Le contrat de travail du combattant

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La Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève se penche sur la qualification des rapports entre un sportif de haut niveau (sports de combat) et son club, pour en retenir qu’il y a bien un contrat de travail dans le cas d’espèce ; extraits :

La qualification juridique d’un contrat se base sur le contenu de celui-ci.

Dans une première étape, il s’agit de déterminer le contenu du contrat en recherchant la réelle et commune intention des parties (art. 18 al. 1 CO). Si une telle intention ne peut être constatée, le contenu du contrat doit être interprété selon le principe de la confiance.

Le juge doit tout d’abord s’efforcer de déterminer la commune et réelle intention des parties, sans s’arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO). Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté – écrites ou orales –, mais aussi le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté des parties, qu’il s’agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat, des projets de contrat, de la correspondance échangée ou encore de l’attitude des parties après la conclusion du contrat, établissant quelles étaient à l’époque les conceptions des contractants eux-mêmes.

Ce n’est que si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties – parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes – ou s’il constate qu’une partie n’a pas compris la volonté exprimée par l’autre à l’époque de la conclusion du contrat – ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu’elle l’affirme en procédure, mais doit résulter de l’administration des preuves –, qu’il doit recourir à l’interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d’après les règles de la bonne foi, chacune d’elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l’autre. Il s’agit d’une interprétation selon le principe de la confiance. D’après ce principe, la volonté interne de s’engager du déclarant n’est pas seule déterminante; une obligation à sa charge peut découler de son comportement, dont l’autre partie pouvait, de bonne foi, déduire une volonté de s’engager. Le principe de la confiance permet ainsi d’imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime.

Ces règles d’interprétation s’appliquent également aux contrats conclus par actes concluants.

Une fois le contenu du contrat déterminé, il s’agit, dans une seconde étape et sur cette base, de catégoriser juridiquement la convention [i.e. qualifier le contrat]. La qualification juridique d’un contrat étant une question de droit, le juge détermine d’office les règles légales applicables à la convention des parties. Il n’est lié ni par la qualification effectuée par les parties ni par les expressions ou dénominations inexactes dont les parties ont pu se servir soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO).

Par le contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni (art. 319 al. 1 CO). Les éléments caractéristiques de ce contrat sont une prestation de travail, un rapport de subordination, un élément de durée et une rémunération.

Le contrat de travail se distingue avant tout des autres contrats de prestation de services, en particulier du mandat, par l’existence d’un lien de subordination, qui place le travailleur dans la dépendance de l’employeur sous l’angle personnel, organisationnel et temporel ainsi que, dans une certaine mesure, économique. Le travailleur est assujetti à la surveillance, aux ordres et instructions de l’employeur; il est intégré dans l’organisation de travail d’autrui et y reçoit une place déterminée. En principe, des instructions qui ne se limitent pas à de simples directives générales sur la manière d’exécuter la tâche, mais qui influent sur l’objet et l’organisation du travail et instaurent un droit de contrôle de l’ayant droit, révèlent l’existence d’un contrat de travail plutôt que d’un mandat.

L’existence d’un contrat de travail n’implique toutefois pas obligatoirement que l’employeur donne des instructions au travailleur. Tel est notamment le cas lorsque l’activité de ce dernier nécessite des connaissances spécifiques, dont l’employeur ne dispose pas. Le critère de la subordination doit également être relativisé en ce qui concerne les personnes exerçant des professions typiquement libérales ou ayant des fonctions dirigeantes. Comme l’indépendance de l’employé est beaucoup plus grande, la subordination est alors essentiellement organisationnelle. Dans un tel cas, plaident notamment en faveur du contrat de travail la rémunération fixe ou périodique, la mise à disposition d’une place de travail et des outils de travail, ainsi que la prise en charge par l’employeur du risque de l’entreprise. Le travailleur renonce à participer au marché comme entrepreneur assumant le risque économique et abandonne à un tiers l’exploitation de sa prestation, en contrepartie d’un revenu assuré (arrêt du Tribunal fédéral 4A_368/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.1.2.1).

Les critères formels, tels l’intitulé du contrat, les déclarations des parties ou les déductions aux assurances sociales, ne sont pas déterminants. Il faut bien plutôt tenir compte de critères matériels relatifs à la manière dont la prestation de travail est effectivement exécutée, tels le degré de liberté dans l’organisation du travail et du temps, l’existence ou non d’une obligation de rendre compte de l’activité et/ou de suivre les instructions, ou encore l’identification de la partie qui supporte le risque économique. Constituent ainsi des éléments typiques du contrat de travail le remboursement des frais encourus par le travailleur et le fait que l’employeur supporte le risque économique et que le travailleur abandonne à un tiers l’exploitation de sa prestation, en contrepartie d’un revenu assuré (arrêt du Tribunal fédéral 4A_53/2021, consid. 5.1.3.2). Le fait que le contrat soit désigné comme contrat de travail ou que les parties se qualifient mutuellement d’employeur et d’employé peut toutefois, selon les circonstances, indiquer que la qualification choisie par les parties correspond à leur volonté, avec toutes les conséquences que cela implique (arrêt du Tribunal fédéral 4A_64/2020, consid. 6.4 in fine).

