Commandement de payer, contrainte (art. 181 CP)

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Se rend coupable de contrainte au sens de l’art. 181 CP, celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux, ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte

L’art. 181 CP protège la liberté d’action et de décision. La contrainte est une infraction de résultat. Pour qu’elle soit consommée, il faut que la victime, sous l’effet de moyens de contrainte illicites, commence à modifier son comportement, subissant ainsi l’influence voulue par l’auteur. Lorsque la victime ne se laisse pas intimider et n’adopte pas le comportement voulu par l’auteur, ce dernier est punissable de tentative de contrainte (art. 22 al. 1 CP). Pour qu’il y ait tentative de contrainte, il faut que l’auteur ait agi avec conscience et volonté, soit au moins qu’il ait accepté l’éventualité que le procédé illicite employé entrave le destinataire dans sa liberté de décision.

Alors que la violence consiste dans l’emploi d’une force physique d’une certaine intensité à l’encontre de la victime, la menace est un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l’auteur, sans toutefois qu’il soit nécessaire que cette dépendance soit effective ni que l’auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace. La loi exige un dommage sérieux, c’est-à-dire que la perspective de l’inconvénient présenté comme dépendant de la volonté de l’auteur soit propre à entraver le destinataire dans sa liberté de décision ou d’action. La question doit être tranchée en fonction de critères objectifs, en se plaçant du point de vue d’une personne de sensibilité moyenne.

Il peut également y avoir contrainte lorsque l’auteur entrave sa victime  » de quelque autre manière « . Cette formule générale doit être interprétée de manière restrictive. N’importe quelle pression de peu d’importance ne suffit pas. Il faut que le moyen de contrainte utilisé soit, comme pour la violence ou la menace d’un dommage sérieux, propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l’entraver d’une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d’action. Il s’agit donc de moyens de contrainte qui, par leur intensité et leur effet, sont analogues à ceux qui sont cités expressément par la loi.

La contrainte est illicite lorsque le moyen ou le but est contraire au droit ou encore lorsque le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu’un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux mœurs.

Pour une personne de sensibilité moyenne, faire l’objet d’un commandement de payer d’une importante somme d’argent est, à l’instar d’une plainte pénale, une source de tourments et de poids psychologique, en raison des inconvénients découlant de la procédure de poursuite elle-même et de la perspective de devoir peut-être payer le montant en question. Un tel commandement de payer est ainsi propre à inciter une personne de sensibilité moyenne à céder à la pression subie, donc à l’entraver d’une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d’action (arrêts 6B_1082/2021 consid. 2.1; 6B_1100/2018 du 17 décembre 2018 consid. 3.3). Certes, faire notifier un commandement de payer lorsqu’on est fondé à réclamer une somme est licite. En revanche, utiliser un tel procédé comme moyen de pression est clairement abusif, donc illicite (cf. ATF 115 III 18 consid. 3, 81 consid. 3b; arrêt 6B_1082/2021 précité consid. 2.1).

Sur le plan subjectif, il faut que l’auteur ait agi intentionnellement, c’est-à-dire qu’il ait voulu contraindre la victime à adopter le comportement visé en étant conscient de l’illicéité de son comportement; le dol éventuel suffit.

Aux termes de l’art. 22 al. 1 CP, le juge peut atténuer la peine si l’exécution d’un crime ou d’un délit n’est pas poursuivie jusqu’à son terme ou que le résultat nécessaire à la consommation de l’infraction ne se produit pas ou ne pouvait pas se produire.

La cour cantonale a retenu que le recourant savait parfaitement qu’il n’avait pas une créance de 300’000 fr. envers l’intimé lorsqu’il lui a fait notifier le 12 juillet 2019 un commandement de payer pour cette somme, lequel avait été précédé de deux courriels annonciateurs par lesquels le recourant exigeait l’abandon de la poursuite introduite par l’intimé contre lui pour un montant de 3’147 fr. 85, faute de quoi il lui ferait notifier un commandement de payer. Le recourant avait donc fait notifier à l’intimé un commandement de payer en réaction à la poursuite que celui-ci avait engagée contre lui et dans le seul but que celui-ci renonce à sa propre créance. Le commandement de payer notifié par le recourant à l’intimé constituait pour ce dernier une source de tourments et avait représenté pour lui un poids psychologique important, de sorte qu’il était de nature à l’inciter à céder à la pression et à renoncer à sa créance. L’intimé avait d’ailleurs cédé à la pression subie puisqu’il avait déclaré ne pas avoir recouvré le montant réclamé et attendre le terme de la procédure pénale pour faire valoir ses prétentions devant le juge civil. Ainsi, la cour cantonale a retenu que le comportement du recourant par lequel il avait fait notifier un commandement de payer d’un montant de 300’000 fr. pour des motifs totalement infondés –  » dommages à l’image et au crédit  » – était clairement illicite et abusif en tant qu’il constituait un moyen de pression et d’intimidation du recourant qui voulait obliger l’intimé, par son acte, à ne pas donner suite au commandement de payer que ce dernier lui avait fait notifier pour un montant de 3’147 fr. 85. Dès lors que l’intimé s’était laissé intimider et avait abandonné les poursuites contre le recourant, le résultat escompté s’était produit et l’infraction de contrainte au sens de l’art. 181 CP avait été consommée. 

