Bail à loyer, formule officielle et faux dans les titres

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Le recourant invoque ensuite une violation l’art. 251 CP. Il conteste en particulier que les formules officielles et les contrats de bail puissent être considérés comme des titres au sens de cette disposition.

Selon l’art. 251 ch. 1 CP, se rend coupable de faux dans les titres celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre. 

Sont des titres tous les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique et tous les signes destinés à prouver un tel fait (art. 110 al. 4 CP).

 L’art. 251 ch. 1 CP vise non seulement un titre faux ou la falsification d’un titre (faux matériel), mais aussi un titre mensonger (faux intellectuel). Il y a faux matériel lorsque l’auteur réel du document ne correspond pas à l’auteur apparent, alors que le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité. Un simple mensonge écrit ne constitue cependant pas un faux intellectuel. Le document doit revêtir une crédibilité accrue et son destinataire pouvoir s’y fier raisonnablement. Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration. Il peut s’agir, par exemple, d’un devoir de vérification qui incombe à l’auteur du document ou de l’existence de dispositions légales qui définissent le contenu du document en question. En revanche, le simple fait que l’expérience montre que certains écrits jouissent d’une crédibilité particulière ne suffit pas, même si dans la pratique des affaires il est admis que l’on se fie à de tels documents. Le caractère de titre d’un écrit est relatif. Par certains aspects, il peut avoir ce caractère, par d’autres non. La destination et l’aptitude à prouver un fait précis d’un document peuvent résulter directement de la loi, des usages commerciaux ou du sens et de la nature dudit document. 

 Une garantie spéciale de véracité peut notamment résulter du fait que la loi prescrit de façon précise l’établissement du titre, son contenu, et la méthode qu’il faut suivre pour l’établir. Ainsi, de jurisprudence constante, la comptabilité commerciale et ses éléments (pièces justificatives, livres, extraits de compte, bilans ou comptes de résultat) sont, en vertu de la loi (cf. en particulier art. 957 ss CO), propres et destinés à prouver des faits ayant une portée juridique. Ils ont en ce sens une valeur probante accrue (ATF 141 IV 369 consid. 7.1; ATF 138 IV 130 consid. 2.2.1; ATF 132 IV 12 consid. 8.1; ATF 129 IV 130 consid. 2.2 et 2.3). De tels documents dont le contenu est faux doivent dès lors être qualifiés de faux intellectuels (ATF 146 IV 258 consid. 1.1.1). 

Il est également admis qu’un formulaire A, dont le contenu est inexact quant à la personne de l’ayant droit économique, constitue un faux dans les titres au sens de l’art. 251 CP (cf. arrêts 6B_261/2020 du 10 juin 2020 consid. 4.2; 6B_383/2019 du 8 novembre 2019 consid. 8.3.3.2 non publié aux ATF 145 IV 470; 6B_891/2018 du 31 octobre 2018 consid. 3.3.1 et les références citées; 6S.293/2005 du 24 février 2006 consid. 8, in SJ 2006 I 309; cf. ATF 139 II 404 consid. 9.9.2). Cela découle du fait que la loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBA; RS 955.0) impose à l’intermédiaire financier, notamment aux banques, une identification de l’ayant droit économique dans certaines circonstances, si le cocontractant n’est pas l’ayant droit économique ou qu’il y a un doute à ce sujet, si le cocontractant est une société de domicile ou une personne morale exerçant une activité opérationnelle ou si une opération de caisse d’une somme importante au sens de l’art. 3 al. 2 LBA est effectuée (art. 4 al. 2 LBA).

Par le passé, le Tribunal fédéral a aussi notamment admis l’existence d’un faux intellectuel dans le cas d’un grossiste qui avait importé de la viande d’antilope africaine qu’il avait désignée comme étant de la viande de gibier européen, la législation en matière de commercialisation de denrées alimentaires lui imposant de donner des indications exactes, notamment pour empêcher de tromper le consommateur (cf. art. 54 de l’ancienne loi fédérale sur le commerce des denrées alimentaires [LCDA]; ATF 119 IV 289 consid. 4c). Il a également été reconnu que le rapport de révision bancaire avait une valeur probante accrue notamment en raison du fait que la législation fédérale sur les banques en prescrivait alors l’existence et le contenu (cf. art. 21 aLB et 43 ss aOB; ATF 126 IV 65 consid. 3b).

 Selon une jurisprudence bien établie, un contrat dont le contenu est faux ne constitue en revanche pas un titre car il ne bénéficie pas de la crédibilité accrue nécessaire. En effet, un tel contrat prouve que deux personnes ont fait, de manière concordante, une déclaration de volonté déterminée, mais n’établit pas que les deux manifestations de volonté concordantes correspondent à la volonté réelle des stipulants. Il ne prouve ni l’absence de vice de la volonté ni l’inexistence d’une simulation. Ce n’est que s’il existe des garanties spéciales de ce que les déclarations concordantes des parties correspondent à leur volonté réelle, qu’un contrat en la forme écrite simple peut être qualifié de faux intellectuel (ATF 146 IV 258 consid. 1.1.1; ATF 123 IV 61 consid. 5c/cc; ATF 120 IV 25 consid. 3f; arrêt 6B_472/2011 du 14 mai 2012 consid. 14.2). 

 Sur le plan subjectif, le faux dans les titres est une infraction intentionnelle. L’intention doit porter sur tous les éléments constitutifs de l’infraction, le dol éventuel étant suffisant. Ainsi, l’auteur doit être conscient que le document est un titre. Il doit savoir que le contenu ne correspond pas à la vérité. Enfin, il doit avoir voulu (faire) utiliser le titre en le faisant passer pour véridique, ce qui présuppose l’intention de tromper. Par ailleurs, l’art. 251 CP exige un dessein spécial, à savoir que l’auteur agisse afin de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite.