La dépendance économique du travailleur est également un aspect typique du contrat de travail. Est déterminant le fait que, dans le contexte de la prestation que le travailleur doit exécuter, d’autres sources de revenus sont exclues et qu’il ne puisse pas, par ses décisions entrepreneuriales, influer sur son revenu. Un indice pour une telle dépendance réside dans le fait qu’une personne travaille pour une seule société. Cet indice est renforcé lorsque les parties conviennent d’une interdiction d’exercer toute activité économique similaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_53/2021, consid. 5.1.3.2).

Seul l’examen de l’ensemble des circonstances du cas concret permet de déterminer si l’activité en cause est exercée de manière dépendante ou indépendante.

En l’occurrence, quand bien même les critères formels ne sont en principe pas déterminants, il résulte du dossier que l’appelante (= l’employeuse) a adressé à l’intimé (= le travailleur, i.e. le sportif), en date du 30 juin 2017, un document intitulé « contrat de travail », prévoyant notamment le versement d’un « salaire » annuel de 48’000 fr. « bruts » payé en douze mensualités ainsi que la mise à disposition d’un logement à « l’employé ». L’appelante étant administrée par C______, homme d’affaires contrôlant, à teneur du jugement entrepris, un groupe de sociétés occupant près de 1’000 personnes, elle ne pouvait ignorer – nonobstant ses dénégations sur ce point – le sens et les conséquences de cette qualification.

Bien que ce contrat n’ait pas été signé et que les différentes versions adressées par l’appelante à l’intimée aient été qualifiées de non définitives – les parties devant encore régler la problématique de la libération des engagements souscrits par l’intimé envers K______, M______ LTD et O______ –, il appert également que l’intimé s’est établi à Genève au début du mois d’octobre 2017 et qu’il a entamé dès cette date ses entraînements à G______, l’appelante lui versant pour sa part le salaire convenu de 4’000 fr. par mois, cotisations sociales déduites.

L’appelante a en outre publié, à cette occasion, un communiqué de presse annonçant l’arrivée de l’intimé au sein de sa structure et indiquant que celui-ci bénéficiait d’une prise en charge « globale [ ] au niveau sportif [ ] comme au niveau de sa rémunération, [étant] salarié en tant que combattant professionnel [ ] ». Bien qu’un tel rapport contractuel puisse, comme le relève l’appelante, paraître atypique dans le milieu des sports de combat, le communiqué de presse susmentionné ne comporte aucune ambigüité sur la nature des intentions de la précitée, consistant à offrir à l’intimé un cadre d’entraînement et des revenus réguliers dans le cadre d’une relation de travail. L’appelante a par la suite continué d’employer cette qualification juridique dans le cadre de ses rapports contractuels avec l’intimé, affirmant que le fait de l’avoir engagé comme salarié avait fait baisser sa motivation, et mettant fin au contrat par une lettre de « résiliation de votre rapport de travail ».

Pris ensemble, ces divers éléments tendent à indiquer que la qualification de contrat de travail choisie par les parties correspondait à leur volonté, avec toutes les conséquences que cela implique.

S’agissant plus précisément des critères matériels d’examen de la qualification, l’appelante ne saurait davantage être suivie lorsqu’elle affirme qu’il n’existait aucun lien de subordination entre elle-même et l’intimé. A teneur du dossier, ce dernier effectuait ses entraînements à G______ et y consacrait l’intégralité de son temps. Son encadrement personnel et matériel était pris en charge par l’appelante, laquelle s’acquittait également des frais de déplacement de l’intimé et de ceux des entraîneurs et partenaires d’entraînement auxquels il faisait appel pour sa préparation. A cet égard, le fait que l’appelante ait souhaité tenir compte des frais engagés par ses soins dans le calcul de la rémunération variable de l’intimé prévue par le projet de contrat mixte du 13 décembre 2017 n’enlève rien au fait que c’est elle qui supportait le risque économique de l’entreprise.

Bien qu’il ait lui-même organisé son planning et défini ses besoins en termes d’encadrement – chose parfaitement admissible dans la mesure où il bénéficiait en la matière de qualifications supérieures à celle de l’appelante qui était novice dans le domaine des arts martiaux –, l’intimé n’était en outre pas libre de s’organiser selon son bon vouloir. Il devait notamment attendre la validation de l’appelante pour pouvoir faire appel à des aides externes.

Il s’ensuit que l’intimé se trouvait bel et bien dans un rapport de subordination sur le plan organisationnel avec l’appelante. Il devait en principe en aller de même sur le plan économique, dès lors que l’appelante entendait que l’intimé lui rétrocède, à terme, les revenus du sponsoring ainsi que ses primes de match en contrepartie du salaire qu’elle lui garantissait.

Bien que l’appelante ne soulève pas expressément ce point devant la Cour, il est pour le surplus dénué de pertinence que les parties n’aient ni signé l’un des projets de contrat de travail remis à l’intimé, ni formalisé leurs engagements au moyen d’un autre document. Les parties ayant chacune exécuté leurs obligations durant une période de neuf mois, il est indéniable qu’elles ont, ce faisant, renoncé par actes concluants à la forme écrite qu’elles avaient réservée.

Au vu de ce qui précède, c’est à bon droit que le Tribunal a qualifié la relation contractuelle entretenue par les parties entre les mois d’octobre 2017 et de juin 2018 de contrat de travail et non de mandat ou de rapport sui generis, étant à cet égard relevé que l’appelante n’expose pas dans ses écritures les raisons pour lesquelles une telle qualification aurait dû l’emporter.

(Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève CAPH/148/2022 du 13.09.2022)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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