
Retour sur le critère de subordination dans le contrat de travail, à la lumière de deux décisions récentes.
Rappelons les principes d’abord :
Par le contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni (art. 319 al. 1 CO). Les éléments caractéristiques de ce contrat sont une prestation de travail, un rapport de subordination, un élément de durée et une rémunération.
Le contrat de travail se distingue avant tout des autres contrats de prestation de services, en particulier du mandat, par l’existence d’un lien de subordination, qui place le travailleur dans la dépendance de l’employeur sous l’angle personnel, organisationnel et temporel ainsi que, dans une certaine mesure, économique. Le travailleur est assujetti à la surveillance, aux ordres et instructions de l’employeur ; il est intégré dans l’organisation de travail d’autrui et y reçoit une place déterminée.
Le critère de la subordination doit toutefois être relativisé en ce qui concerne les personnes exerçant des professions typiquement libérales ou ayant des fonctions dirigeantes. Comme l’indépendance de l’employé est beaucoup plus grande, la subordination est alors essentiellement organisationnelle. Dans un tel cas, plaident notamment en faveur du contrat de travail la rémunération fixe ou périodique, la mise à disposition d’une place de travail et des outils de travail, ainsi que la prise en charge par l’employeur du risque de l’entreprise. Le travailleur renonce à participer au marché comme entrepreneur assumant le risque économique et abandonne à un tiers l’exploitation de sa prestation, en contrepartie d’un revenu assuré.
Dans deux décisions récentes, le Tribunal fédéral et la Chambre des prud’hommes ont donné des contours intéressants au critère de subordination, notamment en ce qui concerne la subordination « économique » découlant du fait qu’il était impossible au travailleur d’obtenir d’autres sources de revenus (dépendance économique) :
Dans un arrêt du 4A_365/2021 du 28 janvier 2022, le Tribunal fédéral a notamment admis que des circonstances qui imposent une certaine organisation du travail des travailleurs dans la structure d’une entreprise puissent relativiser le critère de la subordination, en particulier quant au lieu où le travailleur exerce son activité. Cela ne peut toutefois s’appliquer qu’aux critères qui sont strictement imposés par le modèle d’activité. La relativisation du critère du lien de subordination en raison du modèle d’affaires choisi n’empêche donc pas que, par ailleurs, le travailleur présente d’autres liens de dépendance à la société, en particulier par le fait qu’il consacrait l’intégralité de son temps à celle-ci et n’exerçait pas d’autre activité lucrative, se rendant ainsi économiquement dépendant d’elle. Dans le cas d’espèce le lien de subordination excédait celui qui était strictement nécessaire en raison du modèle d’affaires choisi, notamment sur le plan de la dépendance économique.
Dans un autre arrêt, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève (CAPH/148/2022 du 13.09.2022) s’était penchée sur le cas d’un sportif professionnel (sport de combat). Le contrat de travail avait été retenu en raison des circonstances suivantes : l’existence d’un « contrat de travail » prévoyant notamment le versement d’un « salaire » annuel de 48’000 fr. « bruts » payé en douze mensualités ainsi que la mise à disposition d’un logement à « l’employé » ; le fait que le club qui avait émis ce contrat était dirigé par un homme d’affaires avisé ; un communiqué de presse qui mentionnait une rémunération versée à un « combattant professionnel » ; l’utilisation des termes « rapports de travail » par les parties ; le fait que le combattant effectuait ses entraînements au club et y consacrait l’intégralité de son temps ; la prise en charge de son encadrement personnel et professionnel, ainsi que des frais ; le fait que le club supportait le risque économique de l’entreprise. Par ailleurs, bien « (…) qu’il ait lui-même organisé son planning et défini ses besoins en termes d’encadrement – chose parfaitement admissible dans la mesure où il bénéficiait en la matière de qualifications supérieures à celle de l’appelante (= le club) qui était novice dans le domaine des arts martiaux –, l’intimé (= le sportif) n’était en outre pas libre de s’organiser selon son bon vouloir. Il devait notamment attendre la validation de l’appelante pour pouvoir faire appel à des aides externes. » Il s’ensuit que l’intéressé se trouvait bel et bien dans un rapport de subordination sur le plan organisationnel. Il devait en principe en aller de même sur le plan économique, dès lors que le club entendait que le sportif lui rétrocède, à terme, les revenus du sponsoring ainsi que ses primes de match en contrepartie du salaire qu’il lui garantissait.
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)