J’ai présenté ici un arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève CAPH/158/2022 du 23.09.2022, qui retenait en substance qu’un employé licencié avec effet immédiat subissait un « dommage LPP » équivalent aux cotisations patronales non versées à l’institution de prévoyance jusqu’au terme du délai de congé, le licenciement avec effet immédiat mettant en effet un terme au rapport de prévoyance selon l’art. 10 al. 2 let. b LPP (https://droitdutravailensuisse.com/2022/10/26/licenciement-immediat-et-dommage-lpp/). L’employeur était dès lors condamné à verser un montant équivalent à ces cotisations patronales directement en mains de l’employé.

La Cour semblait ici reprendre l’argument, notamment développé par Giuseppe Donatiello, selon lequel « (…) l’employé peut ainsi envisager de corriger son avoir vieillesse de la prévoyance professionnelle aux frais de son ancien employeur en remployant la somme reçue auprès d’une nouvelle institution de prévoyance » (CR CO – DONATIELLO, art. 337c CO N 10 et doctrine citée).
La Cour de justice présentait cette solution comme conforme à la doctrine majoritaire, à certaines jurisprudences cantonales et comme étant « explicitement » admise par le Tribunal fédéral dans un arrêt 4A_458/2018 du 29 janvier 2020 ; le Tribunal fédéral s’étant toutefois dispensé d’examiner l’application de l’art. 337c al. 1 CO, dès lors que le recourant « (…) n’avait pas chiffré ce dommage » (consid. 3.3.4).
Or ce n’est pas ce que semble dire le Tribunal fédéral dans son arrêt 4A_458/2018, consid. 6.3 :
6.2. Le recourant prétend en outre à une indemnisation pour «le dommage LPP causé par la fin abrupte du contrat».
6.2.1. Selon la jurisprudence qui s’appuie sur l’art. 10 al. 2 let. b LPP, la résiliation immédiate, même injustifiée, du contrat de travail met fin au rapport de prévoyance professionnelle obligatoire. Alors que l’indemnité de l’art. 337c al. 1 CO comprend en principe les cotisations aux assurances sociales, elle ne saurait inclure la cotisation LPP, s’agissant d’une période où le rapport de prévoyance n’existe plus (…). La doctrine en déduit que le congé immédiat injustifié cause un dommage à l’évolution de l’avoir vieillesse LPP du travailleur, qui disposera d’une prestation de libre passage inférieure à celle qu’il aurait obtenue si les rapports avaient pris fin à l’échéance ordinaire.
D’aucuns préconisent de revoir la jurisprudence et d’admettre une prolongation du rapport de prévoyance jusqu’à l’échéance ordinaire (…). A défaut, il y aurait matière à indemnisation selon l’art. 337c al. 1 CO (….). Le travailleur pourrait ainsi réclamer le dommage correspondant à la part patronale des cotisations épargne que l’employeur aurait payée (prévoyance obligatoire et surobligatoire) jusqu’à l’échéance ordinaire, soit l’équivalent de la contribution de l’employeur à la prestation de libre passage, sous déduction de ce qui serait versé par un nouvel employeur pour la période correspondante en cas de prise de nouvel emploi (….). Un des auteurs cités concède que l’art. 337c al. 1 CO ne permet pas nécessairement d’appréhender ce type de dommage (….).
6.2.2. Le recourant ne critique pas la jurisprudence précitée et ne se prévaut pas de la thèse selon laquelle le rapport de prévoyance devrait être prolongé jusqu’à l’échéance ordinaire. Se plaçant sur le terrain de l’art. 337c al. 1 CO, il réclame le paiement en ses mains de la part «employeur» des cotisations que la société aurait théoriquement dû verser entre le congé immédiat et l’échéance ordinaire du contrat.
Ce faisant, il semble méconnaître les explications doctrinales précitées, dont il ressort que le dommage réside dans une prestation de libre passage moindre, due aux lacunes de cotisations qui n’ont pas été versées jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat. On connaît tout au plus le montant du salaire assuré et de la cotisation annuelle totale due aux institutions de prévoyance auxquelles l’employeuse s’est successivement affiliée, ainsi que le montant global des indemnités de chômage versées dès le 12 janvier 2012 (…). Dans un tel contexte, il n’est pas possible d’établir quel dommage l’employé a pu subir du fait de la résiliation prématurée du contrat de travail. Cette constatation conduit au rejet du grief, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les questions soulevées par la doctrine (…).
En d’autres termes, le dommage ne résiderait pas dans le non-paiement des cotisations patronales jusqu’au terme du délai de congé, mais bien dans la diminution de la prestation de libre passage de l’employé, prestation qui doit par ailleurs rester dans le « circuit » de la prévoyance en l’absence de la survenance des événements donnant droit aux prestations d’assurance (vieillesse, invalidité, décès ; cf. art. 13-26 LPP) ou de mise en œuvre des dispositions visant l’encouragement à la propriété de logement (art. 30a et ss LP) [en ce sens Anne Troillet, Congé avec effet immédiat et prévoyance professionnelle ; commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_458/2018, Newsletter DroitDuTravail.ch août 2020].
L’accord « explicite » du Tribunal fédéral à la solution retenue par la Chambre des prud’hommes ne me semble dès lors pas si manifeste que cela….
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)