soutient, pour autant que l’on comprenne son argumentation, que la manipulation de la machine ne suffisait pas à obtenir le résultat, mais qu’il aurait encore fallu qu’une personne soit trompée. Il semble par ailleurs contester l’obtention d’un résultat inexact. 

Il est vrai que l’art. 147 CP revêt un caractère subsidiaire par rapport à l’escroquerie. Cependant, par le comportement susdécrit, le recourant a trompé la machine et cette manipulation était suffisante pour obtenir le résultat, de sorte que c’est bien l’art. 147 CP qui trouve à s’appliquer. Fût-il recevable et suffisamment motivé, le grief du recourant visant à contester toute astuce serait sans objet. 

En outre, le résultat ne correspond pas à celui qui aurait été obtenu si le processus s’était déroulé correctement. Si le recourant avait passé les commandes en son nom propre, il aurait été identifiable et aurait dû s’acquitter des factures, aux risques de s’exposer à une procédure de recouvrement et de voir ses commandes ultérieures bloquées par le système de sécurité de C.________ SA. Infondés, les griefs sont partant rejetés.

Le recourant fait valoir que manipuler les outils informatiques pour procéder aux opérations frauduleuses ne suffirait pas à s’enrichir, encore faudrait-il réceptionner la marchandise. 

En l’espèce, il y a eu un transfert d’actifs et un dommage patrimonial au sens de l’art. 147 CP. En effet, il y a déjà transfert d’actifs au préjudice d’autrui, au sens de cette disposition, lorsqu’il y a naissance d’une dette de la victime. Peu importe, dès lors, qu’une partie de la marchandise ait été retournée à l’expéditeur. Au surplus, c’est d’une manière purement appellatoire, et partant irrecevable, que le recourant affirme que rien ne démontrait qu’il se serait enrichi. Le grief est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité. 

 Le recourant semble soutenir que, dans la mesure où les systèmes de contrôles « yyy » et « zzz » n’auraient pas identifié de manipulations frauduleuses lors des commandes litigieuses, il ne saurait être question d’utilisation frauduleuse d’un ordinateur. 

Cet argument est inopérant, dans la mesure où le recourant a volontairement contourné le système de sécurité mis en place par C.________ SA en créant invariablement de nouvelles identités et adresses électroniques fictives, en recourant à diverses adresses postales, ainsi qu’en changeant d’adresses IP. Au surplus, lorsqu’il affirme qu’il ne pouvait pas connaître toutes les dates de naissance des « vraies personnes » concernées par les commandes, le recourant se base sur des faits qui ne ressortent pas de l’état de fait cantonal. Ils sont irrecevables. Partant, le grief est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

 Le recourant conteste l’aggravante du métier non sur la base des faits retenus, dont il n’a pas démontré l’arbitraire, mais sur la base de faits qu’il invoque librement. Il n’articule aucun grief tiré de l’application erronée du droit matériel. Cette manière de procéder est irrecevable. 

En tout état, sur la base des constatations dénuées d’arbitraire, la réalisation de l’aggravante du métier ne prête pas le flanc à la critique, compte tenu du nombre de commandes effectuées et de leur fréquence, soit au total plus de vingt commandes entre octobre 2017 et décembre 2019, certaines étant effectuées le même mois, voire à quelques jours d’intervalle. Le gain ainsi recherché était considérable, le montant total des commandes s’élevant à près de 55’000 francs. Même si le recourant n’a pas réceptionné l’entier de la marchandise commandée, quelques objets ayant été retournés à l’expéditeur par les parties plaignantes, on doit admettre, au vu des éléments susmentionnés, que le recourant s’est comporté comme un professionnel. 

(Arrêt du Tribunal fédéral  6B_683/2021 du 30 mars 2022  consid. 5)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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