 Il est constant à ce stade que les documents incriminés [formules officielles, baux] contenaient des indications mensongères communiquées par le recourant à la régie, ayant trait, pour les formules officielles de notification du loyer initial, aux montants des loyers payés par les anciens locataires et, pour les contrats de bail, à l’identité de ces anciens locataires. Il est tout aussi constant que l’auteur réel des documents litigieux correspondait à leur auteur apparent, soit en l’occurrence à la bailleresse, représentée par la régie. 

Cela étant, pour déterminer si ces documents consacrent des faux intellectuels tombant sous le coup de l’art. 251 CP, il faut encore examiner si ceux-là revêtent la qualité de titres au sens des développements qui précèdent. 

 Pour sa part, au terme de son examen, la cour cantonale a conclu que tel était le cas, tant pour ce qui était des formules officielles que des contrats de bail. 

En cas de pénurie de logements, les cantons peuvent rendre obligatoire pour les baux d’habitations, sur tout ou partie de leur territoire, l’usage de la formule officielle mentionnée à l’art. 269d CO, lors de la conclusion de tout nouveau bail (art. 270 al. 2 CO). 

L’usage de la formule officielle poursuit dans ce contexte un objectif de protection du locataire. Elle a ainsi pour but, d’une part, d’informer le locataire de sa possibilité de saisir l’autorité de conciliation afin de contester le montant du loyer en lui fournissant toutes les indications utiles et, d’autre part, à empêcher les hausses abusives de loyer lors d’un changement de locataire, de sorte que l’indication du loyer versé par le précédent locataire doit y figurer.

 Il n’est pas contesté qu’au moment des faits, en application de l’art. 270 al. 2 CO, le canton de Vaud avait rendu obligatoire l’usage de la formule officielle sur son territoire, à tout le moins s’agissant des communes de Lausanne et de Morges (cf. art. 1 al. 1 et 3 al. 1 de la loi cantonale sur l’utilisation d’une formule officielle au changement de locataire [LFOCL; RS/VD 221.315]). 

L’art. 2 LFOCL précise que la formule est agréée par le canton et doit contenir la mention du montant du loyer et des frais accessoires dus par le précédent locataire, de la date de leur entrée en vigueur, du montant du nouveau loyer et des nouveaux frais accessoires, des motifs précis de la hausse éventuelle, du droit de contestation du locataire au sens de l’art. 270 al. 1 CO ainsi que du délai de contestation et de l’adresse des commissions de conciliation en matière de baux à loyer. Ces indications correspondent pour l’essentiel à celles énumérées par l’art. 19 al. 1 OBLF.

 Au regard des caractéristiques de la formule officielle, dont le caractère obligatoire et le contenu sont en l’occurrence strictement définis par la législation, il apparaît indéniable que ce document se voit conférer une valeur probante accrue, le locataire destinataire devant ainsi pouvoir raisonnablement s’y fier au moment d’envisager une contestation du loyer initial, sans avoir à cet égard à vérifier l’exactitude des informations données par le bailleur quant au montant du loyer précédemment payé par l’ancien locataire

Il faut de surcroît prendre en considération que, selon la jurisprudence, la notification viciée du loyer initial par le bailleur entraîne en principe la nullité partielle du bail en tant qu’il porte sur le montant du loyer. C’est à cet égard en vain que le recourant soutient que le bailleur n’a  » aucune obligation particulière de vérité  » envers le locataire.

Cela étant, au regard des circonstances décrites ci-avant, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en considérant que les formules officielles prévues par la législation en matière de droit du bail constituaient des titres au sens des 110 ch. 4 et 251 CP.

 Enfin, sur le plan subjectif, il apparaît qu’en cherchant à éviter aux bailleresses des procédures en contestation du loyer initial et à ainsi leur permettre, par l’emploi de formules officielles fausses quant à leur contenu, d’augmenter le rendement des immeubles, le recourant a bien agi dans le but de leur procurer un avantage illicite. 

La condamnation du recourant pour faux dans les titres doit dans cette mesure être confirmée.

Une distinction doit cependant être opérée en tant que la condamnation du recourant porte également sur la confection de faux contrats de bail

En effet, dans la mesure où il était uniquement reproché au recourant d’y avoir fait reporter des noms fictifs de précédents locataires, et non précisément les montants des loyers payés par ces derniers, il n’est pas démontré que le droit fédéral, voire le droit cantonal ou une quelconque disposition réglementaire ou contractuelle, exigeait la mention, sur le contrat de bail, de l’identité de l’ancien locataire. Dans ce contexte, on ne saurait considérer que le bailleur était tenu de garantir au locataire la véracité des informations données à cet égard. On ne voit pas non plus d’emblée qu’en l’espèce, l’indication fausse, par les bailleresses, du nom des précédents locataires a pu contribuer à vicier la volonté des nouveaux locataires de conclure le bail.

 Sur ce point, la condamnation du recourant pour faux dans les titres est donc contraire au droit fédéral. 

Il se justifie en conséquence d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il porte sur la condamnation du recourant en lien avec la confection de faux contrats de bail.

(Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1270/2021 du 2 juin 2022 destiné à la publication ; résumé par  Hadrien Monod, Faux dans les titres : la formule officielle en matière de bail à loyer est un titre au sens de l’art. 110 al. 4 CP, in : https://www.crimen.ch/119/ du 5 juillet 2022)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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