 Le recourant ne nie pas avoir fait usage d’un moyen de pression abusif en notifiant à l’intimé un commandement de payer de 300’000 fr. dans le but de l’inciter à renoncer à sa propre créance. Il conteste toutefois la réalisation du résultat de l’infraction de contrainte. Selon lui, seule une tentative de contrainte peut être retenue à son encontre (art. 181 cum 22 CP). 

 Le recourant fait [en effet] valoir que l’infraction de contrainte n’a pas été consommée, puisque l’intimé ne s’est pas laissé intimider et n’a pas cédé à la pression exercée par le commandement de payer qu’il lui a fait notifier pour un montant de 300’000 francs. A cet égard, il relève que l’intimé a formé opposition au commandement de payer précité, l’a invité le 3 juillet 2020 à signer une renonciation à invoquer la prescription en lien avec sa créance de 3’147 fr. 85 et a déclaré, lors de l’audience de première instance, puis en appel, attendre le terme de la procédure pénale pour faire valoir ses prétentions devant le juge civil. Selon le recourant, ces éléments démontrent que l’intimé n’a pas renoncé à poursuivre la procédure de poursuite qu’il avait intentée contre lui pour obtenir le paiement de sa créance et que, par conséquent, le résultat de l’infraction ne s’est pas produit. 

En l’espèce, la question pertinente pour déterminer si le résultat de l’infraction de contrainte au sens de l’art. 181 CP s’est produit, est celle de savoir si le commandement de payer de 300’000 fr. notifié par le recourant a entrainé la modification du comportement de l’intimé dans le sens voulu par le recourant. Suivant cette approche, il ressort des faits établis par la cour cantonale que le recourant voulait, par la notification d’un commandement de payer infondé d’un montant de 300’000 fr., obliger l’intimé à ne pas donner suite au commandement de payer que ce dernier lui avait fait notifier pour un montant de 3’147 fr. 85. La cour cantonale est parvenue à la conclusion que l’intimé avait renoncé à poursuivre le recouvrement de la créance qu’il faisait initialement valoir contre le recourant. Cette appréciation ne prête pas le flanc à la critique.

Il ressort en effet des faits établis par la cour cantonale que l’intimé n’a pas réagi à l’opposition formée par le recourant au commandement de payer qu’il lui a fait notifier pour un montant de 3’147 fr. 85, puisqu’il n’a pas requis la mainlevée de cette opposition et a déclaré attendre l’issue de la procédure pénale pour faire valoir ses prétentions devant le juge civil. L’intimé a ainsi modifié son comportement, en subissant l’influence du recourant, dans ce sens qu’il n’a pas donné la suite qu’il envisageait à la poursuite qu’il avait introduite contre le recourant. Le résultat recherché par le recourant s’est ainsi produit, à savoir que l’intimé a mis un terme à la procédure de poursuite qu’il avait engagée et abandonné le recouvrement de sa créance. Cette constatation est suffisante pour admettre que l’intimé a adopté le comportement voulu par le recourant en se laissant intimider par le moyen de pression abusif employé par celui-ci et que, partant, le résultat de la contrainte au sens de l’art. 181 CP s’est produit. Ainsi, l’argument du recourant, selon lequel l’intimé n’aurait pas cédé à la pression, dès lors que ce dernier n’a pas retiré sa poursuite après s’être fait notifier le commandement de payer litigieux, tombe à faux.

En outre, le fait que l’intimé ait invité, début juillet 2020, le recourant à renoncer à invoquer la prescription de sa créance afin de sauvegarder ses droits, dont la péremption approchait en raison du comportement répréhensible du recourant, ne change rien au fait qu’après s’être fait notifier le commandement de payer de 300’000 fr., l’intimé a modifié son comportement en renonçant à poursuivre le recouvrement de sa créance par la voie de l’exécution forcée.

Enfin, le fait que l’intimé ait formé opposition au commandement de payer litigieux n’a pas d’incidence sur la survenance du résultat de l’infraction et ne permet pas de remettre en cause l’appréciation de la cour cantonale qui a examiné, à juste titre, les conséquences de l’acte reproché au recourant sur la continuation de la procédure de poursuites introduite par l’intimé. On ne décèle en effet pas de rapport entre l’opposition formée par l’intimé au commandement de payer litigieux et la renonciation de ce dernier à poursuivre la procédure de poursuite qu’il avait engagée en vue du paiement de sa propre créance.

Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu d’admettre que l’exécution de l’infraction ne serait restée qu’au stade de la tentative. Le grief du recourant est donc rejeté.

(Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1116/2021 du 22 juin 2022)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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